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Une pépinière d’auteurs-compositeurs-interprètes


Entretien avec Bruno Robitaille, directeur de l’École nationale de la chanson

Par Alain Lallier

Lors du dernier Festival international de la chanson de Granby, les diplômés de l’École nationale de la chanson (Bermuda, Étienne Coppée,Cayenne, Max Lapointe et Bagaï) ont, à eux cinq, remporté 13 des 21 prix remis lors de cette édition spécialement virtuelle. Cet exploit vient confirmer la réputation de cette école. Nous nous entretenons avec son directeur, monsieur Bruno Robitaille.

Le directeur de l’École, Bruno Robitaille, est très fier et très heureux pour ses diplômés. Remporter 13 prix sur 21, c’est tout un exploit, d’autant que ce sont des jurys indépendants provenant de l’industrie. Pour lui, remporter plus de la moitié des prix manifeste une unanimité dans l’industrie pour les diplômés de l’École. « Nous sommes fiers parce que ça démontre les efforts que l’on fait auprès des étudiants, de notre façon de les outiller. On s’est modernisé beaucoup au cours des dernières années dans notre approche. Avec de telles retombées, on se dit qu’on est dans la bonne direction. »

Bermuda

Une école avec un statut très particulier
L’École nationale de la chanson est la seule institution de formation de longue durée créditée comme auteur-compositeur-interprète dans la francophonie. « Il y a plusieurs écoles de musique dans plusieurs cégeps, mais la particularité de l’École, c’est le fait que tous les étudiants sont des auteurs, compositeurs-interprètes. Ils se doivent d’avoir une certaine base déjà à l’entrée dans ces différents aspects du métier. Nous travaillons autour des créations mêmes de nos étudiants, explique le directeur. Nous accueillions des candidats provenant de toute la francophonie. »

Étienne Coopée

Une formation pour une carrière qui va perdurer
La visée formatrice de l’École est d’outiller les futurs auteurs-compositeurs-interprètes. Ce métier ne s’adresse pas à tous. Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus surtout dans le contexte actuel de la chanson. « On veut outiller les jeunes et moins jeunes pour les aider à avoir une carrière qui va perdurer. Par contre, je l’affirme, les gens qui viennent chez nous sortent de l’École de la chanson après dix mois bonifiés, outillés comme ils ne l’ont jamais été.Tous s’améliorent; tous se donnent davantage de chances de faire ce métier en fin de compte. »

Cayenne

La sélection des candidats
L’École n’accueille qu’une quinzaine d’étudiants avec les critères d’admission exigés pour les attestations d’études collégiales (AEC). Aux critères habituels, l’École ajoute d’autres exigences : les candidats doivent soumettre des chansons et des vidéos. Une présélection est faite à partir d’une soixantaine de candidatures. Un certain nombre de candidats sélectionnés sont reçus en audition. Une quinzaine seront retenus.

Maxime Lapointe

Les frais d’études
Contrairement à l’enseignement régulier collégial, l’inscription à l’École exige certains frais. Il en coûte 130 $ par session, soit 300 $ par année auxquels s’ajoutent des coûts rattachés à l’acquisition de certains équipements : un métronome, un disque dur pour enregistrer et préserver leurs chansons. Mais, la valeur de la formation est évaluée à 15 000 $. Les étudiants ont accès au programme de prêts et bourses, s’ils sont éligibles. Il y a aussi des coûts d’hébergement pour les gens qui viennent de partout dans la francophonie. Ils doivent trouver un pied à terre à Granby. « Ce sont des coûts dérisoires compte tenu de la qualité de la formation et de la quantité d’outils que l’on fournit à nos étudiants », d’affirmer le directeur.

