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Recherche collégiale au Centre TERRE

Virée hors réseau avec Martin Bourbonnais

Petite simulation : On a acheté, vous et moi, une pourvoirie hors du réseau d’Hydro-Québec. Rapidement, on réalise que son exploitation n’est pas aussi verte que la forêt qui l’entoure. Et ça marche au « fioul ». Avant de rentrer dans le bois, mieux vaut s’arrêter au Cégep de Jonquière pour s’entretenir avec Martin Bourbonnais, professeur-chercheur en énergies renouvelables et efficacité énergétique et lauréat du prix de l'Acfas Denise-Barbeau en 2023.

Par Olivier Veilleux-Spénard

Martin Bourbonnais, professeur-chercheur

« Je n’ai pas trop l’habitude des cas fictifs, nous, nos projets, c’est les problèmes réels de nos partenaires » , nous dit Martin Bourbonnais. « Des gens d’ici viennent nous voir avec des problématiques spécifiques pour lesquelles ils manquent de ressources. » C’est d’ailleurs la force de la recherche collégiale dans un CCTT, contribuer à l’innovation et au développement économique et social des entreprises et organisations de sa région. Les recherches du Centre TERRE, branche énergétique du Centre de production automatisé (CPA), sont principalement axées sur l'approvisionnement durable des sites isolés d’Hydro-Québec.

Le centre offre un service d'accompagnement complet aux gestionnaires de site souhaitant amorcer une transition énergétique loin des combustibles fossiles.Tout juste avant d’entrer dans notre réunion TEAMS, Martin était au téléphone avec un client voulant diminuer les coûts d’exploitation et l’empreinte écologique de sa pourvoirie. Sa génératrice diesel engloutit 2500 $ par semaine… La nôtre aussi, disons.

La première étape, c’est d’effectuer une analyse technique d'approvisionnement renouvelable. « On va faire une étude énergétique qui va permettre de planifier ton futur énergétique », nous annonce Martin en nous tendant une soumission. D’emblée, on constate qu’une subvention couvrira de 50 à 75% des coûts de l’étude. On s’entend sur les termes. « Parfait! On pèse sur le gaz », nous dit Martin. On grimpe dans le camion, direction la forêt vers l’une des quelques 565 pourvoiries du territoire québécois.

Projet solaire hors réseau installé cette automne à la Pourvoirie La Pointe aux Dorés, réservoir Gouin - Source: Centre Terre (Facebook)

« Ça n’a pas de bon sens, t’as une sécheuse électrique alimentée par une génératrice."

Sur place, à l’aide d’un petit système de monitorage, l’équipe du Centre TERRE mesure la consommation électrique de la pourvoirie pour toute la saison d’exploitation, disons de mai à octobre. Pendant que les données sur la consommation s’enregistrent, on fait le tour des bâtiments et des équipements énergivores avec Martin pour calculer leur efficacité énergétique. C’est l’étude préliminaire d’efficacité énergétique, ou « l’épée » dans le jargon, acronyme plus qu’approprié. En effet, les constats de Martin sont tranchants.

« Ça n’a pas de bon sens, t’as une sécheuse électrique alimentée par une génératrice. Tout ce qui produit de la chaleur ou du froid, il faut le couper de la génératrice. » Le prof nous apprend qu’une génératrice convertit seulement de 30 à 35% de son « fioul » en électricité, représentant, à la source, des pertes énormes. Par comparaison, avec un chauffage au propane, à l'huile efficace ou à la biomasse, on aura besoin de trois fois moins de carburant pour produire la même chaleur, et ça peut aller jusqu’à neuf fois, nous dit Martin. Nos chalets sont chauffés par des plinthes électriques…branchées à la génératrice. On coupe à grands coups d’épée et en chemin, on remplace les ampoules incandescentes par des ampoules au del.

« Faites-vous-en pas, on va vous dire combien ça va coûter, et en combien de temps ça va se payer. »

Plus Martin nous explique comment fonctionne notre pourvoirie, plus son problème de consommation devient évident. La détox s’impose. « Faites-vous-en pas, on va vous dire combien ça va coûter, et en combien de temps ça va se payer. »

Une fois le profil de charge électrique réel ou planifié mesuré, les données sont entrées dans HOMER, un logiciel spécialisé de modélisation énergétique qui nous permet de simuler tous les scénarios pour greffer à la pourvoirie des systèmes solaires, éoliens ou hydroélectriques, seuls ou en combinaison. Pour chacun de ses scénarios, le logiciel calcule 15 indicateurs, tels que l’économie de carburant et de gaz à effet de serre et le coût de revient de l’électricité. Martin et son équipe analyseront et proposeront les meilleurs scénarios énergétiques dans une étude d’une trentaine de pages « accessibles à monsieur madame Tout-le-Monde », insiste-t-il.

