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Rémunération des stages
Tout travail mérite salaire
La rémunération mur à mur des stages. C’est ce que revendique Au Front pour la rémunération, une coalition d’organisations représentant plus de 250 000 personnes étudiantes. Portée par la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et l’Union étudiante du Québec (UEQ), cette lutte ne date pas d’hier.
Thérèse Lafleur, Portail du réseau collégial
« Il est inacceptable qu’il n’y ait toujours pas d’équité entre un stagiaire en génie et une stagiaire en soins infirmiers. Tous les domaines sont essentiels au bon fonctionnement de la société. La dévalorisation des professions non rémunérées nuit activement au recrutement et à l’épanouissement des étudiants-es qui souhaitent s’y engager, alors que les services publics québécois sont en criante pénurie de main-d’œuvre. » C’est ce qu’affirme Laurence Mallette-Léonard, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec.
En 2023, c’est à l’unanimité que les parlementaires ont adopté deux motions pour la rémunération des stages du secteur public. Dans les plus brefs délais. C’est maintenant à la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, de passer de l’intention à l’action. Les associations étudiantes attendent un échéancier clair et des investissements chiffrés.
Une estimation des coûts
Ces revendications sont menées chiffres à l’appui. Dans l’étude Estimation des coûts d’une rémunération des stages au niveau postsecondaire, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) évalue à 388 M$ la rémunération des stagiaires.
« La non-rémunération des stages », selon Milène Lokrou, chercheuse et co-autrice de l’étude, « soulève la question de la reconnaissance du travail étudiant. Puisque l’ensemble de la société bénéficie de ce travail, il est justifié de rémunérer les stages. Les stagiaires ne doivent pas être perçus comme une main-d’œuvre bon marché. Un investissement de 388 M$ freinerait la précarité et l’endettement des étudiants. La somme servirait à contrer les iniquités entre stagiaires et à revaloriser les professions exercées en majorité par des femmes ».
Les constats de l’étude interpellent. Sur près de 140 000 stages, seuls 16 % sont rémunérés. Malgré la nature des mandats confiés aux stagiaires, la majorité travaille gratuitement, notamment en santé, en éducation et en services sociaux. Une non-rémunération qui engendre de la précarité, de la vulnérabilité et de l’endettement. De plus, cette non-rémunération renforce l’inégalité entre stagiaires et invisibilise le travail des femmes. En effet, 74 % de ces stagiaires du collégial sont des femmes et 64 % le sont au niveau universitaire.
La présidente de la FECQ, Laurence Mallette-Léonard, soutient qu’« avec 84 % des stages encore non rémunérés, la situation est inexcusable. Au fond, c’est toute la société québécoise qui s’hypothèque en dévalorisant des domaines d’emploi essentiels. Des secteurs qui font les manchettes pour les pénuries de main-d’œuvre les affectant. »
« Les stagiaires s’impliquent concrètement sur le terrain. La recherche de l’IRIS le confirme. Par exemple, les étudiantes en Soins infirmiers font des prises de sang. Que ce soit en santé, en éducation ou dans les services sociaux, les stagiaires contribuent réellement aux services publics. Au Québec, il y a plus de 43 000 stagiaires au collégial et un peu plus de 100 000 à l’université. Les deux réseaux confondus, nous demandons que ces stagiaires soient rémunérés dans le cadre des actions posées sur le plancher, au public comme au privé. »
Un recul
Les stages en Soins infirmiers sont un bel exemple des tergiversations entourant la compensation financière des stages. Avant les bourses Perspective Québec, il y avait les bourses de Soutien à la persévérance et à la réussite des stagiaires. Ces bourses de soutien permettaient de recevoir une compensation pendant la session de stage. Ce n’est plus le cas avec l’avènement des bourses Perspective Québec. Les nouvelles bourses Perspective Québec visent essentiellement à susciter des inscriptions dans quelques programmes ciblés. Les associations étudiantes veulent, à tout le moins, que soit remis en place et bonifié ce qui était déjà là avant. Il est effectivement questionnable que les stagiaires en Soins préhospitaliers d’urgence n’aient pas droit à une compensation alors que ceux en Soins infirmiers bénéficient d’une bourse.
