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La nouvelle autonomie des hygiénistes dentaires
Une transformation qui élargit les perspectives et l’accès aux soins
La réforme de 2020 offre de nouvelles responsabilités aux hygiénistes dentaires du Québec, ouvrant des voies inédites pour l’indépendance professionnelle et l’entrepreneuriat dans un secteur en pleine évolution.Tout est en place pour une démocratisation de la profession tout en comblant le fossé entre la demande et l’offre.
Par Ann-Marie Gélinas, rédactrice
Une réponse à la pénurie de personnel dans le secteur de la santé
La modification de la Loi 15 en 2020 a permis de conférer plus d’autonomie aux hygiénistes dentaires, qui peuvent désormais pratiquer de manière indépendante sept des quinze activités qui leur sont réservées. Dans un contexte de pénurie de personnel dans le réseau de la santé, cette nouvelle autonomie permet de délester le réseau tout en maximisant le rôle des techniciens et techniciennes de la santé. Pour les hygiénistes dentaires, cette réforme offre aussi la possibilité de lancer leur propre clinique, une option particulièrement attrayante pour les personnes aux aspirations entrepreneuriales.
Toutefois, il reste encore du chemin à faire pour sensibiliser le public. Nombreux sont ceux qui confondent toujours le rôle des hygiénistes avec celui des assistants et assistantes dentaires. Alors que les assistants et assistantes s’occupent de la préparation des salles et des instruments, les hygiénistes dentaires réalisent directement les interventions de prévention, de dépistage et de soins dentaires.
Autre point qui bénéficierait d’une plus grande sensibilisation : la perception très féminine du métier. « Peut-être que le côté entrepreneurial de la profession attirera plus d’hommes. Ce sont des suppositions, ça reste à voir, mais j’y vois là une belle occasion de démocratiser la profession.Il reste d’importants stéréotypes à casser dans le domaine », avance l’enseignante responsable de la coordination départementale et responsable de la coordination du programme Techniques d’hygiène dentaire au Cégep de Saint-Hyacinthe Marie-Soleil Laberge.
Le défi de la formation : s’adapter à une profession en mutation
Le ministère de l’Enseignement supérieur a entrepris la refonte du devis du programme Techniques d’hygiène dentaire pour l’adapter aux nouvelles réalités du métier. Ce dernier, qui datait de 1997, a été mis à jour pour inclure les compétences requises en matière de législation et d’entrepreneuriat, afin de mieux préparer les étudiants et étudiantes à leur future pratique. L’implantation du nouveau programme sera obligatoire pour l’automne 2026.
L’objectif est de donner aux futurs hygiénistes une base de connaissances pour l’exercice autonome de la profession, tout en abordant des notions essentielles pour le démarrage d’une entreprise. « Notre département collabore déjà avec des hygiénistes devenues formatrices, qui possèdent une expérience entrepreneuriale, pour inspirer les étudiants et étudiantes et leur faire découvrir les possibilités d’indépendance professionnelle », explique Marie-Soleil Laberge.
Vers une démocratisation de l’hygiène dentaire
La réforme permet non seulement une plus grande flexibilité dans la pratique, mais elle pourrait aussi encourager une plus grande parité dans la profession, en attirant des profils plus variés.
Pour les personnes qui souhaitent lancer leur propre entreprise, la pratique indépendante ouvre la voie à un modèle de soins qui mise sur la proximité et la personnalisation des services. « En Suisse, comme ce modèle de pratique existe depuis très longtemps, les mentalités sont différentes. Les gens prennent rendez-vous avec leur hygiéniste et tissent des liens avec lui ou elle, et non avec leur dentiste. Ils vont chez l’hygiéniste, contrairement à nous qui allons “chez le dentiste”, même si la majeure partie du travail, soit les soins préventifs, est réalisée par l’hygiéniste », illustre Marie-Soleil Laberge.
Cette proximité est également un atout pour les hygiénistes qui offrent des services ambulants à des clientèles vulnérables, comme les personnes ayant des limitations physiques ou mentales. En se déplaçant directement chez elles et dans les CHSLD, les hygiénistes dentaires peuvent répondre aux besoins de ceux et celles qui peinent à se déplacer.
