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Michèle Fortin et Pierre Fortin, lauréats du Prix Guy-Rocher

Par Alain Lallier

Pour la première édition du Prix Guy-Rocher, la Fédération des cégeps reconnaît les contributions de Michèle Fortin et Pierre Fortin. Les deux personnalités ont accepté de s’entretenir avec le Portail de cette distinction et de l’importance qu’ils accordent aux cégeps.

             

Q.  Vous avez reçu de nombreuses distinctions au cours de votre carrière. Comment avez-vous accueilli ce Prix Guy-Rocher de la Fédération des cégeps ?

Michèle Fortin : Dans mon cas, j’ai été étonnée. Mise à part ma contribution récente au conseil d’administration du Cégep Gérald-Godin, ma présence dans le réseau collégial date d’il y a quelques années, mais demeure une étape importante de ma vie. Bien sûr, recevoir le Prix Guy-Rocher constitue un réel honneur pour moi, une des anciennes étudiantes de ce grand professeur de sociologie.

Ce qui était particulièrement valorisant, c’est que l’on reconnaisse que j’ai passé la moitié de ma vie en éducation, particulièrement en enseignement supérieur en compagnie des cégeps, des universités et du monde de la recherche, et ce, même si j’ai travaillé dans les domaines de la culture et des communications pendant de nombreuses années. De voir que cette partie de ma contribution n’a pas été oubliée me touche beaucoup et qu’elle soit reconnue m’a étonnée. J’étais particulièrement contente.

Pierre Fortin : Nous avons reçu des prix à l’extérieur du Québec, mais ce qui fait particulièrement plaisir, c’est d’être reconnus chez nous. C’est quelque chose d’assez important pour Michèle et moi. Monsieur Rocher, l’un des pères des cégeps avec ses collègues du Rapport Parent, demeure le survivant qui continue à porter le flambeau. C’est particulièrement honorant pour nous que l’on reconnaisse notre appui à une des grandes innovations du Québec, les cégeps. C’est marquant. Les cégeps sont des établissements uniques au Canada. Il y a toujours eu de la controverse à leur endroit : comme on ne fait pas comme les autres, ça ne doit pas être bon et, surtout, c’est québécois. Nous avons essayé de démontrer que ce n’était pas le cas. Au contraire, les cégeps ont permis des avancées importantes à l’égard de la scolarisation. Recevoir ce prix est important. Il reconnaît que nous avons contribué à révéler et à promouvoir les cégeps comme une grande innovation lancée par Mgr Parent, Guy Rocher et les autres commissaires.

Q. Madame Fortin, vous avez travaillé comme sous-ministre adjointe au ministère de l’Éducation et au ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Vous avez participé à la naissance des centres spécialisés qui sont devenus les CCTT aujourd’hui.

Michèle Fortin : Les premiers centres spécialisés, créés quand j’étais en poste, constituaient une innovation. Les cégeps étaient pour plusieurs le substitut aux collèges classiques. La volonté du gouvernement était de positionner les cégeps dans un rôle important dans les régions, et ce, dans tous les domaines, incluant la recherche. Quand on a récemment avancé l’idée de créer un centre de transfert au Cégep Gérald-Godin, j’étais très contente d’en faire moi-même la proposition. Pour moi, ces centres ont une fonction importante de services à la collectivité. C’est au bon niveau, une bonne façon de faire, et les centres ont fait leurs preuves en répondant aux besoins des petites et moyennes entreprises régionales.

Q. Monsieur Fortin, vous avez fait des recherches sur la performance des réseaux collégiaux à travers le Canada. Pourquoi les autres provinces n’ont-elles pas adopté notre modèle de cégep ?

Pierre Fortin : Pour des raisons politiques. Allez demander à l’Université de Toronto de se départir d’une de ses quatre années d’études universitaires pour faire place à un secteur préuniversitaire de type cégep…vous ferez rire de vous. Politiquement, c’est impossible et impensable. Le jour où nous avons réussi au Québec, c’est parce que nous étions dans une conjoncture historique où nous voulions réexaminer l’ensemble de nos institutions, parce que nous nous sentions grandement en retard sur le plan de l’éducation. Nous avons joui d’un avantage historique, un aléa qui est difficilement reproductible dans d’autres provinces aujourd’hui. Plusieurs collègues économistes de l’extérieur du Québec qui font des recherches dans le domaine de l’éducation envient énormément notre système collégial. Mais ils sont conscients qu’il est impossible aujourd’hui d’implanter un réseau collégial semblable au nôtre.

Q. Monsieur Fortin, vous avez démontré dans vos travaux de recherche l’impact de la création des cégeps en matière d’accessibilité à l’enseignement postsecondaire.

