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Agrinova d’Alma : innover en agriculture
Un entretien avec M. Patrick Girard, directeur général d’Agrinova, CCTT en agriculture affilié au Collège d’Alma
Le Collège d’Alma offre depuis plusieurs années une formation en gestion et technologie d’entreprise agricole. Ce sont les producteurs agricoles qui, à l’époque, ont interpellé la direction générale du Collège pour avoir un centre de recherche et d’innovation régional apte à les soutenir dans leurs capacités d’innovation. Perçu comme un outil de développement, le collège, fort de l’appui des entreprises et du milieu agricole, obtient un CCTT en 1996. « Dès le départ, nous avons décidé de créer une entité propre avec son propre conseil d’administration afin que les gens du milieu s’approprient l’outil. Le conseil d’administration est ainsi présidé d’office par un producteur agricole et la vice-présidence assumée par la direction générale du Collège dans un souci d’une représentativité large de tous les acteurs du secteur », explique Patrick Girard.
L’importance de l’agriculture au Lac-Saint-Jean
L’agriculture fait partie de l’histoire, du développement et de l’occupation du territoire de la région du Lac-Saint-Jean. « Quand on vient dans la région et qu’on observe le territoire, on constate l’importance de l’industrie agricole sur le plan des emplois. On compte 2 200 emplois en agriculture et 800 en transformation. La région compte 1 200 entreprises agricoles dont le revenu brut dépasse 270 M$. Les principales productions gravitent autour de la production laitière, de la production de petits fruits, des céréales et protéagineux, ainsi que celle de la pomme de terre. La région compte des organisations d’importance telles que la Coopérative Nutrinor et la Coop des deux rives, qui génèrent à elles seules plus de 500 emplois dans la région. »
Agrinova, un centre branché sur les besoins des entreprises
L’identité d’Agrinova se définit en majeure partie par l’attention qu’elle porte aux besoins des entreprises. « Pour nous, il n’y a pas de projets s’il n’y a pas d’entreprises. Les projets sont nombreux (voir sur site Web) et nous demeurons constamment dans une dynamique centrée sur les défis qu’ils suscitent et la recherche des sources de financement capables de soutenir la réalisation d’activités de recherche et d’innovation en collaboration avec les entrepreneurs agricoles régionaux et de l’ensemble du Québec. Nous avons une mission provinciale qui explique la présence d’une équipe à Québec. Au cours des dernières années, 60 % de nos activités se déroulent dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean et 40 % ailleurs au Québec. Nous travaillons ainsi en collaboration avec des partenaires un peu partout au Québec, notamment les CCTT et les centres de recherche affiliés au MAPAQ tels que l’IRDA ou Valacta. »
Le créneau de l’agriculture nordique dite « boréale »
Bien que tous connaissent la culture des bleuets au Lac-Saint-Jean, c’est plus largement toute l’agriculture nordique qui a une présence importante pour la région. On parle ainsi d’un « créneau boréal », un créneau d’excellence qui mobilise les énergies et le potentiel des entreprises essentiellement préoccupées à donner de la valeur ajoutée à leurs produits. Agrinova a démarré cette année un groupe d’innovation en production de camerises, un petit fruit qui possède d’excellentes propriétés pour la santé. Il s’agit d’un produit émergent qui prend sa place et qui suscite de plus en plus l’intérêt d’un nombre croissant d’acteurs. « Nous misons sur l’approche collaborative en proposant aux producteurs de s’engager dans un groupe d’innovation. Nous regroupons des entreprises d’une même production ; nous les invitons à une programmation de recherche sur trois ans élaborée à partir de leurs besoins. Nous visons à ce que tout le monde profite des connaissances développées chez un producteur afin de pouvoir les transférer aux autres. Ce n’est pas toujours évident pour les producteurs de financer la recherche, mais en les regroupant cela devient possible, intéressant et profitable pour les principaux intéressés. »
Mise à l’essai d’une stratégie de fertilisation à l’engrais à libération contrôlée dans la culture de la camerise en plasticulture
La production de céréales de grandes cultures et de protéagineuses suscite de plus en plus d’intérêt dans la perspective du défi de nourrir une population mondiale grandissante : « Avec plusieurs partenaires et producteurs de la région, nous avons tenté au cours des dernières années de développer la connaissance autour de la production de gourganes. Connue pour son utilisation en soupe, la gourgane est également une excellente protéine pour l’alimentation animale et présente un certain potentiel pour la transformation à des fins de consommation humaine. »
Réduire les pertes à l’entreposage de la pomme de terre
Agrinova a récemment obtenu au mandat de recherche sur l’entreposage de pommes de terre. Les superficies canadiennes cultivées en pommes de terre représentent annuellement 140 000 ha, pour une valeur à la ferme de 1,1 G$. Si une portion des récoltes est vendue directement en provenance du champ, la grande majorité est entreposée pour une période pouvant aller jusqu’à dix mois. « Avec plus de 4,25 millions de tonnes métriques entreposées chaque année au Canada, une perte de seulement 10 % représente plus de 75 M$ annuellement. En ajoutant les pertes liées aux maladies, à la détérioration de la qualité, à la germination hâtive ou à la déshydratation des tubercules, les entreprises canadiennes perdent annuellement entre 50 et 100 M$ au cours de la période d’entreposage. « Nous sommes à construire des infrastructures autour de deux entrepôts expérimentaux qui seront localisés dans la région de Québec, plus précisément à Sainte-Croix-de-Lotbinière. En renforçant notre capacité de recherche appliquée sur un aspect spécifique et non comblé de la recherche dans la pomme de terre, soit celui de l’entreposage, nous sommes convaincus de répondre à une préoccupation importante des producteurs et des productrices de pommes de terre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, du Québec et du Canada. »
Les ressources du centre
Les locaux d’Agrinova, constitués d’un bâtiment indépendant regroupant ses propres laboratoires, sont situés à vingt-cinq mètres du collège. « Nous avons voulu faire de ce bâtiment une sorte de « Hub » agricole afin de regrouper les différentes organisations qui travaillent auprès des producteurs et créer ainsi des synergies et des collaborations. « Nutrinor, l’UPA, le Groupe multiconseil agricole et des organismes environnementaux y sont présents. Cette organisation physique vise à créer une synergie autour de la recherche et de l’innovation. » Le centre dispose également de bureaux à Québec dans les locaux de l’UPA. Une équipe additionnelle affectée aux projets sur la pomme de terre est installée à Lotbinière où l’on retrouve des champs et des serres.
