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Condition étudiante et inflation

L’inflation est-elle inscrite au Cégep?

Depuis la rentrée scolaire, nos médias ont souvent fait état du choc de l’inflation. Matériel, loyer, transport, alimentation, tout coûtait plus cher cette année et force est de constater qu’à l’approche des fêtes, la pression sur le portefeuille des étudiants ne s’est pas relâchée d’un pascal...

Olivier Veilleux-Spénard, Portail du réseau collégial

Collège d’Alma, direction salon des étudiants internationaux où l’atmosphère est à la fête en cette Coupe du monde de la FIFA aux couleurs de Noël – on est vendredi après-midi. « Pardons, puis-je te demander si l’augmentation du coût de la vie a changé quelque chose dans ta vie au Cégep? »

Jason, du Cameroun, et étudiant en Techniques de l'informatique, nous dit : « Je crois que la loi ne nous avantage pas. Il faudrait travailler plus. Mais on ne peut pas faire plus de 20 heures par semaine, et de toute façon, n’étant pas salariés à temps plein, tous les étudiants sont automatiquement touchés par l’inflation. » On sent que Jason est pressé de travailler.

Jade Bilodeau, technicienne en éducation spécialisée, et présence indispensable auprès de nos jeunes, intervient : « Avec un horaire de 30 heures de cours par semaine, c’est vraiment pas recommandé de travailler 20 heures. Par expérience, quand les étudiants travaillent trop, c’est la réussite scolaire qui écope ». En effet, si le nombre maximum d’heures de travail pour un étudiant à temps plein qui ne veut pas perdre son aide financière est de 20, celui recommandé par la majorité des établissements est plutôt de 10 à 15 (comme ici sur le site web du Cégep Sorel Tracy ou sur celui du Cégep Marie-Victorin)

Juste à côté, Audrey également camerounaise, étudiante en soins infirmiers, ajoute : « Moi, je vois un très gros changement. Prenons le Taxibus, quand je suis arrivée, le tarif était de 3,75$ par passage, maintenant c’est 5$. » Précisons qu’à Alma, le transport collectif est assuré par des taxis et que les utilisateurs doivent réserver leur passage par téléphone au moins une heure avant leur départ. Si on fait un calcul rapide, chaque fois qu’Audrey doit se déplacer et qu’elle ne peut y aller à pied, c’est 10$, car c’est plutôt rare d’aller faire l’épicerie et de pas en revenir. Lorsqu’Audrey doit se rendre à l’hôpital pour y travailler, elle prend le taxi régulier et c’est entre 15 et 23$ la course. Fois deux.

En passant, Cameroun 1 – Brésil 0

On intercepte ensuite Lisa, étudiante française en chant jazz et piano. Avant de répondre, elle demande comment prononcer les paroles de If I ain't got you d'Alicia Keys, puis elle me dit : « En France, seulement avec les bourses, je pouvais étudier sans travailler. Ici, je n’ai pas droit aux bourses et c’est très compliqué financièrement. Même en travaillant, je n’arrive pas au niveau de vie que j’avais chez nous en ne travaillant pas. Mais j’aime ce que je fais! » Le cas de Lisa est intéressant. L’année dernière, elle était au bac en travail social à l’UQAC et avait droit aux bourses françaises, mais elle a changé de choix de carrière et s’est inscrite en musique. L’état français considère qu’elle a décidé de rester au Québec de son plein gré et Lisa a du coup perdu toute aide financière.

À la cafétéria, il n’y a que trois personnes qui étudient. Deux agents de protection de la faune nous confient : « Avant de commencer l’AEC, j’avais un bon boulot et j’avais sauvé un peu d’argent, mais là, vu que je suis pas admissible aux prêts et bourses ou aux programmes comme Emploi-Québec, je suis obligée de travailler pas mal, disons. Et personnellement, avec une trentaine d’heures de cours par semaine, je ne suis pas capable de travailler plus de 20 heures par semaine. Donc je m’ennuie de mon ancien travail », avoue Kellyan, de Sherbrooke.

En face d’elle, portant toujours fièrement le short en ce début décembre, Philippe de la Rive-Sud de Montréal est dans une tout autre situation : « Moi, je suis avec Emploi-Québec, donc ça me donne quand même un bon coup de main. J’avais un bon coussin, je demeure en appartement avec ma blonde, ça veut dire en gros qu’on est deux à payer le pot de mayonnaise, c’est plus facile. » Il n’est pas frileux, ce Philippe.

Sandrine, d’Alma, étudiante en soins, est plutôt préoccupée par ce qui s’en vient : « En ce moment, l’inflation ne me touche pas beaucoup, mais je pense que l’année prochaine, en déménageant à Québec pour l’université, ça va nous coûter extrêmement cher, l’appartement, l’école, l’épicerie… ».