Pierre Fortin : Nous sommes allés voir, dans les données du recensement du Canada, les cohortes d’étudiantes et d’étudiants âgées de 17 ans qui sont arrivées juste après l’arrivée des cégeps et les avons comparées avec celles qui avaient eu 17 ans un peu avant. Nous voulions jauger l’importance de la différence quant au degré de scolarisation et avons constaté qu’elle était considérable. Nous avons également démontré que la création des cégeps avait eu plus d’impact sur la scolarisation des jeunes que la mise en place des collèges communautaires (CATT) en Ontario.

Q. Madame Fortin, vous avez œuvré en éducation, mais avez aussi connu une longue carrière dans le secteur des communications et de la culture, à Téléfilm Canada, à Radio-Canada et à Télé-Québec, où vous avez manifesté un souci d’imprégnation dans les régions. Vous êtes particulièrement sensible au rôle culturel des cégeps en région.

Michèle Fortin : Dans les régions, parmi les grandes institutions, il y a les hôpitaux, bien sûr. Il y a aussi des maisons d’enseignement supérieur, grâce au réseau de l’Université du Québec. Mais dans toutes les régions, il y a au moins un cégep. Le gérant de la salle de spectacle, c’est le cégep; le théâtre, c’est le cégep; le ciné-club, c’est le cégep. Il existe un ferment de culture dans les cégeps. Le regroupement des jeunes autour de ces établissements valorise la culture. À Granby, il y a le Festival de la chanson. Dans tous les cégeps, il y a Cégeps en spectacle. À Télé-Québec, nous avons créé La Fabrique culturelle qui existe toujours. Regardez le nombre de personnes dans la Fabrique culturelle qui proviennent des cégeps. En littérature, le nombre d’écrivaines et d’écrivains qui enseignent au cégep est impressionnant. Les cégeps permettent aux jeunes et aux professeurs de créer et de se développer. Il y a plus d’écrivaines et d’écrivains qui enseignent dans les cégeps que dans les universités. Et ces créateurs-écrivains transmettent leur passion aux étudiants. Le Cégep Gérald-Godin loge la seule salle culturelle francophone de l’ouest de Montréal, et c’est le lot de plusieurs cégeps en région.

Q. Le contexte de la pandémie rend les choses difficiles pour tout le monde. Les journaux parlent régulièrement de problèmes de santé mentale et d’isolement rattaché à l’enseignement à distance. Si vous aviez à vous adresser aux étudiantes et aux étudiants, quels seraient vos conseils ?

Pierre Fortin : Je dirais qu’il faut aller le plus loin possible, au bout de vos goûts et de vos aptitudes, quels qu’ils soient. On entend souvent le discours que nous entrons dans un monde technologique et que les étudiantes et les étudiants devraient choisir des professions dans ce domaine. Je regrette! Car,concernant la croissance de l’emploi dans l’économie, Statistique Canada et Emploi-Québec arrivent à la même conclusion : les métiers et professions les plus importants, où il y aura de la création d’emplois dans les années à venir, ne se trouvent pas dans les secteurs technologiques, mais dans les secteurs où les relations humaines sont les plus importantes. Ça va des serveurs au comptoir aux aide-soignants dans les hôpitaux, en passant par les enseignants et les professionnels en ressources humaines. Il faut éviter de vouloir pousser à tout prix les étudiants dans les domaines technologiques. Ce qui est important, c’est que l’étudiante ou l’étudiant soit guidé pour aller au bout de ses propres aspirations. Nous excellons dans notre vie dans les domaines qui nous plaisent le plus. Allez le plus loin possible au bout de vos domaines d’intérêts et de vos aptitudes, quels qu’ils soient. Il est important de voir à long terme et pas seulement à court terme. Quand des obstacles se présentent et qu’il y a des embûches à surmonter, il faut travailler fort pour réussir, arriver à terme et compléter le diplôme dans le domaine qui vous intéresse. Le fait d’obtenir un diplôme collégial ou universitaire permet non seulement d’avoir un niveau de revenu plus élevé, mais aide beaucoup à accéder à un épanouissement complet, au bonheur. Plus heureux, vous aurez ensuite un impact des plus positifs dans l’éducation de vos enfants.

Michèle Fortin : L’important, c’est que le cégep permette d’explorer différentes avenues. Ce n’est pas évident pour tout le monde d’aimer les mêmes choses et d’exceller dans les mêmes domaines. Il faut permettre aux jeunes d’explorer. Dans le fond, nous sommes des autodidactes toute notre vie. Il importe d’avoir les outils nous permettant de naviguer à l’intérieur d’un monde en changement. Nous devons donner à nos jeunes une certaine confiance afin qu’ils puissent entreprendre différentes initiatives qu’ils réussiront probablement.