Patrick Girard insiste sur le fait que 90 % des activités du centre se déroulent dans les entreprises. « Nous travaillons chez les producteurs sur leurs terres et dans leur étable et avec leurs animaux. C’est l’approche que nous privilégions et la plus viable financièrement, car le financement des centres ne permet pas d’acquérir de tels équipements. En étant sur place, cela permet de plus aux agriculteurs de prendre part aux travaux et aux résultats qui s’en dégagent. Bien sûr, le Collège possède des terres sur lesquelles nous pouvons réaliser des projets plus risqués. »
Un nouveau projet avec la communauté autochtone
Agrinova travaille sur un projet de vitrine technologique en collaboration avec la communauté autochtone de Mashteuiatsh et la MRC Domaine-du-Roy. Ce dernier porte sur la conversion thermochimique de la biomasse forestière et végétale pour en faire un biocharbon utilisé comme amendement de sol. « Il s’agit là d’un secteur offrant de nombreuses possibilités. Un secteur décidément en émergence et nous sommes dans ce sens à nous doter d’équipements de haute technologie. En juin prochain, nous devrions être en mesure de produire du biocharbon et de réaliser des projets de recherche appliquée avec les entreprises intéressées à ce secteur porteur. »
L'Équipe - Voir une présentation de chacun des membres sur le site Web
Des ressources humaines jeunes
Agrinova compte une trentaine d’employés, dont vingt-trois dans l’équipe de recherche. « Je suis impressionné par la dynamique et l’engagement des gens associés à notre organisation. En agriculture, les gens sont passionnés. Il en va de même pour les chercheurs d’Agrinova. La grande majorité des intervenants détient des maîtrises et des doctorats. Si le centre n’existait pas à Alma, il y aurait vingt-cinq familles en moins, car les gens ne se seraient probablement pas trouvé d’emploi dans la région. Lors de notre dernière fête d’été, j’ai compté près de quarante enfants d’âge préscolaire. Une valeur importante pour le développement de la communauté. Nous comptons de ce fait sur une équipe d’intervenants jeunes, mais quand même expérimentés puisque plusieurs possèdent plus de dix ans d’expérience en recherche appliquée. Nous faisons aussi par nos projets travailler plusieurs étudiants collégiaux et universitaires, et cela nous permet d’identifier des ressources pour la relève. »
Un impact pour le recrutement des élèves
Pour le directeur général, la présence d’un centre de recherche en synergie avec le collège aide au recrutement des élèves pour le programme de gestion et technologie d’entreprise agricole. Cela ouvre la possibilité pour les étudiants de participer à des activités de recherche et d’innovation en entreprises. Chaque année, le centre embauche deux à trois étudiants pour un emploi d’été et, avec les récents projets en démarrage, « nous impliquerons encore plus d’étudiants, affirme M. Girard. Ça devient pour eux toute une expérience de pouvoir participer à des projets et d’être en contact avec plus d’une vingtaine d’entreprises durant leur formation ».
Le centre travaille en synergie avec le collège en synchronisant ses axes de développement. « C’est un atout pour le collège d’avoir un centre de recherche. Nous avons le devoir de créer de la valeur ajoutée pour l’enseignement, les étudiants et nos communautés. »
Travailler en synergie avec les autres CCTT du secteur
D’autres CCTT du réseau TransTech œuvrent dans le champ de l’agriculture, entre autres le CÉTAB, à Victoriaville, avec l’agriculture biologique. Des collaborations existent entre les deux centres. Au niveau de la biologie des sols, on retrouve le centre Bioptère à La Pocatière avec lequel Agrinova a des projets en commun. Ces centres travaillent actuellement à créer un pôle agriculture qui permettra de favoriser encore plus les synergies entre les CCTT. « Chez Agrinova, nous avons vraiment l’approche collaborative au cœur de notre démarche. Ça prend beaucoup d’humilité pour être chercheur en agriculture parce que les besoins sont tellement variés. En travaillant en synergie avec les autres centres collégiaux et universitaires, nous serons plus en mesure de répondre aux besoins des agriculteurs. »
Des perspectives d’avenir
Il existe encore de nombreux champs d’innovation à explorer pour le centre autour de l’agriculture de petites surfaces, de la production de fruits plus exotiques rendue possible avec le réchauffement de la planète et de la culture en serre avec les énergies renouvelables. Déjà, les Serres Toundra de Saint-Félicien (voir la vidéo sur YouTube) produisent des concombres distribués par IGA grâce à une technologie hollandaise. Ce projet génère plus de 200 emplois. « L’intérêt est ainsi grand de développer les nombreux projets en chaîne de valeur. La production en serre suscite beaucoup d’intérêt. Agrinova peut certainement contribuer à développer des productions et des connaissances dans ce secteur. »
Dossier préparé par Alain Lallier, édimestre et éditeur en chef, Portail du réseau collégial