L’IRIS évalue à 388 M$ la rémunération des stagiaires.
La nécessité de rémunérer les stages est d’autant plus d’actualité devant la hausse du coût de la vie. Quand un stage obligatoire n’est pas compensé par une bourse ou un salaire, il y a péril en la demeure. Le stagiaire cumule souvent un autre emploi ou doit quitter cet emploi pour se consacrer à temps plein à son stage. Il doit payer sa session et les frais qu’amène le stage comme les déplacements ou l’uniforme. Parallèlement, il doit aussi payer son logement et son alimentation. Pour certains, les contraintes familiales entrent aussi en jeu. Bref, la non-rémunération des stages induit un contexte de précarité qui menace sa persévérance et sa diplomation. Une perspective peu invitante pour le recrutement d’étudiants dans des domaines où les besoins de main-d’œuvre sont criants.
La présidente de la FECQ prône la normalisation et la récurrence des mesures de compensation. « Je pense à ceux qui terminent leur secondaire. Ils se disent ‘’je n’irai pas en Soins infirmiers parce que je sais que, pendant une session, je vais travailler à temps plein et salaire’’. C’est le dilemme auquel sont confrontés les étudiants à l’heure actuelle. Je nomme Soins infirmiers parce que c’est un domaine en pénurie de main-d’œuvre, un domaine typiquement féminin, mais ce n’est pas le seul. Et quand ils sont rémunérés, les stages dans les services publics le sont beaucoup moins qu’au privé. En génie, en gestion ou en informatique, les stages au privé sont beaucoup plus rémunérés que ceux au public. »
Sur près de 140 000 stages, seuls 16 % sont rémunérés.
Il y a de multiples enjeux liés à la rémunération des stages. L’opposition à la non-rémunération des stages est imposante. Pour que le dossier progresse enfin, plus de cinquante organisations ont signé la lettre d’opinion Une énième rentrée marquée par des stages non rémunérés relayée dans les médias.
Un appui nuancé
La Fédération des cégeps appuie aussi cette revendication en y apportant une nuance. « C’est certain que lors d’un stage d’observation de deux semaines, ce serait abusif de demander une rémunération à l’employeur. Nous sommes convaincus que cela nous priverait éventuellement de milieux de stages. Par contre, pour les stages de longue durée, nous comprenons les associations quand elles disent que c’est abusif de ne pas rémunérer les stagiaires », explique le président Bernard Tremblay.
Il précise la position de la Fédération. « Nous sommes en faveur d’une compensation des stages plutôt que d’une salarisation, plus complexe à gérer. Restons dans un modèle ou une appréciation plus simple comme des bourses reconnaissant la prestation de travail du stagiaire. Cela n’a pas de sens qu’un étudiant qui, pour compléter sa formation, doit assumer tous les coûts d’une session de stage. Nous nous soucions aussi de l’équité. À stages équivalents, compensations équivalentes. Sans que le public soit le parent pauvre du privé. »
L’ensemble des prises de position met en lumière un consensus qui soutient la campagne menée par le Front pour la rémunération. Comme l’IRIS, la majorité plaide pour que l’apport des stagiaires au sein des organisations soit reconnu financièrement.
Le stagiaire cumule souvent un autre emploi ou doit quitter cet emploi pour se consacrer à temps plein à son stage.
L’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (ORES) abonde dans le même sens. Dans son récent dossier thématique Accessibilité financière aux études : quelles conditions pour la réussite étudiante ?, l’ORES aborde la question. Les négociations actuelles démontrent avec acuité la précarité financière et la surcharge que vivent les étudiants. Le contexte d’inflation aggrave la situation. Que ce soit sous forme de compensation ou de salaire, l’heure est à la rémunération des stages au public. Un secteur à prédominance féminine. Tout en revalorisant les professions du public, la rémunération des stages freinerait l’exode vers le privé. De plus, elle assurerait davantage d’équité des genres sur le plan des conditions socioéconomiques de réussite en enseignement supérieur. »