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Une bande dessinée pour penser la non-rencontre avec les peuples autochtones
Par Élise Prioleau
C'est le Québec qui est né dans mon pays, Éditions Écosociété, 2021.
Emanuelle Dufour est conseillère pédagogique Équité, diversité et inclusion au Collège Ahuntsic. Elle est l’autrice d’une bande dessinée sur le thème de la non-rencontre des peuples du territoire. Son livre part du constat de la méconnaissance de l’autre inscrite dans nos institutions. Au fil du récit, sa réflexion nous guide vers un dialogue entre autochtones et non-autochtones.
Emanuelle Dufour est conseillère pédagogique au Collège Ahuntsic et autrice.
La bande dessinée C’est le Québec qui est né dans mon pays raconte le périple à travers lequel Emanuelle Dufour est allée à la rencontre des Premières Nations d’ici. « Dans le livre, j’explique mon parcours de rencontre avec les réalités des peuples autochtones, qui a débuté avec le constat de mon ignorance de l’histoire coloniale », relate-t-elle.
« Dès le début du livre, je trouvais ça important de contextualiser la personne qui raconte, c’est-à-dire une personne allochtone, blanche, qui a un parcours et des biais. J’avais commencé un chapitre pour me positionner par rapport au sujet. Finalement, c’est devenu une partie très importante de la bande dessinée. J'ai voulu illustrer la dimension relationnelle de la non-rencontre», raconte-t-elle.
Partant de sa propre histoire, l’autrice mène une réflexion sur les effets collatéraux d’un « système colonial dans lequel des rapports d’inégalités sont à l’œuvre depuis des centaines d’années ». Une réflexion qui a poussé Emanuelle Dufour à rédiger une maîtrise en anthropologie sur la question de la sécurisation culturelle des étudiants autochtones au niveau postsecondaire.
« Par un effet miroir, mon cheminement m’a amenée à m’intéresser à nous, les Québécois, et au système dans lequel nous avons grandi. Je me suis demandé pourquoi on ne connaît pas les histoires autochtones, celles du territoire qui nous a vus naître et sur lequel on a grandi. J’ai tenté d’identifier les mécanismes responsables de cette méconnaissance-là. »
Plus de 50 collaborateurs
La bande dessinée illustre le parcours d’Emanuelle Dufour. On y retrouve une sélection de citations et de dialogues avec plus de 50 collaborateurs autochtones et non-autochtones. Des dialogues riches sur les enjeux relationnels et systémiques qui affectent notre lien entre personnes d'origine autochtones et non-autochtones.
Prudence Hannis, directrice de l’Institution Kiuna, le seul établissement collégial par et pour les Premières Nations au Québec. Source: C'est le Québec qui est né dans mon pays, Éditions Écosociété, 2021, p. 162.
Parmi les intervenants, Prudence Hannis, directrice de l’Institution Kiuna, a rédigé la préface du livre. Elle salue la démarche de l’autrice. Une démarche fondée sur la rencontre authentique, selon la directrice.
« L’intérêt des chercheurs et des étudiants pour les questions autochtones n’est pas nouveau. Il y a cependant de ces personnes qui inspirent confiance par leur patience, leur respect, leur souci d’une réelle collaboration à toutes les étapes du processus, leur volonté de co-construire et de faire autrement. C’est précisément l’approche adoptée par Emanuelle, ce qui a contribué à dissiper mes doutes. »
L’importance de nommer le malaise
Emanuelle Dufour convie les professeurs à communiquer leurs manquements en ce qui concerne les enjeux autochtones. « Nous sommes en situation de méconnaissance des réalités et des histoires autochtones dans notre système éducatif. Les enseignants eux-mêmes n’ont pas eu accès une formation adéquate sur notre histoire coloniale. Leurs connaissances sont fragmentaires et incomplètes. Dans ces conditions-là, c’est difficile d’aborder les expériences et cultures des peuples autochtones en classe », reconnaît-elle.
L’autrice en appelle à briser le silence sur les malaises que les enseignants ressentent lorsqu’ils abordent les chapitres épineux de l'histoire en classe. « Le témoignage, même celui du professeur, s’avère pertinent et constructif. Un professeur qui admet ne pas connaître parce qu’il a grandi dans un contexte éducatif qui avait ses lacunes, ça fait partie des apprentissages qu’on doit transmettre aux prochaines générations. Il est question ici de décomplexer l’enseignement. Il n’est pas question de tout connaître sur l’autre. L’important c’est d’entamer une réflexion critique et d’ouvrir un dialogue», soutient-t-elle.
Se responsabiliser
Le temps est venu d’engager un dialogue entre Allochtones et Autochtones sur un système qui nous tient à distance les uns des autres, pense Emanuelle Dufour. « Il ne s’agit pas de se culpabiliser ou, à l’inverse, de se justifier ou de se replier dans une attitude fataliste. Il s’agit simplement de reconnaître ce qui est, pour pouvoir amorcer une transformation, voire une guérison collective »
Il s’agit de se responsabiliser, c’est-à-dire de lever le voile sur les non-dits de notre passé commun, explique l’autrice. « À partir de la Conquête britannique jusqu’au soulèvement de la crise d’Oka, tout ce qui est la dépossession territoriale, le régime des pensionnats autochtones, la déportation des communautés innues, la Loi sur les Indiens et la rafle des années 1960 s’avèrent trop peu enseignés. Pourtant, ces chapitres-là doivent être absolument connus par tous les citoyens du territoire, parce qu’ils sont fondamentaux pour contextualiser les enjeux actuels. »
Aujourd’hui, il existe de nombreux outils pédagogiques disponibles pour les enseignants qui souhaitent aborder l’histoire autochtone dans leurs cours. La bande dessinée d’Emanuelle Dufour comporte également une médiagraphie dans laquelle on retrouve différents projets, œuvres, livres et films créés par des personnes autochtones ou en collaboration avec des personnes autochtones pour aller plus loin dans la rencontre.
Équité, diversité et inclusion au Collège Ahuntsic
Au Collège Ahuntsic, Emanuelle Dufour et ses collègues Gilbert Niquay, Julie Gauthier et Jean-Yves Sylvestre développent présentement une approche Équité, diversité et inclusion articulée autour de l’écoute et du dialogue, à l’image de la démarche proposée par la bande dessinée. Parallèlement à ceci, le Collège Ahuntsic a créé en janvier 2021, un espace de rencontre qui permettra entre autres d’accueillir et de collaborer avec des intervenants et des groupes autochtones.
Les 18 et 19 mai, l’Espace d’autochtonisation sera l’hôte d’un rassemblement pédagogique en collaboration avec l’organisme Mikana et différents partenaires des Premières Nations. En ouverture, un atelier entamera la co-création d’un guide pédagogique pour accompagner la bande dessinée. Treize des contributeurs des Premières Nations et du Peuple Inuit (dont la préfacière Prudence Hannis) co-animeront l’événement.
Pour voir la programmation complète du Rassemblement pédagogique : https://www.collegeahuntsic.qc.ca/notre-college/nouvelles/le-rassemblement-pedagogique-sur-lautochtonisation-de-leducation-postsecondaire-au-college-une-premiere-attendue-les-18-et-19-mai.