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L’incroyable printemps érable de Léo Bureau-Blouin

Par Alain Lallier

 Léo Bureau-Blouin à la Cour suprême alors qu'il travaillait pour le juge en chef.

Entré à 17 ans au Cégep de Saint-Hyacinthe, Léo Bureau-Blouin fait une première session en sciences de la nature. À la deuxième session, il choisit de poursuivre en sciences humaines. Très rapidement, il s’implique à l’association étudiante locale, devient représentant de son programme et, dès sa deuxième session, représente l’association auprès de la fédération étudiante nationale. À sa deuxième année de cégep, il assume la présidence de l’association locale. Même s’il avait changé de programme et malgré ses engagements extrascolaires, il parvient à réussir ses études en deux ans.

Âgé de 19 ans, en juin 2010, il devient président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ). Il occupera cette fonction à temps plein pendant deux ans.

En tant que porte-parole de la FECQ, il devient l’un des trois leaders étudiants de la plus longue et de la plus imposante grève étudiante au Québec et au Canada. Le Portail refait avec lui le parcours hors de l’ordinaire de ce printemps érable.

Une hausse annoncée longtemps à l’avance
Le 18 mars 2011, le gouvernement de Jean Charest annonce, lors du dépôt budgétaire, sa décision d’augmenter les frais de scolarité universitaires de 1625 $ sur 5 ans, les faisant passer à 3793 $. Selon la FECQ, si on ajoute les frais afférents, la facture annuelle passerait à 4500 $. La grève ne débutera qu’en février 2012. Léo Bureau-Blouin précise qu’en décembre 2010, lors d’un sommet convoqué par la ministre Beauchamp, le gouvernement avait déjà annoncé son intention de hausser les frais de scolarité. « Dès ce moment, les associations étudiantes savaient que cette hausse était dans les cartons du gouvernement. Dès que j’ai été élu, il était déjà clair que ce dossier allait devenir un gros cheval de bataille. Ce délai nous a donné beaucoup de temps pour nous préparer. »

                                                      Credit photo: Maxime Deland - Agence QMI

La manifestation du 22 mars
Le 22 mars 2012 marque un moment clé de la grève étudiante : 300 000 étudiants en grève et une manifestation rassemblant entre 100 000 et 200 000 personnes qui s’est terminée dans le Vieux-Port. Léo se rappelle être monté sur le toit d’un camion de façon improvisée pour s’adresser à la foule. Il a senti toute l’importance de cette marée humaine. Mais ce n’est que le lendemain en voyant les photos aériennes dans le journal qu’il a réalisé l’ampleur du mouvement. Il a constaté sur place que les étudiantes et les étudiants le reconnaissaient et le saluaient à cause de ses fréquentes présences dans les médias.

Les risques de dérapage
En avril, la pression monte. Les affrontements en marge du Plan-Nord au Palais des congrès résultent en l’arrestation de 90 personnes. Des manifestations ont lieu chaque soir à Montréal. Léo Bureau-Blouin a-t-il eu peur à ce moment que ça dégénère?

Par rapport à la violence, la FECQ a toujours eu une position différente de l’ASSÉ. « Sans dire qu’elle appuyait la violence, l’ASSÉ avait une idée un peu romantique inspirée par les mouvements de protestation. S’il y avait un peu de casse, pour eux, ce n’était pas si grave. Pour moi, il fallait pouvoir compter sur une opinion publique favorable pour faire vraiment pression sur le gouvernement. Évidemment, les dérapages et la casse ne servaient en rien l’image que nous voulions projeter. Mon but était plutôt de créer un mouvement où l’étudiant moyen pouvait se retrouver, alors que l’ASSÉ était plus portée par un idéal militant. La tournure des événements m’inquiétait parce qu’à partir du moment où il y a des manifestations chaque soir, que tout n’est pas organisé directement par les associations étudiantes, c’était comme un avion qui décolle en se demandant où il s’en va et comment il atterrira. C’était devenu un train qui roulait tout seul en y mettant du charbon de temps en temps… »

Manifestations lors du Conseil général du Parti libéral à Victoriaville - 4 et 5 mai 2012 - Credit photo: Maxime Deland - Agence QMI

Une entente rejetée
Les 4 et 5 mai 2012, des négociations conduites par la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, avec les négociateurs des fédérations étudiantes, en présence des présidents des trois grandes centrales syndicales du Québec — la CSQ, la CSN et la FTQ — mènent à la signature d’un document que les fédérations étudiantes acceptent de soumettre au vote des assemblées générales. Dans les jours suivants, l’entente de principe est rejetée massivement par les assemblées étudiantes.

« La raison pour laquelle l’entente a été rejetée tient au fait qu’elle était un peu alambiquée, explique le leader étudiant. L’objectif des étudiants visait la diminution des frais de scolarité, voire leur annulation complète. De son côté, le gouvernement ne voulait pas perdre la face et bouger sur ce point. La voie de sortie était mince. En gros, l’entente disait qu’on allait voir à trouver des gains d’efficience dans les budgets des universités qui serviraient à réduire la facture universitaire. Je me rappelle que la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, laissait entendre à l’émission radiophonique de Paul Arcand que le gouvernement n’avait rien laissé aller. En parlant aux étudiants, on voyait que ça ne passait pas. L’entente n’offrait aucune garantie. La ministre disait même que cette négociation ne valait pas grand-chose. Évidemment, les associations l’ont rejetée. C’était une bonne chose, car rien de tangible n’était sur la table. »

