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Entrevue avec Annie-Claude Prud’homme

Lancement du livre « La relation qui transforme »

Le Portail du réseau collégial du Québec s'entretient avec Annie-Claude Prud’homme, codirectrice de La relation qui transforme, Récit d’expérience et dialogues pédagogiques entre enseignant.e.s d'Haïti et du Québec.

Par Geneviève Lemay, rédactrice, Portail du réseau collégial

 

 

Annie-Claude Prud'Homme
                       
Jean Noé Alcéus

Lors de l’entrevue, Annie-Claude s’est généreusement livrée sur l’idée principale derrière cet ouvrage codirigé avec Jean Noé Alceus, coordonnateur pédagogique du Collège de la Sainte-Famille aux Gonaïves, mais a surtout réussi à souligner la transcendantalité de la notion de relation pédagogique au sein de l’éducation. Une relation qui semble gagner à se bâtir davantage sur des piliers humains tels que la vulnérabilité et la réciprocité, et ce pour tous ses acteurs.

Tout a commencé en 2018, lorsqu’une délégation du Cégep de Rimouski - dont Annie-Claude faisait partie - s’est rendue au Collège La Sainte-Famille (CSF) des Gonaïves dans le but de former les enseignants d'Haïti (familiers avec l’approche par objectifs) pour implanter le « nouveau secondaire ».

Suite aux journées d’ateliers, les professeurs qui le souhaitaient pouvaient rencontrer Annie-Claude pour échanger sur une question plus personnelle: « Quelle expérience d’apprentissage vécue dans votre enfance, votre adolescence ou votre âge adulte, à l’école ou à l’extérieur de l’école, a eu une influence sur la personne que vous êtes devenue? ». 

Cette question est rapidement devenue un vecteur de réflexions porteuses, qui ont inspiré Annie-Claude et Jean Noé à s’unir dans la création de La relation qui transforme, où des enseignants d’ici et d'Haïti se positionnent sur leurs réalités jointes culturellement par la langue française et le statut d’ex-colonie, mais très distinctes en termes sociopolitiques. Bien que les réalités québécoises et haïtiennes soient diamétralement opposées, l’interprétation de la relation pédagogique entre les enseignants demeure hautement similaire. Une relation qui transforme aussi bien qu’elle se transforme, au profit d’un rapport à la connaissance en constante évolution, autant pour l’apprenant que pour l’enseignant. 

« On est portés à se camper dans le rôle de l’élève ou dans le rôle de l’enseignant, mais au bout du compte, nous sommes tous des humains qui faisons des erreurs et apprenons de ces erreurs. J’avais envie d’établir ce contact plus personnel, parce qu’on porte tous notre vécu et il peut déterminer la façon dont on voit l’enseignement, nos croyances par rapport à l’apprentissage et à ce qui peut être changé en nous et autour de nous », affirme Annie-Claude pour mettre en lumière le critère humain fondamental de la pédagogie, qui se dévoile ultimement au sein d'un dialogue ouvert.

De l’idéation à la publication: une suite d’obstacles de diverses natures

La période sur laquelle s’étendent les grandes démarches derrière le livre (2018 à 2023) s’est vue ponctuée d’obstacles dont les principaux furent la pandémie et les conflits sociopolitiques en Haïti. 

Le projet a dû être arrêté pendant plusieurs semaines lors du « pays lock », créole de « pays bloqué ». Ce mouvement de contestation sans précédent avait pour but d'accroître la pression sur le chef de l’État en interdisant toute forme de communication avec l’extérieur. Une réalité qui a eu pour effet de rendre le processus plus itératif que prévu. 

Malgré les conjonctures, Annie-Claude et Jean Noé ont su faire preuve d’un engagement sans faille. Ce dernier mentionne d’ailleurs, lors d’un enregistrement, que « le livre sert également d’hommage envers les professeurs qui donnent beaucoup pour former les étudiants malgré les difficultés ».

La relation pédagogique d’ici et d’ailleurs: différences ou similitudes?

Pour Annie-Claude et Jean Noé, originaires de deux cultures et contextes différents, il fut surprenant de constater autant de similarités dans l’interprétation de la relation pédagogique ainsi que la relation à la connaissance entre les québécois et les haïtiens. Cette analyse fut possible grâce au projet qui a su jumeler, par visioconférence, des enseignants du Collège de Rimouski et du CSF qui se sont livrés avec transparence sur leur réalité.

Annie-Claude explique que « (...) les points de rencontre entre la façon de concevoir la relation pédagogique entre les deux groupes sont étonnamment nombreux ». Elle poursuit en soulignant quelques-unes des similarités identifiées dans les dialogues, telles que leur « questionnement sur leur droit à l’erreur, les incitatifs pour inspirer les étudiantes à aller vers les sciences, ainsi que l’ouverture face aux besoins individuels des étudiant.e.s dans de grands groupes d’étudiants ».

D’importantes distinctions ponctuent aussi cette même relation. En Haïti, la majorité des établissements scolaires sont privés et sous la gouverne des institutions religieuses. L’utilisation du terme religieux « sacerdos* » pour définir l'enseignement, maintes fois utilisé par les enseignants du CSF, parle pour soi. 

Les enseignant.e.s d'Haïti voient leur apport comme une véritable mission, un don de soi, bien que la profession ne soit pas reconnue à sa juste valeur. Ils étaient d’ailleurs unanimes sur leur façon de voir les étudiants d’aujourd’hui comme l’avenir du pays. 

« Ce qui ressort beaucoup dans le discours des enseignants, c’est qu’ils doivent former les citoyens de demain. Ceux qui seront capables de changer la réalité d'Haïti. Ce souhait, aussi présent chez les enseignants d’ici, est teinté d’une certaine urgence en Haïti, compte tenu de la situation de crise politique », partage Annie-Claude, mettant en lumière l’importance de la relève éduquée dans le futur d’une nation.

Ce qu’en ont tiré les deux responsables du projet

Pour Annie-Claude, cette question l’amène à tout d’abord partager la retombée personnelle suite à la réalisation de ce projet: la persévérance malgré les défis. Elle nous partage aussi la naissance d’une belle amitié avec son acolyte, résultant d’un partage d’expériences tant professionnelles que personnelles dans un cadre de respect, de compassion et de réciprocité. 

Au niveau du contenu, son constat la mène directement à une lecture de Paul Ricœur, philosophe qu’elle estime grandement. Elle nous résume d’ailleurs ce constat dans ses propres mots: « pour établir une relation d'équité dans une relation où existe un rapport d'autorité, il est important que les deux personnes puissent reconnaître leur vulnérabilité. »

Pour Jean Noé, il est question de réaliser la portée significative de la relation pédagogique. Selon lui,  « la relation permet de transformer l’apprenant devant la réalité d’ici à tous les niveaux ».

Un mot sur la maison d’édition

Les Éditions Science et Bien Commun (ESBC) a accepté de publier cet ouvrage qui s’avère une réelle prise de conscience commune, dirigée avec aplomb. 

Une version créole est disponible.

Comment se procurer le livre? 

Le livre papier, au coût de 20 $, est en vente à la librairie L'Alphabet de Rimouski. Vous pouvez également communiquer directement avec Annie-Claude par courriel à Annie-Claude.Prudhomme@fedecegeps.qc.ca. Tous les profits sont versés au Collège la Sainte Famille. Une belle occasion d'encourager Haïti en ces temps très difficiles.