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Solidarité internationale et Soins infirmiers
« Y a-t-il une infirmière à bord? »
Le 2 janvier dernier, huit étudiantes et deux enseignantes en soins infirmiers du Collège d’Alma décollent pour un stage international au Bénin. Jusqu’ici tout va bien; toutes ont suivi une solide formation pré-départ et les organismes Infirmières et Infirmiers Sans Frontières (IISF) et FeedNeeds assurent la logistique. Puis, à plusieurs kilomètres d’altitude lors du vol vers Cotonou, urgence médicale.
Par Olivier Veilleux-Spénard, rédacteur, Portail du réseau collégial
Deux mois plus tard, Joannie Potvin, une des enseignantes, n’a toujours pas complètement atterri de ce vol.« C’était comme dans les films. » Dès l’embarcation, elle a un mauvais pressentiment en remarquant un homme incapable de se rendre à son siège sans l’aide d’employés de l’aéroport. Une fois au-dessus de la Côte D’Ivoire, son état se détériore. On sonne à l’aide, mais pris au dépourvu, un membre de l’équipage interpelle les passagers : « Y a-t-il un médecin à bord? »
Assise à proximité, Joannie attend. C’est son tout premier voyage d’aide humanitaire. Personne ne se lève. Personne. Sauf Joannie. « Je suis infirmière », dit-elle, lucide. L’agente, impuissante, lui refile aussitôt une paire de gants et lui cède la place.La vie d’un homme gisant dans l’allée soudainement entre ses mains, Joannie commence son enquête. L’homme a un faible pouls, un réflexe de préhension, mais son ventre est dur et gonflé. Sa collègue Maude Laprise, assise plus loin, la rejoint. Ça ne va pas du tout.
Lever la main en situation d’urgence, surtout dans un avion, « c’est une grosse décision », nous avoue Joannie. On ne saurait mieux dire. Le commandant les convoque ensuite en cabine pour déterminer s’il faut rebrousser chemin ou atterrir d’urgence au Burkina Faso. Elles décident d’atterrir d’urgence, mais devront tout de même tenter de garder le passager en vie pour encore une heure…
Si côtoyer la mort fait partie de la profession d’infirmière, l’histoire que Maude et Joannie nous racontent met en scène deux héroïnes aux nerfs d’aciers; des infirmières, quoi. Plus précisément, des enseignantes-infirmières qui prennent l’initiative d’amener nos futures infirmières à l’international développer compétences culturelles et jugement clinique.
Des initiatives de solidarité comme celle-ci du département de Soins infirmiers du Collège d’Alma, il s’en organise une multitude à travers plusieurs programmes du réseau collégial. Au moment d’écrire ces lignes, Maude Laprise était déjà partie et revenue de la République dominicaine avec un autre groupe d’étudiantes.
Une fois au Bénin, l’accueil que FeedNeeds et IISF ont réservé fut très chaleureux et rassurant (voir en vidéo ici). Sans barrière linguistique, les premiers contacts furent riches. Les gens étaient gentils, disponibles et généreux. « Dès notre arrivée, on a senti qu’on faisait partie de la famille qui nous hébergeait », nous dit Kelly-Ann Harvey, étudiante. Signe de cette intégration bienveillante, elles ont toutes reçu un nom béninois en langage Fon. Celui de Kelly-Ann est « Akoua » qui signifie première fille née le mercredi. « On s’est senti comme des reines », nous dit sa camarade Jade Fortin, ou « Aminvi », deuxième fille née le samedi.
Les stages de soins pouvaient commencer. Place aux étudiantes.
Elles côtoient la mort. Elles côtoient la vie.
Le plan pour la semaine était de diviser le groupe en deux. La moitié iraient au Centre de santé humanitaire Le Messie où plusieurs accouchements étaient prévus, et l’autre dans un dispensaire d’arrondissement à Tori-Bossito où des services de santé courants sont offerts.
