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Caroline Quesnel, présidente de la FNEEQ-CSN
Panorama des enjeux du collégial
Alors qu’elle s’apprête à passer le flambeau, la présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), Caroline Quesnel, porte un regard avisé sur le collégial. Elle défend avec conviction les enjeux que sont la précarité, la formation générale et la place des femmes. La perte d’une perspective globale et démocratique du système d’éducation la heurte. Devant les avancées technologiques, elle croit fermement que la relation pédagogique doit primer.
Par Thérèse Lafleur, rédactrice, Portail du réseau collégial
Si la vocation première de Caroline Quesnel est l’enseignement, en cours de route, elle s’est passionnée pour le syndicalisme. Elle carbure à la solidarité. Depuis 2012, elle siège à l’exécutif de la FNEEQ et porte la parole du personnel enseignant, du primaire à l’université. Dans le réseau des cégeps, la FNEEQ représente 85 % des professeurs regroupés en 45 syndicats. Soit plus de 18 000 personnes dont près de 60 % sont des femmes.
La précarité, un enjeu majeur
En abordant la négociation qui vient de se terminer, il semble précipité à madame Quesnel d’en faire le bilan.« Mais la précarité demeure un enjeu majeur au collégial. Les chargés de cours de la formation continue sont tous précaires ainsi que 40 % du personnel enseignant au régulier. La qualité des conditions de travail des précaires s’en suit. Il reste encore du travail à faire. »
Le risque principal est de prendre à la légère les technologies
Outre les gains salariaux obtenus, la récente convention collective encadre l’enseignement à distance. « Le développement de l’enseignement à distance est en continu, nous avons maintenant des balises. Nous sommes au début de quelque chose qu’il va falloir surveiller de près. Tout comme l’intelligence artificielle (IA) qui n’a pas été abordée en négo. L’intégration des technologies en enseignement comporte des avantages et des risques. Le risque principal est de prendre à la légère les technologies. Sans être technophiles ou technophobes, nous devons être technocritiques. Il faut le faire avec intelligence, car le risque est grand de déshumaniser l’espace de l’enseignement. » constate madame Quesnel.
Nous devons absolument protéger la relation
pédagogique.
« La relation d’accompagnement doit se faire entre humains et en présence, le plus possible. Bien que l’enseignement à distance soit bon, selon le contexte. Une certaine dévalorisation de l’enseignement passe par les outils technologiques qui nous promettent, en tout temps, de répondre à nos questions. Les savoirs sont complexes en enseignement supérieur. Ils se créent et se comprennent dans un dialogue. Et je dirais qu’un des facteurs de protection, sans doute parmi les plus forts, c’est la formation générale. La formation générale est souvent mise à mal dans cette ère d’accélération de la technologie. Pourtant ce socle-là me semble encore plus important que jamais. »
Le rôle essentiel de la formation générale
Un socle que madame Quesnel perçoit comme essentiel au développement de citoyens avertis. « La formation générale et la formation spécifique permettent d’acquérir des bases, d’analyser, de développer une perspective critique. Au collégial nous formons des citoyennes et des citoyens qui, devant un discours politique, vont être en mesure de se questionner sur la stratégie utilisée par un gouvernement ou un groupe. C’est l’essence même de la conception de la formation générale et de l’importance des collèges. »
Dans cette foulée, elle partage son inquiétude quant à la maîtrise du français. « Avec raison le gouvernement doit se soucier de la langue française au Québec. Mais il ne faut pas simplifier les enjeux liés à la formation générale. Est-ce que le gouvernement va la défendre ou changer les devis ? Les étudiants ne commencent pas à apprendre le français au cégep. Il faut travailler dans une logique de continuum entre le secondaire et le collégial. »
Une amputation du regard systémique
Mais c’est la perte de la vision d’ensemble du système d’éducation qu’offrait le Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) que déplore le plus la présidente de la FNEEQ. « Le projet de loi Drainville a aboli les portions primaire et secondaire du CSE. Les législateurs décident, sans fréquenter cet organisme, d’amputer le CSE de la moitié de ce regard systémique. Un organisme démocratique créé dans la foulée du rapport Parent. Le CSE n’était pas parfait, mais il avait la vertu d’intégrer les acteurs du milieu. Cette intrusion du politique se fait au détriment d’un écosystème de l’éducation et de l’enseignement supérieur cohérent. Et ce, malgré toutes les interventions s’opposant à cette idée de scinder le CSE. Certains éléments doivent être protégés du politique. »
Le gouvernement cherche à instrumentaliser les cégeps.
