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L’entrepreneuriat en milieu collégial
Le Cégep Beauce-Appalaches : un modèle à suivre
À une certaine époque, les études et l’entrepreneuriat représentaient souvent deux options mutuellement exclusives. Mais avec l’avènement des Clubs de développement entrepreneurial étudiant, les jeunes qui contemplent l’idée de se lancer en affaires peuvent maintenant acquérir des connaissances et une expérience concrète tout en poursuivant leurs études collégiales.
Ann-Marie Gélinas, rédactrice pour le Portail
La place de l’entrepreneuriat dans les cégeps peut sembler anachronique ou même contradictoire, à première vue. Les grands entrepreneurs qui ont marqué les décennies précédentes — du visionnaire Henry Ford en passant par le génie Albert Einstein jusqu’aux milliardaires de la tech Steve Jobs, Bill Gates et Mark Zuckerberg— y sont sans doute pour quelque chose. Connues pour leurs études plus ou moins écourtées, ces illustres personnalités ont fait naître l’idée selon laquelle les meilleurs entrepreneurs sont aussi des décrocheurs. Or, les choses changent depuis quelques années et les chefs d’entreprise d’aujourd’hui et de demain suivent un parcours qui tranche avec celui de leurs prédécesseurs.
Le directeur adjoint des études, programmes et vie étudiante, du Cégep Beauce-Appalaches, Daniel Laflamme, confirme cette tendance. « J’ai travaillé neuf ans à l’École d’Entrepreneurship de Beauce, et je peux dire que la majorité des entrepreneures et entrepreneurs sont diplômés. Aujourd’hui, on encourage les jeunes à terminer leurs études pour qu’ils aient une bonne base. »
Semer le désir d’entreprendre (plus tôt que tard)
À une certaine époque, la jeunesse aux aspirations entrepreneuriales avait deux choix : se lancer rapidement et miser sur la pratique pour apprendre ou reporter son rêve pour emmagasiner le plus de théorie possible. Mais avec l’avènement des clubs de développement entrepreneurial étudiant (CDEE) dans les cégeps, les jeunes qui souhaitent éventuellement se lancer à leur compte peuvent maintenant approfondir leurs connaissances dans leur domaine d’étude tout en acquérant des compétences concrètes en affaires. Grâce à ces regroupements, les étudiantes et étudiants sont exposés plus tôt à la réalité entrepreneuriale.
Charles-Philippe Rodrigue, conseiller à la vie étudiante, volet entrepreneuriat et développement durable au campus Saint-Georges du Cégep Beauce-Appalaches, chapeaute un de ces clubs. Il y voit là une occasion en or d’éveiller la curiosité par rapport à cette avenue qu’il considère comme essentielle à l’essor et à la vitalité des communautés. « Ma philosophie, c’est d’aider les jeunes à développer leur esprit d’entreprendre, et pas nécessairement leur esprit d’entreprise, précise-t-il. On peut créer un balado, par exemple. Ce n’est pas une entreprise à proprement parler, mais ça permet aux jeunes de développer des qualités transversales, qui leur seront utiles dans tous les aspects de leur vie. »
Daniel Laflamme renchérit : « À l’École d’Entrepreneurship de Beauce, le coordonnateur des activités pédagogiques organisait des activités sportives, comme l’ascension d’une montagne. Le but était d’amener les participantes et participants à se dépasser, à travailler en équipe. Nous faisions un parallèle avec l’entreprise, avec les chefs d’entreprise : on ne peut pas laisser derrière un plus lent parce que son sac à dos est trop lourd, alors qu’est-ce qu’on fait ? C’est quoi, la solution ? Si lui ne réussit pas, toute l’équipe échoue. Ce genre d’expérience peut servir tous les jours. »
Transcender les frontières de l’établissement
Au-delà de ces métaphores sur le travail et la vie, Charles-Philippe Rodrigue supervise les activités de son CDEE en vue d’atteindre des objectifs bien concrets. Cette année, les membres se sont entendus pour développer un projet multiculturel. « Les jeunes voulaient créer quelque chose à saveur internationale. Ils ont opté pour un livre de recettes qui reflète les 17 nationalités représentées par le personnel et le bassin étudiant de notre cégep. Ce livre a deux missions : faire découvrir de nouvelles cultures et proposer des recettes abordables destinées à une clientèle étudiante au budget limité », explique Charles-Philippe Rodrigue.
