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Les défis de l’enseignement postsecondaire après la pandémie

Repenser le travail du personnel enseignant pour une adaptation durable

L’enseignement postsecondaire a connu de profondes transformations au cours des dernières années, particulièrement sous l’effet de la pandémie. Entre surcharge de travail, adaptation aux outils numériques et recherche d’autonomie pédagogique, les enseignants et enseignantes doivent sans cesse réajuster leurs pratiques. Une récente étude de l’UQAM met en lumière ces défis et propose des pistes pour alléger cette transition.

Ann-Marie Gélinas, rédactrice

En décembre dernier, une étude intitulée Transformations du travail d’enseignement postsecondaire dans l’après pandémie : quelles ressources, quels besoins? a été déposée par les chercheuses Mélanie Trottier et Mélanie Lefrançois, professeures au Département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion, à l’UQAM.Cette recherche fait état de changements rapides et profonds dans le milieu de l’enseignement postsecondaire dans le passé récent.

« Pour remettre le projet en contexte, il s’agit d’une étude qui s’est échelonnée sur deux ans et demi. Donc au début du projet, nous étions encore marqués par la pandémie. Nous avons d’abord tenté d’analyser la façon dont la pandémie modifiait l’enseignement, qui se déroulait principalement à distance, puis l’orientation a changé. Nous avons commencé à nous intéresser à ce que la littérature, qui était émergente, ne disait pas encore, donc aux angles morts », explique Mélanie Trottier.

Mélanie Trottier. Crédit photo : Émilie Tournevache

Une adaptation inégale aux nouvelles réalités de l’enseignement

L’enseignement en mode non présentiel a finalement servi de toile de fond, de prétexte pour sonder le ressenti de la population enseignante sur le terrain.

« Les partenaires de l’étude avaient l’impression que la population enseignante était essoufflée et se demandait comment on pouvait l’aider », ajoute Mélanie Lefrançois.

Les chercheuses ont donc entrepris une vaste consultation et ont observé que l’enseignement à distance était perçu positivement par certains et négativement par d’autres. Elles ont compris que, face à leur réorientation forcée par un contexte transformé, les membres du corps professoral ont réagi différemment en fonction de leurs besoins particuliers et de leur accès à des ressources pour s’adapter à leur nouvelle réalité.

Mélanie Lefrançois. Crédit photo : Émilie Tournevache

Malgré ces différences individuelles, un constat général a émergé : la charge de travail perçue a augmenté depuis la pandémie. Et cette surcharge est liée à deux besoins : celui de développer des compétences technopédagogiques et celui de jouir d’une autonomie à l’égard des modalités d’enseignement.

Le besoin de développer des compétences technopédagogiques : plus marqué à l’université

Les compétences technopédagogiques touchent tout ce qui soutient l’enseignement ainsi que la capacité à développer du contenu pour les plateformes numériques : la maîtrise de logiciels, notamment de présentation et de création de contenu, l’utilisation de plateformes de visioconférence, comme Zoom et Teams, les outils d’intelligence artificielle comme ChatGPT, les applications de messagerie, instantanée ou autre, ainsi que le matériel physique, comme les projecteurs.

« Un des points qui est ressorti lors des entretiens concerne les personnes qui considèrent avoir besoin d’améliorer leurs compétences technopédagogiques. Elles se sont dites en majorité ouvertes à les développer », commente Mélanie Trottier.

« On a constaté que certaines universités avaient déjà enclenché une réflexion avant la pandémie. Les enseignants et enseignantes des universités qui n’avaient pas encore pleinement amorcé cette transition semblaient avoir trouvé cela plus difficile », précise Mélanie Lefrançois. C’est sans doute ce qui explique le besoin de développement plus grand au sein des personnes qui enseignent à l’université par rapport à celles qui enseignent au cégep.

Certaines personnes plus chanceuses ou plus clairvoyantes avaient déjà entrepris certaines démarches pour développer leurs compétences avant que la pandémie frappe, que ce soit de leur propre chef ou à la demande de l’institution. La courbe d’adaptation a donc été moins grande pour elles.