Bagaï

Le personnel enseignant
Les enseignantes et enseignants sont des chargés de cours comme tous les enseignants aux AEC. Le directeur actuel est en poste depuis 5 ans. Forte de ses 21 ans d’existence, l’École a aussi été dirigée par Robert Léger, compositeur émérite de Beau Dommage. « L’École a le souci de refléter la diversité et l’évolution de la chanson française d’où la présence de professeurs qui sont eux-mêmes des auteurs-compositeurs actifs sur la scène artistique. Eux-mêmes lancent des albums; eux-mêmes font des tournées comme Antoine Corriveau, Jipé Dalpé, Ariane Vaillancourt, Frédéric Baron… »

Maîtrise d’un instrument ?
Est-ce que les étudiants doivent maîtriser un instrument ? L’École travaille au niveau de la création et de la composition propre des étudiants. Ils se doivent avant tout d’être auteurs-compositeurs-interprètes. « Nous n’exigeons pas qu’ils soient virtuoses avec un instrument. Mais, ils doivent être en mesure de s’accompagner. Nous mettons beaucoup l'accent sur l’identité artistique : la corrélation entre les chansons, l’auteur et l’interprète. Nous faisons de plus en plus de coaching individuel. C’est par des actions de cette nature que nos diplômés se démarquent comme on a pu le voir au Festival de la chanson de Granby. »

Des diplômés très connus
Parmi ses diplômés, L’École compte des artistes très connus : Damien Robitaille, Lisa Leblanc,Andréanne A.Mallette, Salomé Leclerc, Francis Faubert, Alex Nevsky. Pour le directeur, la diversité de style de ces artistes traduit bien le travail de l’École. « On veut accompagner chaque artiste autour de son identité propre. Nous ne voulons pas ramener nos étudiants dans un moule. Notre mission, c’est de travailler avec eux pour comprendre leurs forces, leur unicité et leurs faiblesses. Renforcer leurs forces et améliorer leurs faiblesses. »

Et par temps de pandémie ?
Le confinement du 13 mars dernier a touché l’École comme tout le monde. Malheureusement, l’année a dû être terminée à distance. « Pour des arts vivants et de scène, ce n’est pas l’idéal. L’interaction et l’humain est au centre de notre formation. On s’est quand même rendu à terme et on a organisé des vitrines. On a dû annuler nos spectacles de fin d’année. Habituellement, les étudiants font de grands spectacles à Granby, au Théâtre Le Petit Champlain à Québec et aux Francos de Montréal. Le tout a été annulé. La rencontre avec les gens de l’industrie a dû se tenir en ligne. Nous avons tout de même diplômé 14 étudiants en juin dernier. Nous leur avons promis d’organiser un spectacle avec eux à Montréal pour les présenter aux gens de l’Industrie. »
La session présente se déroule jusqu’à maintenant principalement en présence sur place à l’École. Des mesures sanitaires spéciales ont été mises en place comme l’achat d’un micro pour chaque étudiant, installation d’écrans de plexiglas, port du masque quand on se déplace. « On est capable de faire de la musique encore à ce jour tout en respectant la distanciation sociale. »

Les liens avec le Cégep de Granby
L’École offrant une attestation d’études collégiales, la diplomation relève du cégep. Le financement vient aussi du cégep. Depuis trois ans, l’École a réactivé un OBNL qui offre des programmes de perfectionnement pour les artistes émergents ou établis.

L’avenir de la chanson
Dans le contexte actuel du marché des ventes de disques et de l’internet prédateur, peut-on gagner sa vie comme auteur-compositeur-interprète ?
Bruno Robitaille pense que oui. Il y a plusieurs exemples d’artistes québécois qui le démontrent. « Malheureusement, les redevances et la loi sur les droits d’auteurs ne favorisent pas les auteurs. Par contre, plusieurs en font un métier et en vivent. En fin de compte, c’est le public qui choisit quel artiste il va supporter ou quel spectacle aller voir. C’est un métier difficile. Il faut moduler ses attentes avec la passion qui nous habite. La création, c’est un besoin viscéral. Notre rôle, c’est d’outiller ces créateurs à réaliser leur rêve et à faire de la chanson un métier et poursuivre une carrière qui perdure. »