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Rétention de main-d’œuvre

« Donnez-leur du sens »

Nancy Brassard est auteure et professeure en Gestion des ressources humaines/psychologie organisationnelle à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Elle s’est spécialisée dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Invitée par l’Association des cadres des collèges du Québec (ACCQ) dans le cadre de leur colloque à Rivière-du-Loup, elle a traité pendant 75 minutes de La rétention des employés dans une ère de désengagement.

Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial

Elle ne croit pas beaucoup à la pénurie de personnel. Elle croit que la problématique concerne plutôt des organisations. « Il faut rehausser les capacités organisationnelles. L’attraction, c’est une force. Est-ce que nos organisations manquent de force ? »

Consciente de vieux préjugés, elle se présente comme professeure d’université mais tient à préciser : « j’ai laissé ma petite pelle à nuage dans ma voiture » ! D’entrée de jeu. « Qu’est-ce que vos organisations font ou mettent en place pour vous attirer, pour vous retenir ? » Elle prend souvent l’allure d’une motivatrice, avec humour, apartés et images, interpelant souvent la salle directement en lui posant des questions. Elle alterne entre les réponses de la salle et celles des chercheurs et des gestionnaires qui ont répondu à des enquêtes, définissant au passage différents termes et concepts.

Plusieurs facteurs de rétention sont liés à l’emploi (charge de travail, milieu physique, rémunération, etc.), d’autres sont liés à l’organisation (conflits et ambiguïté de rôles, demandes contradictoires, niveau de responsabilité, lourdeur administrative), d’autres encore sont liés aux relations de travail, à la conciliation travail et vie personnelle. Après un constat des enjeux et problèmes de la situation actuelle, elle passe aux éléments de solution.

Comprendre l’autre

À la base, il faut comprendre le comportement de l’individu au travail. 

Mme Brassard présente brièvement le schéma des travaux de Pettersen et Jacob, de relations industrielles. Les différences individuelles affectent l’apprentissage, amènent satisfaction ou insatisfaction, occasionnent de percevoir équité et utilité, qui décideront de la motivation, de l’effort consenti puis du comportement observable, la « chaîne de l’action ». Il faut donc faire percevoir cette équité et cette utilité.

De l’âge de 12 à 16 ou 17 ans, dit Nancy Brassard, se formerait la « stylisation » de l’individu, les traits de personnalité, ouverte ou fermée, introvertie ou extravertie. « La personnalité, c’est ce qui différencie une personne de toutes les autres. Entre 12 et 15 ans, ça va s’ancrer, et après, ça ne bouge presque plus… Mettons qu’un matin, vous voulez devenir plus extraverti… c’est deux ans de thérapie ! Vous voulez être plus agréable ou moins agréable (et apprendre à dire non), c’est deux ans de thérapie, ça avec ! », lance-t-elle en souriant. « Le système cognitif est alimenté par les capacités de l’individu, et il y a une capacité d’apprentissage qui s’est ancré dans le jeune âge. »

« Nos contraires nous énervent »

Le système évaluatif, lui, se développerait entre 18 et 25 ans. Dans le cerveau se structureraient alors les besoins, la prise de décisions, l’évaluation, les valeurs, les besoins, les intérêts, etc. « Comment ça se fait qu’on leur demande, à 15 ou 16 ans, quand cette structure-là est en train de commencer à se développer, ce qu’ils veulent faire dans la vie pour le reste de leurs jours !? En Europe, ils ont compris ça ; ici, on a un peu plus de difficulté à mettre en place des stratégies qui pourraient les aider… »

« Il y a des poulies qui grincent, qui demandent à avoir de l’huile. » Ces individus vont toujours demander, car ils en ont toujours besoin, POURQUOI.

« Vous pensez qu’un tel ne comprend rien ? Non, il comprend différemment. » Et elle évoque des styles d’apprentissage différents. Verbal ou non verbal ? Simultané ou séquentiel ? « Nos contraires nous énervent », dit-elle. Pour mieux tolérer les autres, il faut développer des stratégies. « Nous avons des outils pour faire percevoir équité et utilité, pour donner des raisons, donner des mobiles. La communication est rendue la clé ; les gestionnaires passent 80 % de leur temps en gestion de communications, de toutes sortes. »

Il faudrait faire une gestion humaine des ressources. « On est tous “cablés” d’une manière qui fait en sorte qu’on va privilégier une certaine manière de communiquer et qu’on va fonctionner de cette manière-là et on va apprendre de cette manière-là aussi. »

Compenser et s’adapter

Empruntant beaucoup à la psychologie et aux neurosciences, elle parle de la théorie de l’autodétermination, et fait une différence entre l’engagement et la motivation. L’engagement est l’action de se lier par une promesse ou une convention ; l’individu est interpellé ; c’est convenir de participer. La motivation vise d’abord le groupe, ou l’organisation, dans ses rapports avec les individus. C’est un lien affectif que l’établissement doit développer et maintenir. « C’est ce qu’on a un peu perdu dans nos organisations », dit-elle. La tendance au virtuel depuis la pandémie aurait mis à mal ce lien affectif.

Quels sont les enjeux et les défis pour l’engagement ? Quand on pose la question à des gestionnaires, ils peuvent parler par exemple d’un « sentiment d’auto-efficacité affecté », qui génère anxiété et problèmes de santé. Ce sentiment d’auto-efficacité, « on a découvert dans nos travaux que ça explique jusqu’à 25 % de l’entreprise d’action pour s’améliorer dans le cadre de notre travail.

« C’est quoi la motivation ? un processus psychologique et physiologique. Il y a là-dedans une notion d’effort. Et il y a toujours une source motivationnelle. Qu’est-ce qui vous motive, vous, dans votre travail ? On a posé la question à des gestionnaires. » Il y aurait trois grands besoins de base pour la motivation :

  1. Une sensation d’autonomie, d’ « autodirection ». La personne ne doit pas sentir qu’on lui enfonce quelque chose dans la gorge. Il lui faut une liberté minimale.
  2. La sensation de compétence, d’être efficace. Ce qui implique aussi le droit à l’erreur et d’apprendre.
  3. L’affiliation sociale, ou le sentiment d’appartenance. Il faut se sentir bien entouré et appartenir à un groupe. C’est ce qui peut changer avec le télétravail.

À quoi les chercheurs ajouteraient maintenant un 4e besoin : sentir « de la bienveillance à mon égard ». Trois concepts constitueraient maintenant le nouveau vocabulaire dans l’organisation du travail : résilience, flexibilité et bienveillance.

« Les chercheurs, nous pensons que les gens ont perdu le sens de leur travail. » Nancy Brassard est péremptoire. « Il faut trouver du sens à ce qu’on fait. Alors, donnez-leur du sens. »