À ce recueil s’est greffé un balado, baptisé Au-delà des saveurs, qui s’apparente à des discussions amicales autour d’une fondue. On y aborde toutes sortes de sujets savoureux sans prétention, entrecoupés d’anecdotes et de confidences.
Les membres du club s’occupent de tous les aspects du projet. D’août à avril, ils se concentrent tour à tour sur la recherche et l’écriture, en passant par la prise de photos, l’édition, la mise en page et la relecture, jusqu’à l’impression du livre et finalement la planification de la vente au grand public. « En ayant un seul projet, on est en mesure de l’amener à terme. On risque moins de s’éparpiller, c’est plus achevé, comme démarche. Et le fait que l’entreprise dépasse les frontières du cégep en fait une expérience extrêmement stimulante », fait remarquer Charles-Philippe Rodrigue.
Actuellement, le CDEE du Cégep Beauce-Appalaches compte près d’une dizaine de membres. La plupart d’entre eux sont recrutés par l’intermédiaire des kiosques d’information et des tournées de sensibilisation dans les classes que le club organise chaque année. « Il faut aller chercher les jeunes, parce qu’ils ne savent pas que l’entrepreneuriat peut les intéresser, de prime à bord. Il faut leur expliquer ce qu’ils vont pouvoir vivre, leur donner des exemples probants », insiste Charles-Philippe Rodrigue.
Diversifier les initiatives pour élargir les horizons
La Semaine de l’entrepreneuriat, tenue cette année du 19 au 23 février, représente un autre moyen de faire découvrir la réalité entrepreneuriale à la communauté étudiante. On y présente des conférences d’entrepreneures et entrepreneurs inspirants de la région qui viennent témoigner de leur parcours et qui font bien souvent voir à leur public les choses différemment. Le repreneuriat, soit le rachat d’une entreprise par une ou plusieurs personnes, constitue notamment une thématique populaire qui élargit la perception traditionnelle de la gestion d’entreprise.« Des figures de proue comme Charles Dutil, président et chef de la direction de Manac, acceptent nos invitations même si ce sont des gens très occupés et très sollicités. Ils sont généreux, ils se considèrent comme chanceux et trouvent important de partager leur histoire avec la relève.Et bien souvent, ils nous confient, avec une pointe d’envie, à quel point ils auraient aimé que ça existe dans leur temps, un Club de développement entrepreneurial étudiant », raconte Daniel Laflamme.
Plus largement, les CDEE sont d’abord des membres de l’Association des Clubs entrepreneurs étudiants (ACEE) et sont aussi appuyés par le Pôle d’éducation entrepreneuriale au collège (PEEC), dont la création officielle remonte à 2017. Cet OBNL responsable d’entrepreneuriat soutient les différents CDEE de la province en leur offrant des outils et de l’expertise pour mener à bien leurs projets. Mais sur le terrain, c’est surtout l’apport du corps professoral qui fait toute la différence. « On entretient des liens solides avec les enseignantes et enseignants. On compte sur eux pour organiser des activités, pour intégrer nos projets à leurs cours. On a déjà une belle chimie avec les programmes de comptabilité-gestion et d’informatique, qui sont naturellement compatibles avec le travail autonome. Éventuellement, on aimerait nouer des partenariats avec la formation en design d’intérieur, qui se prête bien aussi à la fondation d’entreprise », raconte Charles-Philippe Rodrigue.
En poste au Cégep de Beauce-Appalaches depuis à peine un an, ce dernier a la tête remplie de rêves et de projets pour son club, en bon entrepreneur dans l’âme qu’il est. « Mon souhait à plus long terme, c’est de développer une entreprise-école, comme un atelier de réparation de vélos ou un café géré par les étudiantes et les étudiants, qui serait en activité toute l’année », conclut-il, non sans laisser transpirer son enthousiasme débordant.