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Auteure, dramaturge et scénariste

Roxanne Bouchard, professeure

« Quand j’étais enfant, je voulais être professeure de livres. » dit-elle en riant. Et des histoires, Roxanne Bouchard en vit et en écrit. Elle enseigne aussi comment les créer. Professeure de littérature au Cégep de Joliette depuis 30 ans, elle mène de front sa carrière et sa vie d’écrivaine. Un parcours jalonné d’expériences, parfois vertigineuses, qui l’inspirent.

Par Thérèse Lafleur, rédactrice, Portail du réseau collégial

Roxanne Bouchard - Crédits photo : La Couronne britannique

Avec neuf titres à son actif, dont certains traduits en plusieurs langues, elle signe quatre spectacles, des nouvelles et des articles. Les œuvres de Roxanne Bouchard sont honorées par de nombreux prix au Québec et dans le monde. Pourtant, l’histoire peu commune de cette passionnée de l’enseignement relève d’heureux hasards.

Dès l’enfance, sa mère, enseignante et grande lectrice, a suscité son engouement pour la lecture. « Ma mère lisait en faisant différentes voix. Et elle s’arrêtait au summum de l’intrigue prétextant aller faire le souper. “Tu peux continuer si tu veux !” Bien sûr que je dévorais la suite, toute seule ! »

C’est d'abord comme étudiante au Cégep de Joliette qu’elle a su qu’elle voulait enseigner. « Je n’ai jamais eu l’idée d’écrire ni de publier. J’étais déterminée à être professeure au cégep. Après mon bac en littérature, j’ai commencé à enseigner à 22 ans, dans mon cégep. » Tout en enseignant, elle achève une maîtrise en arts et lettres et un Certificat en histoire/histoire de l’art.

Mais une fois tous ces diplômes en poche, quoi faire ensuite ? Elle a toujours eu des projets en marge de sa vie professionnelle. Une alternative que lui offre le Programme volontaire de réduction du temps de travail (PVRTT). L’expérience aidant, une certaine latitude se dégage aussi dans la préparation de cours, précise-t-elle.

Après l’obtention de ses diplômes, elle s’initie à la voile parallèlement à son enseignement.« Si je vais en Gaspésie, même en vacances, je prends des notes, je visite des bateaux, je parle avec les pêcheurs. C’est comme si mon second métier était né du désir d’échanger. » Une voie où l’a mené aussi sa correspondance. Partant de là, écrire est devenu un mode de vie pour elle.« C’est toujours parti d’une passion et d’un hasard. »

Il faut quand même avoir un certain aplomb et ne pas avoir peur de s’investir pour cheminer dans cet esprit. « J’ai pris des cours de voile sur un bateau où je ne connaissais personne. Sur la base de Valcartier, quand l’état-major m’a donné carte blanche pour parler aux militaires, c’était à la condition d’aller en exercice avec eux. Je me suis retrouvée dans un tank.Je me suis rendue à rendez-vous, à 4 h 30 du matin, au milieu de nulle part, pour passer deux jours avec des démineurs sans trop savoir à quoi m’attendre. Sur la route, j’avais les mains moites ! »

L’aventure de Cinq balles dans la tête : récits de guerre illustre bien ce parcours parallèle à sa carrière de prof. Son livre de 307 pages témoigne de l’expérience de soldats sortis sur le terrain, hors du campen Afghanistan, en 2009. Le récit s’est transformé en théâtre documenté. Madame Bouchard explique qu’il ne faut pas confondre théâtre documenté avec théâtre documentaire comme J’aime Hydro s’adressant directement aux spectateurs. Le théâtre documenté s’appuie sur la recherche, mais laisse beaucoup de place à l’onirique.