Avec cette étude en main, le scénario numéro deux avec le solaire et les batteries nous plaît. Mais qu’est-ce qu’on fait?

« Faites faire au moins trois soumissions par trois fournisseurs différents. »

On ne connaît personne.

« Voilà une liste d’installateurs fiables sur le site d’Énergie Solaire Québec. »

Merveilleux, mais on a besoin d’aide financière. « Pas de problème », l’équipe du Centre TERRE s’occupe de monter une demande de subvention, de remplir les formulaires, et de les acheminer aux instances gouvernementales.

L’accompagnement est complet, le processus, compréhensible, et la transition, accessible.

Une fois les installations terminées, on vérifiera pour nous la qualité des travaux effectués par les fournisseurs et continuera les analyses de données, telles que le suivi sur 10 ans des émissions de gaz à effets de serre afin d’améliorer les pratiques et les produits. Le Centre TERRE offre également de la formation sur l’opération des nouveaux systèmes. L’accompagnement est complet, le processus, compréhensible, et la transition, accessible.

Visite parc solaire

Les services très personnalisés du Centre TERRE s’adressent autant aux sites isolés, comme les pourvoiries, les sites touristiques ou les communautés, qu’aux installations desservies par le réseau d’Hydro-Québec comme les usines, les agriculteurs, les entreprises ou municipalités qui désirent participer à la transition énergétique. Le Centre TERRE agit par ailleurs à titre de consultant pour la Fédération des pourvoiries du Québec pour accompagner l’ensemble des pourvoiries dans la transition vers des énergies renouvelables et efficaces et le financement pour y arriver. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg de l’ensemble des implications du Centre TERRE. Martin Bourbonnais nous parle de nombreux événements porteurs locaux et internationaux auxquels il a été invité à vulgariser et présenter ses recherches et réalisations.

Des parcours d'études renouvelables

Grâce à son expertise reconnue dans plusieurs champs d’activités, le Centre TERRE s’avère un terrain fertile pour faire pousser des étudiants à leur pleine grandeur. Dès leur cégep, certains intéressés y sont embauchés à raison d’une dizaine d’heures de travail par semaine. Il y a en ce moment 4 stagiaires collégiaux au Centre TERRE. Et l’été, ils peuvent y travailler à temps plein et ainsi poursuivre leur apprentissage. En tout, les travaux combinés du CPA et du Centre TERRE représentent annuellement environ 150 projets dont des projets de fin d’études à tout niveau : du collégial au doctorant. En fait, le Centre semble vouloir créer une boucle sans fin : « On garde nos étudiants le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’ils aient terminé leurs études ou soient tannés de l’école, puis on les embauche! »

Martin en Tunisie

Selon Martin Bourbonnais, ce qui différencie les études, la recherche et le travail dans un centre de recherche collégial, c’est la diversité de la tâche. Selon ses champs d'intérêt et son horaire, l’étudiant ou l’employé peut tantôt rechercher, dessiner, calculer, programmer, tantôt être sur le terrain à donner de la formation ou mesurer le débit d’une rivière. Le professeur peut également en apprendre. Un projet d’un étudiant sur le développement d’intelligence artificielle pour contrôler une serre a récemment impressionné le maître.

Une des initiatives qui plaît le plus à Martin Bourbonnais est sans doute lorsque plusieurs cégeps se rassemblent pour améliorer l’intégration des étudiants dans la recherche collégiale. Par exemple, lors du Congrès de l’Acfas, tous les deux ans, des étudiants sont invités avec leurs professeurs à partager les forces et points à améliorer de leurs projets de recherche. Pour Martin, c’est important de ne pas faire les choses seul dans son coin, afin de développer une culture de bonnes pratiques d’encadrement des étudiants du réseau en entier.

« Quand on passe une journée tout le monde ensemble à se “challenger” et à apprendre des autres CCTT, on sort de là brûlé, mais tellement satisfait du travail accompli. »


Le Centre TERRE est un Centre d’accès à la technologie (CAT), l’équivalent fédéral d’un CCTT. Au Québec, un CAT doit être sous la gouverne d’un CCTT. À Jonquière, les travaux combinés du CPA et du Centre TERRE représentent annuellement environ 150 projets.