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Littératie au Québec
Les cégeps au cœur de la solution
Lire, écrire, compter, ce qu’on appelle la littératie, vient de faire l’objet d’une étude de la Fondation pour l’alphabétisation. Une cause du retard du Québec ? L’absence d’établissements collégiaux dans certaines régions.
Élise Prioleau, Portail du réseau collégial
La moitié des Québécois-es n’atteint pas le niveau 3 en littératie, considéré essentiel pour fonctionner dans la société actuelle. C’est ce qu’on sait depuis les enquêtes internationales de 2003 et 2011. Considérant la très forte corrélation entre littératie et scolarité, une projection permet de considérer qu’en 10 ans, le Québec a rattrapé la moyenne canadienne, mais il pourrait faire mieux, selon Pierre Langlois, économiste et auteur de l’étude Incidence de la structure scolaire et collégiale sur la littératie des régions.
Comment rehausser le niveau de littératie au Québec ? L’étude, publiée en juin, est claire à ce sujet : il faut d’abord compléter le réseau des centres d’études collégiales (CEC) dans les régions éloignées.
Un accès inégal aux établissements collégiaux
Pierre Langlois estime que l’accès généralisé à un établissement collégial permettrait de faire reculer le pourcentage de personnes qui n’atteignent pas le niveau 3 à 40 % de la population. Cependant, il déplore le fait que 32 MRC du Québec n’aient toujours pas de présence collégiale sur leur territoire. L’étude démontre que dans ces municipalités, la population a tendance à être moins scolarisée, et donc moins lettrée. Ces 32 MRC représentent 1,2 million de personnes.
« Les MRC ne pouvant offrir un accès collégial local ont un profil de scolarité caractérisé par une fréquentation supérieure de l’enseignement professionnel, une scolarité terminale en secondaire 5 plus élevée et, implicitement, une diplomation collégiale et universitaire plus faible au sein de la population », dit l’étude.
Les municipalités régionales de comté (MRC) du Québec dont les cégeps se situent à plus de 20 km de leur territoire observent au sein de leur population un profil de scolarité plus faible que leurs voisines.
Pierre Langlois constate que les jeunes ont tendance à se diriger vers une formation professionnelle en plus grand nombre lorsqu’ils sont à plus de 20 km d’un établissement collégial. « Par exemple, on retrouve à Lachute un centre de formation professionnelle, la voie royale pour la poursuite des études après le secondaire chez une partie de la population. Il y a un enjeu à cet égard en littératie parce que dans les centres de formation professionnelle il n’y a généralement pas de suivi en littératie, contrairement en Ontario. Dans son réseau des collèges communautaires, les community college, il y a un suivi en littératie à travers des cours de langue et des mises à niveau. »
Les centres d’études collégiales, un modèle qui fonctionne
Le Québec compte 16 centres d’études collégiales (CEC) répartis dans les régions éloignées. Ces antennes collégiales sont sous la supervision d’un cégep et offrent généralement au moins un programme préuniversitaire ainsi que des programmes techniques. Marie-Claude Deschênes, porte-parole du Regroupement des cégeps de région et directrice générale du Cégep de La Pocatière, considère que ces antennes collégiales sont essentielles au développement culturel des régions.
« Les jeunes qui vivent à proximité d’un établissement collégial vont souvent le fréquenter dès le plus jeune âge. Ils vont venir à la bibliothèque, ils vont fréquenter la salle de spectacle et vont utiliser les installations sportives. Le fait d’avoir un établissement collégial dans une région, c’est sûr que ça a un effet de motivation, d’encouragement et de persévérance pour les jeunes », souligne-t-elle.
Marie-Claude Deschênes considère que Québec pourrait en faire plus pour soutenir le développement du réseau des centres de formation collégiale. « Les CEC pourraient être plus nombreux. Quand on fait venir des enseignants dans une région, on voit tout de suite l’effet sur la communauté. C’est un modèle qui fonctionne. Ça fait 30 ans qu’on a un centre d’études collégiales à Montmagny et ça fait 7 ans au Témiscouata, et je la vois la différence. Chaque diplômé de la région influence ses amis, sa famille.
« Quand on fait venir des enseignants dans une région, on voit tout de suite l’effet sur la communauté. » Marie-Claude Deschênes
On voit même des parents qui s’inscrivent en formation continue pour augmenter leur niveau de littératie. Tous les cégeps de région sont un pôle culturel central sur leur territoire », rappelle-t-elle.
Scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans
L’étude menée par l’économiste Pierre Langlois offre d’autres solutions au retard québécois en matière de littératie. Parmi celles-ci, la fréquentation scolaire obligatoire jusqu’à 18 ans, une mesure qui donne de bons résultats en Ontario.
« C’est un autre élément qu’on pense qu’il faut adopter au Québec, et qui est discuté présentement. Il s’agirait d’offrir un secondaire 6, pour les jeunes qui n’ont pas tous leurs crédits pour graduer. Cette mesure permettrait d’offrir un parcours plus personnalisé au secondaire, qui offrirait une alternative à la filière professionnelle ou de la formation aux adultes souvent proposée aux élèves en difficulté au secondaire », explique Pierre Langlois. Les étudiants qui arriveraient à terminer leur secondaire en cinq ans seraient obligés de poursuivre leurs études au cégep au moins jusqu’à l’âge de 18 ans.
La littératie, une mesure de développement
Les intervenants sur le sujet sont unanimes : le résultat d’une population donnée en littératie est intimement lié à la santé économique de ce territoire.
« Dans la première étude AlphaRéussite on a constaté qu’une meilleure espérance salariale est liée à un niveau de littératie de niveau 3, comparativement à un niveau 2 », explique l’économiste.
« L’atteinte du niveau 3 en littératie par tous les Québécois permettrait de rehausser le PIB de 4,9 milliards de dollars. » Pierre Langlois
Pour Pierre Langlois, il ne fait pas de doute que les résultats globaux d’un pays en littératie, c’est également une mesure de développement économique. Il avait d’ailleurs calculé dans sa première étude AlphaRéussite que l’atteinte du niveau 3 en littératie par tous les Québécois permettrait de rehausser le PIB de 4,9 milliards de dollars.