Au centre social, Lucie, en sciences humaines, ne passe pas par quatre chemins : « Je fais Chambord-Alma tous les jours et je n’ai plus une cenne. Mais j’ai une carte de crédit 😉! »

Rejoint via Teams, John-Henlee Weizineau vient d’Obedjiwan et étudie en chant au Collège d’Alma. D’ailleurs, plusieurs espèrent le voir chanter un jour devant le plus grand nombre de gens possible. Il nous avoue sans détour qu’il n’a pas payé son cellulaire depuis deux mois et que la nourriture est très chère. « On perd beaucoup de liberté. J’ai mis ma vie sociale un peu sur pause. » Notons qu’Obedjiwan (Opitciwan, en atikamekw) est à 334 km, 6 heures de route, du Collège.

Une tournée rapide des communications de nos Cégeps à l’approche de la période des Fêtes révèle une tendance qui n’est pas sans rappeler la dynamique de la colocation. Le 17 novembre dernier, l’AGEECC lance son frigo solidaire et son garde-manger du partage pour venir en aide aux étudiants touchés par l’inflation. Tiens donc, les frigo-partages. On vient d’en inaugurer un à Alma. Il y en a un au Cégep de Matane, au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, il y a le Frigo-don du Cégep de Beauce-Appalaches, le Frigo Free Go à Sherbrooke, les Frigos Touski à Sorel-Tracy,  le frigo et l’armoire partage du Cégep Garneau, l’Amigo Frigo à Saint-Félicien, et assurément plusieurs autres non répertoriés sur le site de Sauve ta bouffe. Toutes ces initiatives sont relativement récentes et si elles semblent toutes avoir un but de sensibilisation au gaspillage et à la précarité alimentaire, les dernières nouvelles de ces aires solidaires nous laissent croire que leur popularité chez la communauté cégépienne est en augmentation.

À l’approche des Fêtes

Au Collège d’Alma, Marie-Pascale Tremblay, directrice adjointe aux services aux étudiants, constate une hausse de demandes au fonds de secours et confie que davantage de paniers de Noël seront distribués cette année. Au Cégep de Chicoutimi, Lily Houle, quant à elle, responsable du service de l’aide financière, observe « une légère hausse des demandes au fonds de secours, mais celle-ci se produit chaque année aux mois de novembre et surtout décembre. » Il faudra vérifier si la tendance se maintient après les Fêtes.

Une tournée rapide des communications de nos Cégeps à l’approche de la période des Fêtes révèle une tendance qui n’est pas sans rappeler la dynamique de la colocation.

C’est en regardant les données recueillies par le Sondage sur la population étudiante des Cégeps (SPEC) mené par la Fédération des Cégeps que l’on peut mieux comprendre l’anxiété des collégiennes et collégiens face à leur situation financière. Sans surprise, ceux et celles avec un « antécédent collégial », ou en d’autres mots qui ont changé de programme ou ont effectué un retour aux études, sont le plus fréquemment aux prises avec des enjeux financiers. Les inquiétudes évoquées dans les réponses vont des « difficultés à payer les dépenses de base, aux dettes personnelles qui s’accumulent, aux revenus d’emploi insuffisants et à l’absence de prêts et bourses ».

C’est normal

Le mot de la fin va à Nadine Renaud, intervenante psychosociale au Collège d’Alma : « Je crois qu’il faut continuer de faire connaitre les différentes ressources et programmes offerts aux étudiants, et surtout de briser les tabous. Il faut normaliser leur situation, leur dire que c’est la vie et que ton cégep est là pour toi. »

Depuis le début de la session

En août, dans une série de chroniques pour Radio-Canada, Pascale Langlois est allée à la rencontre d’étudiants entrant au Cégep de Trois-Rivières. Elle constate que l’impact de l’inflation se faisait sentir dès le jour un. Cette incursion en Mauricie met en relief les différentes ressources que les établissements ont à leur disposition. Et c’est dans les fonds d’urgence que ça cogne, sous forme de demandes accrues pour du dépannage ciblé : essence, épicerie, matériel informatique, etc.

Du moment où l’on se penche sur l’impact de l’inflation sur la réalité cégépienne, on constate que les bancs d’école ont deux bêtes qui rôdent autour et qui n’entendent pas jouer à la chaise musicale : d’un côté, l’inflation, et de l’autre, la pénurie de main-d’œuvre. C’est ce qu’en anglais on appelle avec justesse un « double whammy » ou encore un « one-two punch » au menton des études supérieures. Ce double coup affecte déjà les cégeps en amont comme on a pu le lire dans un article de Léa Carrier paru dans La Presse. On y découvre le cas de Sara, une adolescente de 16 ans de la région métropolitaine et dont le parcours scolaire fut ardu ; doublage, redoublage, intimidation. Bref, l’attachement à l’école pour Sara ne tenait qu’à un fil. Résultats des courses : des salaires alléchants, à temps plein, et une situation familiale précaire auront eu raison de son diplôme d’études secondaires. On peut dès lors se demander combien de Sara les Cégeps n’auront pas la chance d’accueillir. À suivre.