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La pédagogie des communs
Donner du sens, tisser des liens
C’est en s’intéressant aux communs que Patricia Nourry, professeure de philosophie, a abordé son mandat d’écologisation des programmes.
Par Thérèse Lafleur, rédactrice


« Parler de communs de la connaissance, c’est quand une communauté se réunit pour collaborer. Et que ce collectif établit des règles communes pour créer, développer et partager des savoirs. » explique-t-elle. Dans cette foulée, la pédagogie des communs a pris forme en 2023 au Cégep de Trois-Rivières. Plus d’une dizaine de projets de communs sont en cours.
« Au fil de mes lectures, j’ai constaté que la culture du chacun pour soi est problématique. En temps de catastrophes ou face aux défis environnementaux comment arriver à dépasser la culture de l’individualisme ? C’est en retissant des liens. Et comment retisser des liens ? Les communs sont une alternative prometteuse pour mettre en pratique une expérience de démocratie active et participative. Dans la littérature, on parle souvent de la révolution du 21e siècle. Mais comment transposer cela à la pédagogie ? »
Un commun, qu’est-ce que c’est ?Une communauté qui se rassemble et s’entend pour développer des ressources partagées, pour les conserver, les enrichir, les faire vivre. |
Dans un contexte éducatif, on parlera de « commun de la connaissance » puisque la ressource développée et partagée est le savoir.
C’est par le biais de l’écologisation des programmes que madame Nourry a su implanter et développer la pédagogie des communs.« Le but étant vraiment de comprendre que chaque discipline fait partie d’un écosystème social. Que chaque expertise est nécessaire pour réaliser certains projets. Que nous ne pouvons pas fonctionner en société comme nous fonctionnons en classe, c’est-à-dire en silo et dans des contextes de performance. »
Madame Nourry est convaincue que l’intégration du travail collaboratif à la formation est essentielle dans un monde en changement qui demande une adaptabilité croissante. Ainsi, les étudiants.es réalisent que leur expertise contribue au bien-être collectif et qu’ils ne peuvent pas fonctionner en silo.
Cependant, le tissage de liens ne se fait pas sans heurts. Pour qu’un commun fonctionne, selon ElinorOstrom, prix Nobel d’économie 2009, il faut d’abord s’entendre sur des règles. Définir clairement la nature et les lignes directrices du commun. Ainsi, la contribution de chaque programme doit être bien établie. Il faut aussi donner un mandat clair aux étudiants.es. Et ce, avant même que les conflits émergent parce qu’il va y en avoir.
Les abris-chaleur, un commun qui peut sauver des vies
Au départ, Nicolas Joyal, professeur en Architecture, voulait que ses étudiants.es travaillent sur des abris-chaleur destinés aux personnes en situation d’itinérance. Un tel projet nécessitait l’aide d’étudiants.es en Travail social. C’est alors que Caroline Guay, professeure en Travail social, est venue épauler son collègue.

En Architecture, les étudiants.es se sont penchés sur la conception d’abris-chaleur. En Travail social, les étudiants.es ont rencontré les intervenants.esœuvrant auprès de personnes en situation de vulnérabilité. Simultanément, abris-chaleur, modes d’intervention et stratégies de cohabitation sociale ont pris forme.
Les abris-chaleur sont en voie d’être finalisés. En cours de route, d’autres programmes se sont joints au projet. Mécanique du bâtiment s’occupe du chauffage et de l’électricité pour rendre les bâtiments autonomes. Génie mécanique conçoit des systèmes de levage. Logistique du transport se penche sur leurs déplacements. Et Technique du Génie électrique s'occupe de l'autonomie énergétique du bâtiment.