C’est lors de sa première expérience de dramaturge, un monologue créé pour l’actrice Marie-Joanne Boucher, que Roxanne Bouchard s’allie au metteur en scène François Bernier. « J’avais déjà entrepris la recherche avec les militaires. Des témoignages de traumas durs à entendre à répétition pour une auteure. J’ai donc fait une pause pour écrire le monologue Je t’aime encore tout en continuant à parler du livre sur les militaires avec François Bernier. C’est lui qui m’a proposé d’en faire une adaptation pour la scène. »

« Cinq balles dans la tête raconte le parcours d’une auteure qui a cherché quelque chose chez les militaires. Quand le personnage principal incarne mon rôle de romancière qui parle avec des militaires, elle ne parle pas au public dans la salle. Elle s’adresse à un faux public, soit à des fantassins ou à des militaires de la base de Bagotville. Elle leur explique comment une écrivaine monte son personnage et les invite à parler à des civils. C’est à ce moment qu’un militaire lui dit « Si tu veux, moi je suis prêt à parler avec des civils alors toi, viens t’asseoir avec nous autres et on va parler ».

Maxime Gaudette, Sylvie De Morais et Éric Robidoux © Richmond Lam

 

LA ROMANCIÈRE : Ça te fait quoi, de voir les morts ?

GERRY CORMIER, militaire : Ça laisse personne indifférent. Mais quand t’es militaire pis qu’il faut que tu tues des gens, il faut que tu te mettes dans la tête que c’est ton travail. Tu peux pas, dans le feu de l’action, commencer à te demander : c’est-tu correct c’que j’fais, légitime, moralement juste ? Si tu fais ça, tu fais pus ton métier. 

 

Un peu plus loin dans la pièce, la romancière s’adresse à sa classe pour traiter des modes d’écriture. Elle explique alors à son fauxpublic d’étudiants qu’elle n’avait pas l’intention de se ramasser là, mais qu’elle y était allée malgré elle. Donc les spectateurs suivent son parcours de femme de paix qui a cherché quelque chose chez les militaires. Tout au long de la pièce, quand la romancière témoigne de sa rencontre avec l’altérité, avec l’autre, avec la personne qui est de l’autre côté de notre ligne de valeur. Ce n’est qu’à la toute fin que le personnage principal interpelle les spectateurs. » C’est d’ailleurs à la suite de sa participation à un réel congrès sur l’altérité que cette antimilitariste s’est intéressée aux propos de combattants.Roxanne Bouchard s’intéresse à l’autre, à échanger pour comprendre.

Elle partage d’ailleurs sa quête avec ses étudiants en création littéraire. « À chaque début de cours, je leur parle du travail d’auteur à la petite semaine. De mes difficultés et des bons coups. Ma recherche d’écrivaine sert mon enseignement. Je trouve que notre métier de professeur nous permet d’être des passeurs de plusieurs choses. »

Je trouve que nous avons le privilège d’enseigner la prise de risque, nous avons un métier exceptionnel de permettre l’échange et l’ouverture des étudiants au monde.

Après 30 ans dans l’enseignement, madame Bouchard parle davantage de changer de métier que de prendre sa retraite. Elle envisage la suite non pas comme une prof qui écrit, mais comme une écrivaine qui enseigne. « Tout en pensant donner un nouveau cours au cégep l’an prochain, je continue à développer mon travail de romancièreen Europe. » Sa pièce Cinq balles dans la  tête présentée à La Licorne sera reprise à l’automne chez Duceppe à la Place des Arts. Elle travaille sur son prochain roman. Un autre texte, un collectif, est déjà écrit pour la scène. La boîte de production Solimage vient d’acheter sa série Enquêteur Moralès. « Cela aussi donne le vertige d’écrire un scénario. Mais je sais pourquoi je le fais et j’avance avec confiance dans cette nouvelle expérience. »

Roxanne Bouchard conclut sur son engagement à mettre en valeur la langue d’ici dans son enseignement et à travers ses œuvres.« Il y a une magie dans la langue québécoise parce que nous avons accès à différents niveaux de langue. La langue française et la langue poétique, mais aussi une langue plus populaire. La langue des pêcheurs ou celle des militaires n’est pas moins belle que la langue des intellectuels. Elle est différente et c’est possible de se l’approprier pour en faire quelque chose de bien et de beau. Cette langue québécoise nous appartient. »