Un possible agrandissement pour augmenter la capacité d’accueil
Il y a deux ans, le ministère de l’Économie a annoncé au Cégep de Saint-Hyacinthe l’octroi d’une enveloppe spéciale destinée à l’agrandissement de ses locaux dans le but d’augmenter le nombre de finissants et de finissantes. Depuis cette annonce, rendue publique en août dernier, les investissements nécessaires au projet ont été reportés, mais l’idée et la nécessité demeurent plus que jamais pertinentes.
En effet, le Cégep de Saint-Hyacinthe est perçu comme étant celui pouvant rallier le plus d’étudiants et d’étudiantes en Montérégie puisqu’il s’adresse aussi aux clientèles de Drummondville, de Sherbrooke et de Magog. « On ratisse très large et on sent que les besoins sont bien présents. La plupart de nos étudiants et étudiantes n’ont pas encore terminé leur technique qu’ils ont déjà en main une promesse d’embauche », mentionne Marie-Soleil Laberge.
Autre facteur qui ralentit l’afflux d’hygiénistes dentaires sur le marché du travail : la conciliation travail-études. Aujourd’hui la majorité du bassin étudiant termine sa technique en quatre ans et non plus en trois, animée par une gestion des priorités différente de celle des générations précédentes. Cet allongement des études freine l’arrivée de nouveau sang sur le marché du travail alors même que la demande est forte.
Expérience pratique : s’immerger dans le milieu grâce aux stages en clinique
Le programme Techniques d’hygiène dentaire du Cégep de Saint-Hyacinthe offre une formation théorique et pratique de pointe, en grande partie grâce à sa clinique intégrée et ultramoderne ouverte au public. Dès leur quatrième session, les étudiants et étudiantes y réalisent des stages supervisés par des enseignants ou enseignantes hygiénistes dentaires, qui leur permettent de s’exercer de façon concrète sur une clientèle réelle. Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, il leur est possible d’effectuer certaines tâches même en l’absence d’un ou une dentiste, une évolution qui leur confère une plus grande autonomie dans la prise en charge des soins.
La clientèle de la clinique du Cégep de Saint-Hyacinthe est généralement composée de personnes retraitées ou à revenus modestes, qui bénéficient de soins à tarifs réduits en échange de leur temps. Le rythme des consultations, beaucoup plus lent qu’en clinique privée, est adapté pour donner aux apprenants et apprenantes le temps de perfectionner leurs gestes, tout en leur offrant une immersion complète dans leur futur milieu de travail.
Les stages interculturels pour s’ouvrir vers de nouvelles pratiques
Depuis quelques années, les étudiants et étudiantes en techniques d’hygiène dentaire ont la possibilité de participer à des stages interculturels en santé publique, notamment en Afrique, en Suisse ou au sein des communautés des Premières Nations du Québec, auprès d’une clientèle diversifiée.
« Les stagiaires doivent d’abord choisir leur clientèle cible, puis élaborer un dossier expliquant comment elles comptent lui prodiguer des conseils et intervenir auprès d’elle. Il peut s’agir de femmes enceintes, de personnes confrontées à des limitations à l’emploi ou d’adultes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme », explique Marie-Soleil Laberge.
Cette expérience leur permet non seulement de découvrir une clientèle à laquelle elles n’ont pas souvent eu accès durant leurs études, mais également d’ouvrir leurs horizons sur d’autres réalités et de nouvelles possibilités.
La formation continue : une obligation de perfectionnement
Une fois leur diplôme en main et membres d’un ordre professionnel, les hygiénistes dentaires ont l’obligation de suivre 40 heures de formation continue tous les deux ans. Ces formations, offertes par des organismes reconnus, abordent des sujets variés comme la réanimation cardio-respiratoire, le contrôle des infections, l’éthique professionnelle et l’évaluation de l’exercice de la profession. Le Cégep de Saint-Hyacinthe propose aux professionnels et professionnelles une formation continue qui leur permet de se perfectionner et de rester à jour.
Cette formation continue donne également aux hygiénistes dentaires la possibilité de réfléchir sur leur pratique, de cerner leurs lacunes et d’établir des plans de développement professionnel en fonction de leurs objectifs de carrière.
En offrant aux hygiénistes dentaires plus de responsabilités, la réforme de 2020 marque un tournant pour la profession au Québec. Cette transition, soutenue par une formation adaptée et une sensibilisation accrue du public, permet d’offrir des services de santé de qualité tout en répondant aux besoins grandissants du marché. En consolidant les acquis de cette réforme, le secteur de l’hygiène dentaire continue d’évoluer vers un modèle de soins plus accessible, plus inclusif et mieux adapté aux attentes du public.