Marilu Houle Kathan, étudiante, témoigne de son expérience personnelle en ces termes : « Le projet m’a permis de découvrir des qualités de leadership et organisationnelles que je ne savais pas que j’avais. Aussi, j’ai beaucoup appris sur l’importance des expériences multidisciplinaires en lien avec ma future pratique de technicienne en travail social. »
« En brisant les silos, le projet des abris-chaleur place le cégep dans une posture de grand citoyen. Nous avons fait des représentations à la Ville pour ce projet. Nous faisons partie de son Plan en cohabitation sociale. Le Cégep de Trois-Rivières, au même titre que l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), est maintenant identifié comme partenaire de recherche. Cela aussi c’est important pour les collèges. » souligne madame Nourry.
La Fabrique aux utopies, une expérimentation qui rayonne
L’envergure des projets de communs varie. La pédagogie des communs ayant mené à la Fabrique aux utopies l’illustre bien. Dans ce projet, les étudiants.es en Philosophie, en Arts visuels et en Théâtre n’ont pas travaillé en même temps. Toutefois, quand leurs compétences et leurs expertises s’additionnent, une œuvre complètement différente en résulte. L’engagement de ces trois programmes dans un commun a mené à une exposition itinérante qui rayonne dans le grand Trois-Rivières.
Le travail collectif s’est amorcé par la production de récits lors de la Semaine de la philosophie. Ces récits ont servi d’inspiration en Arts visuels pour être traduits en images. Les étudiants.es en Théâtre ont ensuite enregistré les récits. Ces lectures sont jointes aux œuvres visuelles et peuvent être écoutées tout en les contemplant.
Donner du sens et tisser des liens
La pédagogie des communs est une approche collaborative créatrice de sens. Une stratégie pédagogique qui dynamise le travail des professeurs.es, des étudiants.es et même des gestionnaires. Ne serait-ce que pour l’arrimage des horaires qui bénéficie d’une grande ouverture du personnel responsable.
Selon la professeure Nourry : « Quand nous faisons des collaborations, à force d’échanges et de discussions, il y a une intelligence collective qui se met en place. Des idées viennent. Les projets de communs se bonifient. Pour les professeurs.es cela brise aussi une forme d’isolement. Au-delà de l’enseignement théorique ou magistral, le cadre académique vient de prendre un sens incroyable tout à coup. »
« En deux sessions, plus de 200 étudiants.esauront participé à un commun. L’enthousiasme est certain et je pense que cela répond à un besoin. C’est une façon de poursuivre l’écologisation de la formation. Les communs visent les manières de faire et les manières d’être permettant le développement de sociétés plus résilientes. C’est en classe que nous devons faire du retissage, il faut apprendre à collaborer. » affirme madame Nourry.
Une étudiante,Manon Armengaud, en témoigne : « C’est une expérience enrichissante, inédite. Elle soulève l’importance de combiner différents métiers et compétences pour mettre en place des projets qui font évoluer la société. »
Servir le Bien commun
La différence entre une collaboration ou un travail interdisciplinaire c’est le partage de la source. Augmenter l’impact de la formation via un projet de communs pour que ce qui en résulte soit accessible à d’autres.
Madame Nourry insiste sur cette notion de partage. « Ce qui est beau dans ce projet de communs, c’est qu’après leur conception et leur construction, ces abris-chaleur sont en donation. Dans un commun, le libre accès est important. Par exemple, les dessins des étudiants.es peuvent être partagés sur du savoir en libre accès via des Creative Communs. Ce peut aussi être un rapport ou les projets eux-mêmes qui sont partagés afin que n’importe quel cégep puisse faire travailler ses étudiants.es sur un projet signifiant. Il faut que cela essaime au-delà du Cégep de Trois-Rivières et que ces projets de pédagogie des communs puissent inspirer et rayonner. »
La pédagogie des communs est rassembleuse, prometteuse. Qu’une professeure de philosophie œuvre concrètement à jeter les bases d’une nouvelle culture peut surprendre. Mais pour Patricia Nourry : « La philo ce n’est pas juste la sagesse, c’est aussi l’action. Nous pensées devraient se refléter dans nos actions. Il faut essayer des choses. La pédagogie des communs s’y prête. Elle est propice à sortir du chacun pour soi pour que chaque participant.ecomprenne mieux son rôle dans l’écosystème. »
Ce qu’a réalisé concrètement Elvira Kouakou, étudiante : « J’ai beaucoup aimé la chance que nous avons eue de faire une différence pour lutter contre la problématique de l’itinérance. Participer à un tel projet m’a permis de réaliser que je suis un acteur de changement. »
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Pour en apprendre davantage sur les communs au collégial, communiquer aux adresses suivantes : developpementdurable@cegeptr.qc.ca ou patricia.nourry@cegeptr.qc.ca
Bibliographie / Médiagraphie sommaire autour du thème des communs
- CARREY-CONTE, F et EYNAUD, P (dir.), Communs et économie solidaire. Récits d’expériences citoyennes pour un autre monde, Les petits matins, 2023.
- DARDOT, P et LAVAL, C, Commun, Éditions La Découverte, 2014.
- DUPONT, E et JOURDAIN, E, Les nouveaux biens communs ? Réinventer l’État et la propriété au XXIe siècle, Éditions de l’Aube et Fondation Jean-Jaurès, 2022.
- JOURDAIN, É, Les communs, Éditions Que sais-je ?, 2021.
- CRISTOL Denis, Les communs de la connaissance, Thot cursus, octobre 2017.
- LE CROSNIER Hervé, Une introduction aux communs de la connaissance, Open Édition Journal, Vol.12, no. 1, 2018.
- M.WALKER James, Les communs et l’héritage d’ElinorOstrom, Acfas Magazine, 2019.
- DURAND-FOLCO, J. et FURUKAWA MARQUES, D. (dir.), Les communs au Québec : initiatives collectives citoyennes et autogestion, d’hier à aujourd’hui, Vol. 64 no. 1, 2023.
- L’ALLIER, M-S. RAYMOND, S. Cultiver les communs : De l’Europe au Québec, À-bâbord, no. 93, automne 2022.
- LECHÊNE, A. L’histoire méconnue des communs, Colibris Le Mag, juillet 2017.