               Source: La Presse - 15 mai 2012 - Photo PC

Démission de la ministre Beauchamp
Coup de théâtre : le 14 mai, la ministre de l’Éducation et vice-première ministre, Line Beauchamp, remet sa démission. Léo raconte : « J’étais sur un plateau de télévision; j’apprends la nouvelle en ondes; je me rappelle avoir été surpris. Ce n’est qu’après que j’ai appris qu’il y avait beaucoup de pressions à l’intérieur du gouvernement. Michèle Courchesne lui succédera. Je voyais ça comme un bon signe. Finalement, elle était là pour terminer le travail. Elle n’avait pas plus le mandat de négocier quoi que ce soit. »

L’impact de la Loi 78
Le 18 mai, la loi permettant aux étudiantes et aux étudiants de recevoir l’enseignement offert par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, ou Loi 12 (issue du projet de loi 78 et communément appelée la Loi 78) est adoptée après environ 20 heures consécutives de débats en séance extraordinaire à l’Assemblée nationale du Québec.

A peine la nouvelle loi restreignant le droit de manifester adoptée, les étudiants québecois sont redescendus dans la rue, en pleine nuit, pour défier la police.

La loi est votée lors de la 14e semaine de la grève et vise, en premier lieu, à y mettre fin.
Il s’agit d’un moment très marquant selon Léo : « La protestation étudiante était devenue un mouvement social. Les gens ne manifestaient plus seulement contre l’augmentation des frais de scolarité, mais aussi pour la liberté d’expression, la liberté de manifester. Quand la loi spéciale a été adoptée, des groupes comme Amnesty International et le Barreau du Québec ont émis des réserves. Soudainement, c’est comme si le mouvement avait trouvé plein d’amis inhabituels. Les casseroles ont commencé à ce moment-là. Les cégeps et les universités encore en grève ont vu leur session suspendue jusqu’à l’automne suivant. Ce fut un coup de tonnerre au départ. Nous avons craint que ce coup de massue aille écraser le mouvement avec l’interdiction de manifester. Je pensais que c’était terminé. Finalement, les manifestations ont continué et la loi est devenue impossible à appliquer ».

Une impasse
Fin mai, après 100 jours de grève, les cours n’ont pas repris et les arrestations se sont multipliées. Les associations ont le sentiment d’être dans une impasse. « Après avoir mobilisé autant de gens, leur avoir demandé de faire des sacrifices, nous nous disions qu’il fallait que ça donne des résultats. Une victoire était nécessaire comme effet mobilisateur pour les générations suivantes. Nous voulions contrer le discours de type "ça ne donne pas grand-chose de faire la grève." »

La chef du Parti Québecois, Pauline Marois, était visiblement heureuse d'accueillir dans ses rangs le président sortant de la Fédération collégiale du Québec, Léo Bureau-Blouin. Source: Le Soleil numérique, 26 juillet 2012; crédit photo: La Presse - Ivanoh Demers

Entrée en politique
Début juin, Léo Bureau-Blouin quitte la présidence de la FECQ, son mandat arrivant à échéance. Le 25 juillet 2012, il annonce officiellement sa candidature à l’élection générale québécoise de 2012 pour le Parti québécois dans la circonscription de Laval-des-Rapides. Le 1er août, le premier ministre Jean Charest déclenche des élections pour le 4 septembre. Le 16 août, la FECQ admet que la grève est terminée : 12 des 14 associations en grève votent le retour en classe.

Un prolongement du mouvement étudiant
Pour l’ex-leader étudiant, son entrée en politique fut une façon de transférer dans l’arène électorale le combat entrepris plus tôt. Le Parti québécois avait déjà annoncé qu’il appuyait la cause étudiante. Pour lui, c’était un prolongement du mouvement étudiant. La FECQ comme telle ne s’est pas impliquée dans la campagne électorale, mais les étudiants, eux, l’ont fait. Plusieurs d’entre eux ont travaillé comme bénévoles.

Une grande victoire
Le 4 septembre 2012, Léo Bureau-Blouin est élu à l’Assemblée nationale, devenant le plus jeune député de l’histoire du Québec et, le 20 septembre, le gouvernement de Pauline Marois annule la hausse des droits de scolarité et abolit la Loi 12 par décret. Un sommet sur l’enseignement supérieur suivra en février 2013. La formule d’indexation des frais de scolarité retenue et l’augmentation des frais et bourses sont considérées par l’ex-leader étudiant comme des gains très importants : « L’ensemble de ces résultats, c’est une grande victoire, dit-il. Ces mesures tiennent encore la route dix ans plus tard. En dix ans, les frais ont peu augmenté. C’est une économie substantielle pour les étudiants, d’autant plus que les prêts et bourses ont également beaucoup augmenté durant cette période. »

Solidarité, travail en commun et mobilisation
« Ces événements ont beaucoup modifié ma trajectoire de vie sur le plan personnel, avoue-t-il. Jamais je n’avais prévu ça. Encore aujourd’hui, ces événements font partie de moi. Ce qui m’a le plus marqué, ce sont les valeurs de solidarité, de travail en commun, de mobilisation. Ce sont des valeurs qui me tenaient et qui me tiennent toujours à cœur. Quand on travaille fort, ça peut donner des résultats, ça peut créer une grande mobilisation. Tout ça m’a donné beaucoup d’énergie. Dix ans plus tard, ces événements me nourrissent encore. Beaucoup d’amitiés se sont créées à ce moment-là et tout ça a forgé la perception que les gens ont encore de moi aujourd’hui. J’ai eu la chance de vivre des émotions intenses en groupe. Cette expérience m’a donné une perspective positive sur la vie, des outils pour travailler ensemble. Ce fut une aventure extraordinaire ! », conclut-il.