Dans la pratique des soins infirmiers au Bénin, même si les procédures sont différentes et que tout ne s’effectue pas sous une rigoureuse asepsie, les stagiaires et enseignantes interviewées sont d’accord : elles ont donné de bons soins. Lors d’une vaccination de masse à la clinique de Tori-Bossito, où les conditions étaient plus rudimentaires qu’au centre de santé Le Messie, Jade « Aminvi » Fortin nous dit que ça allait très vite. « On se déplaçait parmi les gens avec trois aiguilles, une pour la cuisse gauche, une pour le bras droit et une pour le gauche. Mais à la fin, tout le monde avait ses vaccins. »
Lors d’un accouchement, les étudiantes ont vu une relation différente face à la souffrance, car il n’y avait aucune anesthésie. « Les femmes que j’ai vu accoucher m’ont vraiment impressionné par leur tolérance à la douleur », nous confie Kelly-Ann « Akoua » Harvey.
Marie-Soleil Bouchard en était à son premier voyage en avion. Elle était également assise tout près de l’homme en détresse. À leur arrivée après cet épisode, dans la chaleur accablante, elle avoue s’être sentie très loin de chez elle. Mais la vocation a tôt fait de reprendre le dessus lors d’un accouchement qu’elle qualifie de difficile et auquel elle et ses collègues ont activement participé. Elle me le raconte en termes techniques : détresse fœtale… hémorragie… épisiotomie… « Ça partait bien ! » En effet, malgré les complications, cette histoire-ci se termine bien.
Apprentissage transculturel
Quand on leur demande ce qu’elles ont appris de ces aventures d’infirmières sans frontières au Bénin, Kelly-Ann Harvey n’a aucune hésitation, « Y’a pas de soucis ». C’est la phrase qu’elle a entendue le plus fréquemment durant son stage. « Tu fais une erreur, tu vas plus lentement, y’a pas de soucis, c’est vraiment un autre rythme de vie. » Jade Fortin en a elle aussi retiré de belles leçons, « Oui, il y a de la misère au Bénin, mais j’ai surtout vu des gens heureux avec peu. Contrairement à ici, parfois. Maintenant, dans ma pratique, j’arrive à penser plus loin, à mieux comprendre les réalités culturelles de mes patients. »
Le choc culturel, Ariane « Ablavi » Maltais dit l’avoir eu en revenant quand « tu réalises à quel point notre société est individualiste et qu’on a tendance à chialer pour rien. » Elle ajoute avoir découvert des gens résilients dans un système de santé axé davantage sur la prévention que la guérison, faute de moyens.
Marie-Soleil est un brin plus tranchante : « On est vraiment de gros gaspilleurs dans notre système médical. J’ai un peu ça sur la conscience quand je fais mes soins ici. »
Étudiantes comme enseignantes, elles se disent plus aptes à affronter l’adversité, à comprendre l’autre, et à relativiser les situations difficiles. Et elles sont partantes pour d’autres missions humanitaires.« Avec ces filles-là, je repartirais demain matin », nous dit Ariane Maltais. On a même eu vent d’un tatouage collectif de leurs noms béninois. Un stage marquant, vous dites?
Les deux enseignantes ont souligné les compétences humaines du groupe. « On a vu des personnalités ressortir, même les plus anxieuses se sont montrées fortes, positives et en contrôle. C’était vraiment beau à voir », nous dit Joannie Potvin. « Les filles ne s’attardaient jamais au négatif, même face à des différences culturelles majeures ou lors de situations critiques. C’était un groupe de rêve. »
L’immersion est sans égale
« Ça fait partie de la profession infirmière d’avoir une approche de sécurisation de culturelle », nous dit Maude Laprise au sujet de la valeur d’une expérience culturelle et humanitaire immersive, créditée ou non, dans le cursus de soins infirmiers. « Le plus beau cadeau comme enseignante, c’est de voir tes étudiantes grandir à travers tout ça. Et ne pas avoir d’objectifs pédagogiques précis, ça enlève une pression de performance et favorise l’ouverture d’esprit. »
Habituée des voyages humanitaires, Maude Laprise nous dit que la quasi-totalité des programmes en soins infirmiers organise des voyages humanitaires, mais que « ça marche beaucoup par contacts. » En d’autres mots, ce sont des initiatives enseignantes propres à chaque établissement. Il n’y a pas de formule tout incluse. « Il faut chercher à créer des partenariats. »
Elle conclut en partageant la vision d’un responsable de l’organisation FeedNeeds. Pour lui, ces stages visent surtout à « permettre aux jeunes de pays plus riches de s’ouvrir parce qu’à ses yeux, nous sommes profondément malheureux chez nous, même avec tous les moyens. » Ça donne une perspective autre à l’expression « aide humanitaire ».