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Détérioration de la santé mentale des jeunes

Des solutions individuelles à mettre en place collectivement

Le discours dominant en santé publique porte surtout sur les infections, les virus, la vaccination, les mesures de protection. On parle peu de santé mentale et de bien-être alors qu’il s’agit d’un aspect indissociable de la santé globale. Mais les choses pourraient bien être amenées à changer rapidement.

Ann-Marie Gélinas, rédactrice

« La définition de la santé de l’OMS inclut non seulement la santé physique, mais aussi mentale et sociale. Depuis 1946 », fait remarquer d’entrée de jeu la docteure Mélissa Généreux, professeure titulaire au Département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke et auteure d’une étude récente sur la santé mentale des jeunes du secondaire à l’université.

Selon cette étude, la pandémie a laissé la santé mentale des jeunes en plus mauvaise posture que jamais auparavant. Elle a donc voulu en comprendre les raisons dans le but de proposer des solutionspour limiter les répercussions négatives etmême, dans un monde idéal, renverser la vapeur. Ce qui n’est possiblement pas si utopique qu’on pourrait le croire…

Docteure Mélissa Généreux. Crédit photo : Jean-François Perreault

Tout part de la conscience de soi

Avant de développer le réflexe de vouloir se ressourcer et prendre soin de soi, il faut d’abord avoir une conscience de soi bien développée. Et cette prise de conscience, cette autoévaluation de son état mental, devrait se faire au quotidien, un peu comme les sportifs qui, la montre au bras, surveillent leur rythme cardiaque, leur nombre total de pas ou la qualité de leur sommeil.

L’objectif est de déceler une dégradation de l’état et d’intervenir avant que la seule solution soit l’arrêt complet.« Généralement, quand une personne a mal au dos, elle n’attend pas de ne plus être capable de marcher avant d’intervenir. Elle consulte son médecin, puis un spécialiste, revoit sa posture, fait des exercices. C’est la même chose avec la santé mentale », illustre docteure Généreux.

Un « baromètre » comme outil d’évaluation collectif

Prendre le pouls de sa santé mentale peut sembler très personnel, mais ce geste peut être transformé en une habitude collective plus ou moins formelle. Par exemple, on pourrait interroger les élèves sur leur état mental avant chaque cours ou chaque journée et leur demander de répondre avec les pouces— les pouces vers le haut indiquant un bon état, les pouces vers le milieu, un état neutre, et les pouces vers le bas, un état moins réceptif.

Ce simple « baromètre »permettrait d’abaisser les attentes face à la productivité, le cas échéant, et même de reporter un examen en cas de mal-être généralisé.

Et si l’ensemble des élèves se mettait à manipuler ce système pour éviter constamment les évaluations? « Je ne crois pas qu’on se rendrait là. Parce que si on sent que les gens sont à l’écoute, que le climat est bienveillant, on éprouve de la reconnaissance et on est dans la gratitude. Notre motivation et notre engagement n’en sont que plus grands », répond la docteure Généreux.

Six pistes de solution concrètes

En plus du baromètre comme point de départ, la docteure Généreux propose six pistes de solution pour améliorer la santé mentale des jeunes :

  1. Saines habitudes de vie :Il faut d’abord examiner la façon dont on occupe son temps. Et chez la grande majorité des jeunes, il est occupé par les écrans. Or, l’hyperconnectivitéa un effet pernicieux qui nuit à plusieurs sphères de la vie.

    Beaucoup se nourrissent d’aliments ultratransformésde faible qualité nutritionnelle pour profiter d’un repas vite fait devant l’ordinateur ou le téléviseur. « Les études démontrent que le microbiote est directement lié à notre cerveau. Ce qu’on lui offre, c’est aussi de la nourriture pour alimenter notre bien-être mental », explique la professeure.

    Le sommeil est aussi affecté en raison de la lumière bleue émise par les appareils et de la surstimulation mentale juste avant le coucher.

    « Le nerf de la guerre, c’est de réapprendre à vivre avec moins de connectivité. Et c’est possible de se reconstruire. Des études montrent qu’un sevrage des réseaux sociaux améliore la santé mentale, avec une efficacité correspondant à 25 à 40 % de celle d'une psychothérapie », affirme la docteure Généreux.
  2. Connexion à la nature : Pour se sentir connecté à la nature, nul besoin d’être athlète! Une simple exposition à la lumière extérieure a pour effet de diminuer la production de cortisol, l’hormone sécrétée en situation de stress. On peut simplement s’asseoir sur un banc de parc ou même juste sur le bord d’une fenêtre entourée de plantes.

    Quelques centaines de médecins québécois, dont la docteure Généreux, ont même commencé à prescrire formellement à leurs patients des doses d’exposition à la nature. Ce mouvement, baptisé Prescri-Nature, s’inspire des « bains de nature » pratiqués depuis longtemps dans la culture japonaise.
  3. Connexion sociale : Les jeunes se sentent de plus en plus isolés et entretiennent de moins en moins de liens sociaux dans le monde réel, surtout depuis la pandémie. En réinstaurant les soupers en famille, par exemple, on fait d’une pierre trois coups : on entretient des liens significatifs avec des proches, on limite le temps d’écran et on offre à son corps une alimentation saine.
  4. Art et culture : Généralement sous-estimé, le pouvoir inouï de l’art consiste à permettre l’expression des émotions et de la créativité par différents canaux, notamment le chant, la danse, l’écriture et la musique. Mais il n’est pas nécessaire de pratiquer une forme d’art : le seul fait d’en être un témoin participe à notre bien-être. On peut par exemple visionner un film en famille ou avec un partenaire et discuter des réactions que certaines scènes ont suscitées. L’interaction avec l’œuvre artistique ouvre naturellement le dialogue en établissant des liens indirects et en agissant comme véhicule de partage collectif.
  5. Relaxation :Les techniques de respiration sont d’une redoutable efficacité et peuvent se pratiquer partout, à tout moment. Avant une réunion de travail ou un cours, on peut prendre quelques minutes pour s’adonner à un exercice de cohérence cardiaque. En contrôlant sa respiration, on contrôle le message envoyé à son cerveau. Une respiration lente et profonde suscite un sentiment de sécurité et invite au lâcher-prise. « Si on n’arrive pas à pratiquer la relaxation, on ne peut pas passer à l’introspection », prévient la docteure Généreux.
  6. Introspection :Les activités comme la pleine conscience et la méditation favorisent l’écoute de soi et de son environnement alors que la tenue d’un journal créatif permet de se raconter pour organiser sa pensée. Pratiquer la gratitude, en mettant l’accent sur les éléments positifs du quotidien —et moins sur le sentiment de manque—, gagne aussi en popularité comme méthode pour atteindre un plus grand état de bien-être.

Changer les habitudes : une responsabilité partagée

Selon la docteure Généreux, bien que toutes les solutions précédentes puissent être appliquées de façon autonome, un véritable changement doit passer par des actions concertées des milieux publics. « La responsabilité ne peut pas reposer entièrement sur les jeunes. Les établissements d’enseignement devraient aménager des moments, en classe, pour évaluer son état d’esprit et se recentrer, et des espaces moins bruyants pourse relaxer, se détendre, ralentir. Il faut oser inculquer de bonnes habitudes », suggère-t-elle avec optimisme.

Elle termine avec un parallèle intéressant : à une certaine époque pas si lointaine, les milieux scolaires toléraient la fumée devant les portes d’entrée et la malbouffe dans les cafétérias des écoles. Le monde a évolué et certaines règles ont été mises en place pour faire de la santé physique une nouvelle priorité. Le temps est venu de faire de même avec la santé mentale.