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Le jeu de rôle en classe pour apprendre autrement
En lançant les dés...
Ils sont deux enseignants en Humanities du Collège LaSalle passionnés de jeux de rôle. Ils ont adapté un jeu de science-fiction sociale au contexte de l’enseignement. Un outil pédagogique qui a permis de créer des liens entre les étudiants et de susciter des réflexions plus nuancées autour des enjeux éthiques.
Élise Prioleau, Portail du réseau collégial
C’est en 2020, dans un contexte d’enseignement à distance, que Richard Fortier et Dominic Claveau ont eu l’idée d’utiliser le jeu de rôle en classe. Pour jouer avec leurs élèves, ils ont repensé les règles du jeu Shock, créé par Joshua A.C. Newman. Celui-ci leur a donné son aval pour en faire une version pédagogique.
En classe, le jeu de rôle a eu des retombées positives, entre autres sur le bien-être des étudiants-es. « On a beaucoup d’étudiants internationaux, qui pendant la pandémie vivaient de l’isolement. Les jeux de rôle ont aidé à briser la glace et à établir des contacts entre les étudiants », relate Dominic Claveau, professeur de philosophie et de Humanities. Le jeu de rôle permet aussi aux étudiants de développer leur esprit critique, leur sens de l’empathie et leur motivation scolaire, selon les enseignants et experts.
Au Collège LaSalle, un groupe de cinq professeurs est impliqué dans une réflexion entourant l’adaptation du jeu de rôle au contexte de l’enseignement. Ils se sont donné un nom : « Humanities at Play ». Toute la documentation est disponible gratuitement sur le site d’Éductive. Un webinaire tenu par l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) sur l’utilisation des jeux de rôle en enseignement des enjeux éthiques est également disponible.
Comment joue-t-on ?
« Le jeu se passe dans une société de science-fiction qui a subi un bouleversement. Un choc qui fait en sorte que le monde est différent. Ce sont les étudiants, en équipe de trois ou quatre, qui vont définir le choc vécu. Par exemple, le choc pourrait être qu’une portion de la population acquière soudainement le don de lire dans les pensées », suggère Dominic Claveau. Son collègue a choisi, pour sa part, d’imposer aux étudiants des situations plus actuelles telles que l’automatisation du travail, les changements climatiques ou les nouvelles technologies.
Par la suite, chaque étudiant devra choisir un enjeu personnel, éthique, social ou politique qui pourrait être exacerbé par le choc. « Le monde dans lequel certaines personnes lisent dans les pensées suggère par exemple l’enjeu du respect de la vie privée. Jusqu’où peut-on utiliser des informations personnelles sur les gens ? Est-ce acceptable si c’est dans le but d’aider, par exemple, une personne suicidaire ? Et si certaines personnes utilisaient les pensées pour les utiliser dans une démarche de vente ou de marketing ? », exemplifie Dominic Claveau.
« Les règles du jeu sont organisées pour que les protagonistes soient obligés de faire des choix déchirants. » Dominic Claveau
Une fois les enjeux définis, le jeu commence. Au cours des différentes scènes du jeu, les étudiants vont jouer tour à tour différents personnages, protagonistes, antagonistes ou membres de l’audience. Par exemple, la personne responsable de l’enjeu de la vie privée interprétera un antagoniste associé à cet enjeu, un personnage qui crée un problème en lien avec le non-respect de la vie privée. Un autre membre de l’équipe interprétera le protagoniste associé, c’est-à-dire une personne affectée par l’enjeu et qui défend le respect de la vie privée.
« Quand les joueurs vont rentrer dans le conflit en dyades, ils vont formuler des intentions. En lançant les dés, ils vont savoir qui aura ce qu’il veut. Le protagoniste, s’il n’a pas ce qu’il veut, pourra faire d’autres choix pour amoindrir les effets de l’enjeu vécu. Dans le jeu de rôle, même avec de bonnes intentions, les choses peuvent mal de dérouler. Le jeu comporte une part d’incertitude, comme dans la vie », relate Richard Fortier, professeur de psychologie et de Humanities au Collège LaSalle.
À la fin du jeu, les étudiants doivent produire un travail de réflexion en lien avec l’enjeu qu’ils auront incarné pendant le jeu. « Le jeu de rôle n’est pas évalué. C’est plutôt le travail de réflexion qui est produit à la suite du jeu de rôle qui sera évalué », explique Dominic Claveau.
Au cœur des enjeux du monde
Le jeu de rôle s’est révélé pertinent pour soutenir le travail de réflexion des étudiants. Ce jeu scénique permet une véritable immersion au cœur d’un enjeu de société.
Tout au long de la partie, les étudiants doivent faire des choix difficiles sur le plan humain. « Les règles du jeu sont organisées pour que les protagonistes soient obligés de faire des choix déchirants. Par exemple, voler ou mentir pour arriver à leurs fins. Comme ils l’ont vécu, les étudiants sont capables de faire preuve de réelle empathie pour une personne réellement aux prises avec la problématique qu’ils ont choisie », reconnaît Dominic Claveau. Par conséquent, « l’analyse des étudiants devient plus profonde, plus nuancée, plus ancrée dans leur humanité », ajoute Richard Fortier.
« Le jeu de rôle comporte une part d’incertitude, comme dans la vie. » Richard Fortier
Le jeu permet aussi aux étudiants d’observer le décalage qui existe très souvent entre la théorie et la pratique. « Après le jeu, les étudiants vont confronter les décisions qu’ils ont prises pendant le jeu avec les théories éthiques vues en classe. Parfois, ils vont remettre en question certaines décisions prises pendant le jeu, en adoptant un regard critique », explique Dominic Claveau.
Adapté à tous les contextes
Depuis 2020, le jeu de rôle a suscité un intérêt auprès d’enseignants de différentes disciplines. Philosophie, littérature, anglais langue seconde, commercialisation de la mode : le jeu de rôle est adaptable à différents objectifs d’enseignement, moyennant quelques modifications du jeu initial.
« Le jeu Shock est libre de droits. Si les enseignants veulent utiliser notre version du jeu ou le modifier pour l’utiliser dans leur cours, c’est gratuit », rappelle Dominic Claveau.
Aux enseignants profanes dans le domaine, Dominic Claveau et Richard Fortier proposent leurs services de consultation. « Ce qui nous intéresse de plus en plus, c’est de faire de la consultation auprès d’enseignants du réseau qui souhaitent intégrer le jeu de rôle dans leur cours. Nous pouvons les aider à choisir un jeu et à définir le contexte de son utilisation en classe. Nous pouvons aussi concevoir un jeu de rôle sur mesure adapté à une intention pédagogique précise », soulignent-ils.
Cumulant ensemble plus de 50 ans d’expérience en jeux de rôle, les deux enseignants se réjouissent d’initier aussi bien les enseignants que les étudiants. Au Collège LaSalle, les membres du personnel ont pu participer à un jeu de rôle lors de journées pédagogiques. Du côté des étudiants, ils ont eu droit cet automne à un atelier de création de jeu de rôle. Un atelier qui a été fort apprécié. « En plus de soutenir les apprentissages, le jeu de rôle permet de s’amuser et de tisser des liens », conclut Dominic Claveau.