Mais pour celles qui n’ont pas eu accès aux ressources nécessaires ou dont la charge était trop lourde pour acquérir ces compétences, il faut d’abord que la formation n’empiète pas sur leur temps personnel, les soirs ou les fins de semaine. On doit leur proposer un aménagement qui n’augmente pas davantage leur charge de travail, par ricochet.

Ensuite, les participants et participantes ont dit vouloir être davantage impliqués dans les décisions qui les concernent. Idéalement, leurs choix émaneraient d’un souhait personnel et non d’un décret qui leur est imposé.

Le besoin d’autonomie à l’égard des modalités d’enseignement : la réponse se trouve dans la concertation

Un autre aspect qui se rapporte à un choix individuel concerne l’autonomie à l’égard des modalités d’enseignement. Plusieurs enseignants et enseignantes ont exprimé le désir d’avoir plus de latitude dans la façon de prodiguer leurs cours.

L’étude a montré qu’il n’existait cependant pas de consensus sur la modalité d’enseignement parfaite ou idéale : certaines personnes préfèrent l’enseignement à distance, d’autres, en présentiel. Le souhait serait que le personnel soit davantage consulté plutôt que d’instaurer une façon de faire unique qui ne tient pas compte des particularités de chacun et chacune.

« Les dynamiques vécues varient non seulement selon les personnes, mais aussi selon les équipes, les disciplines et les départements. Des collègues rapportent que le travail d’équipe à distance, dans le cadre de comités ou d’autres activités, par exemple, les a éloignés alors que d’autres disent s’être rapprochés, nuance Mélanie Trottier.Il y a DES mesures, DES possibilités. Il n’y a pas un niveau de concertation qui est préférable à l’autre; mais plus les décisions se prendront près des gens, sur le terrain, mieux ce sera. »

Afin de mettre en place des solutions qui conviennent à toutes les parties prenantes, il faudra donc procéder à des consultations de différents niveaux de granularité.

Surcharge de travail et hyperconnectivité : des limites à poser (et à s’imposer)

L’étude nomme aussi plusieurs conséquences négatives de l’augmentation de la surcharge de travail. On cite notamment les douleurs musculosquelettiques causées par les heures prolongées devant l’ordinateur, les maux de tête et la fatigue visuelle attribuables aux longues périodes d’exposition aux écrans et la prise de poids découlant pour certaines personnes de la sédentarité amenée par le volume de travail.

Certaines personnes ont aussi remis en doute leur carrière. Elles ont songé sérieusement à prendre leur retraite puisque la vague de changements forcés par les mesures sanitaires leur semblait insurmontable. Plusieurs membres du personnel sont aussi préoccupés par leurs jeunes collègues récemment diplômés et leur capacité à réellement s’intégrer dans certains milieux où on décrit un collectif de travail effrité.

Autre effet pervers propre au contexte de l’après-pandémie : les attentes liées à la connectivité. Depuis que la communauté étudiante a eu accès aux enseignants et enseignantes au moyen de la messagerie instantanée des plateformes de visioconférence, elle s’attend à pouvoir communiquer avec eux et elles en tout temps.

« Des participants et participantes de l’étude ont abordé le droit à la déconnexion. Selon eux, il faut établir des normes, des façons de fonctionner. Avant la pandémie, les étudiants et étudiantes pouvaient leur écrire des courriels à toute heure; ils leur répondaient au moment qui leur convenait. Mais pendant la pandémie, ils leur répondaient instantanément parce qu’ils sentaient leur insécurité. Et plusieurs ont conservé cette façon de faire : une brèche s’est ouverte »,mentionne Mélanie Lefrançois.

Finalement, la surcharge perçue est non seulement attribuable à l’enseignement, mais aussi à toutes les autres tâches qui accompagnent la profession : la recherche, la préparation des cours, les rencontres et la participation à des comités. « Les résultats du sondage montrent que les réunions à distance et les cours donnés par visioconférence permettent de réaliser des économies de temps. Mais les gains de temps réalisés sont réinvestis par plusieurs dans le travail pour diminuer la surcharge », analyse Mélanie Trottier.

« L’enseignement est un métier qui n’a pas vraiment de début ni de fin. Sans règles bien précises en place, cette responsabilité occupe constamment à l’esprit », conclut Mélanie Lefrançois.