Par ailleurs, madame estime que le gouvernement actuel ne remet pas en question le réseau collégial, bien que la Coalition Avenir Québec (CAQ) l’ait déjà fait. « Demeurons toujours vigilants pour défendre cet ordre d’enseignement. Le gouvernement cherche à instrumentaliser les cégeps. Par exemple par la création de formations les plus courtes possibles pour fournir de la main-d’œuvre rapidement au marché du travail. L’idée même de formation est court-circuitée, pas besoin de formation générale. Bien entendu, il faut que les cégeps et le marché du travail soient en lien. Mais je ressens la pression d’un gouvernement qui improvise beaucoup. Récemment, les médias[i][ii][iii] révélaient que les bourses dédiées à des programmes sélectionnés par le gouvernement ne suscitaient pas les inscriptions escomptées. Pourquoi essayer d’apporter des changements en ignorant que le choix de programme c’est d’abord un choix des étudiants ? À mon avis, pour attirer des étudiants vers une carrière, il n’y a pas que des bourses, il y a d’abord l’attrait de la profession. »
L’impact des alliances
Elle souligne que la formation infirmière a mis en lumière une des facettes du réseau collégial qui fonctionne bien. L’alliance entre les professeurs, les directions et les étudiants a porté fruit pour lutter contre l’intrusion de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) dans une formation accessible et gratuite dans toutes les régions du Québec. « Cette collaboration a permis de constater qu’il se passait quelque chose à l’encontre de notre ADN collégial. Ensemble, nous avons réagi de manière forte, coordonnée et efficace. Je pense que cela n’existe pas ailleurs que dans le réseau collégial. » L’appui unanime à la rémunération des stages est aussi un bel exemple de cette solidarité.
La reconnaissance des femmes en enseignement supérieur
Un autre sujet d’actualité est la place des femmes selon madame Quesnel. « Je quitte avec la conviction que cette lutte est nécessaire. La place des femmes n’est pas acquise. Il existe des ramifications qui se construisent en parallèle, parfois de manière insoupçonnée, dans les lieux de pouvoir. Mais soyons optimistes, du côté des cégeps, le progrès est substantiel. Depuis douze ans, je vois un changement majeur de la présence de femmes en recherche, dans les instances syndicales ou les directions du collégial. Le réseau des cégeps, justement parce que c’est un réseau, favorise sans doute cette reconnaissance des femmes en enseignement supérieur. »
Faire œuvre commune
« C’est très ancré en moi cette idée de faire œuvre commune. C’est ce que m’a apporté le syndicalisme. Quand nous enseignons, nous sommes très autonomes. J’ai beaucoup aimé enseigner, mais j’adore travailler avec d’autres à trouver des solutions, à réfléchir ensemble et à miser sur les forces de chacun. » Pour elle cette notion de solidarité ne date pas d’hier. « J’avais 7 ans quand j’ai organisé ma première manifestation dans les années 1970 ! » Et au fil de son parcours scolaire et professionnel, elle milite. Son engagement envers les droits collectifs est constant.
Devant une retraite annoncée, elle est loin d’envisager l’action politique. Elle mise plutôt sur l’écriture. « Pourtant la nécessité d’états généraux de l’éducation et de l’enseignement en général est là. Il faut appeler les gouvernements à être courageux et à être capables de porter ce genre d’exercice. » affirme-t-elle
[i]Bussières McNicoll Fannie et Aude Garachon. 2022. Les bourses d’études Perspective Québec : une fausse bonne idée ?,ici.radio-canada/nouvelle, 26 février https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1862895/bourses-etudes-perspective-quebec-penurie-main-oeuvre?fromApp=appInfoIos&partageApp=appInfoiOS&accesVia=partage (consulté le 8 mars 2024)
[ii]Bussières McNicoll Fannie. 2024. Les bourses pour contrer la pénurie de main-d’œuvre n’ont pas « l’effet wow » espéré, ici.radio-canada.ca/nouvelle, 26 mars https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2060124/bourses-perspective-penurie-main-oeuvre-quebec(consulté le 8 mars 2024)
[iii]Bussières McNicoll Fannie. 2024. Bourses d’études Perspective : appel groupé à corriger le tir. Ici.radio-canada.ca/nouvelle, 27 mars, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2060462/bourses-etudes-perspective-reactions-syndicats-etudiants