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Agilité des entreprises et dextérité de la formation - Colloque La formation et le marché du travail – En pleine évolution !

Un texte de Thérèse Lafleur, rédactrice

Quelles sont les compétences nécessaires aujourd’hui pour la préparation au marché du travail de demain ? C’est en lançant cette question que le directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (GRIFPE), Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation de l’Université de Montréal, a ouvert le récent colloque La formation et le marché du travail – En pleine évolution, un événement organisé conjointement par Collèges et Instituts Canada (CICan) et la Fédération des cégeps.

Réunis à Montréal les 28 février et 1er mars 2019, 167 participants ont abordé les enjeux de la transformation du marché de l’emploi et de l’éducation postsecondaire. Des représentants des cégeps, des collèges et instituts, des universités, de l’industrie, des syndicats et des gouvernements, dont le tiers provenait de l’extérieur du Québec, étaient rassemblés.

Un effort pancanadien pour faire évoluer le statu quo

À la Fédération des cégeps, le président-directeur général, Bernard Tremblay rappelle qu’une importante prise de conscience collective s’impose pour le rehaussement des compétences. « En fait pour nous, l’étudiant collégial de demain, c’est le travailleur ! D’ailleurs les chiffres d’Emploi Québec 2017 révèlent que plus de 80 % des emplois créés en 2017 nécessitent des études supérieures, soit collégiales ou universitaires. Ce niveau de compétences requises pour occuper un emploi ne cesse d’ailleurs d’augmenter depuis plusieurs dizaines d’années. Un constat partagé par le Forum économique mondial qui insiste sur l’évolution rapide des emplois avec l’arrivée de la 4e révolution industrielle. Il y a un consensus à l’idée de l’emploi en changement, tout se transforme. La conception que l’on a de la formation initiale appartient au passé, une personne ne peut fonder tout son parcours professionnel sur ses acquis de base. La formation continue est la clé de l’évolution et de l’adaptation. C’est dans ce contexte d’enjeux partagés qu’avec CICan nous avons rassemblé de nombreux acteurs pour mettre en commun leurs façons de faire et surtout comprendre que pour aller plus loin, stratégiquement, il faut réfléchir ensemble. »

Pour Denise Amyot, présidente-directrice générale de CICan « La tenue d’un tel symposium pancanadien allait de soi. Depuis deux ans, CICan se penche assidument sur le futur du monde du travail. Un défi majeur qui préoccupe aussi les instances gouvernementales. Les investissements consentis dans le récent budget fédéral en témoignent. Dans la foulée des grands changements qui s’imposent, les établissements postsecondaires doivent saisir les opportunités et pouvoir répondre aux besoins du marché de l’emploi. La technologie est partout, peu importe la profession. Il faut donc veiller à ajuster les programmes, à développer les compétences tant des apprenants que des travailleurs, et ce, en continu dans les collèges et instituts, et aussi en milieu de travail. Ce colloque a été une formidable occasion de partager des initiatives réalisées avec succès partout au Canada. Beaucoup d’expériences et d’approches novatrices et exemplaires y ont été révélées ! »

Le numérique et l’intelligence artificielle pour « apprendre »

D’entrée de jeu, le professeur Karsenti a proposé les 22 compétences requises pour préparer les apprenants au marché du travail, tels qu’identifées dans un recensement mondial des compétences recherchées et qui vont du civisme jusqu’aux compétences entrepreneuriales. Selon lui « Dans un contexte où l’on souhaite que le numérique participe réellement à la réussite éducative de tous les apprenants, il semble important de faire de l’engagement, avec le numérique, une priorité en éducation.»

« Au lieu de considérer l’intelligence artificielle (IA) en éducation comme la panacée ou le Saint Graal, il faut plutôt la voir comme un outil à grand potentiel qu’il faut savoir exploiter sur le plan pédagogique. L’un des défis auquel fait face notre système d’éducation confronté à l’arrivée de l’IA est de trouver un juste équilibre entre le maintien de certains aspects traditionnels qui ont fait la richesse de l’enseignement depuis des siècles et la mise à profit des nouvelles possibilités qu’offre l’IA en éducation. Pour ce faire, il ne faut pas se limiter à la seule vision utilitaire de l’IA, mais bien cerner les transformations éducatives qu’elle pourrait alimenter. »

La transformation numérique

Dans sa publication Prendre part à la révolution manufacturière ? Du rattrapage technologique à l’Industrie 4.0 chez les PME, le CEFRIO mentionne que l’ « Industrie 4.0 fait référence à la quatrième révolution industrielle qui se déroule actuellement dans les entreprises manufacturières. Quel est le moteur de cette révolution ? Il s’agit en grande partie d’Internet. La réalisation de l’usine intelligente s’appuie sur la communication en temps réel pour surveiller et agir sur les activités de l’entreprise. Les systèmes communiquent et coopèrent entre eux, mais également avec les humains, les produits et les machines. Ainsi, Internet connecte tous les ‘’objets’’ de l’usine – employés, machines, produits, clients, fournisseurs, systèmes, etc. »

C’est avec cette citation que le modérateur Giany Despointes, coordonnateur, Métiers manufacturiers, Manufacturiers et exportateurs du Québec, a présenté le sujet de la transformation numérique ensuite traité sous différents angles par Tom Roemer, vice-président aux études, British Columbia Institute of Technology (BCIT) ; Namir Anani, président et chef de la direction, Conseil des technologies de l’information et des communications (CTIC) ; Frédéric Viossat, conseiller en formation, Services aux entreprises, Cégep André Laurendeau et Pierre Tisson, directeur, Centre de transfert en commerce électronique, Collège Montmorency.

Monsieur Roemer a parlé de la formation interdisciplinaire comme moyen d’aborder la transformation numérique en milieu de travail. À l’image d’IBM, il voit l’entreprise… le collège, l’institut, se transformer en centre de compétences - un centre de compétences transversales qui développe des solutions communes et acquiert de nouvelles compétences qui sont ensuite partagées dans toute l’entreprise pour augmenter les chances de succès de l’adoption de la technologie .De son côté, monsieur Anani a insisté sur le fait que l’avenir numérique passe par une formation dans l’action et en évolution constante. Enfin, monsieur Tissona expliqué la formation d’un consortium de cégeps regroupés pour offrir une AÉC en coordination du commerce électronique, une nouvelle fonction du cybercommerce.

L’apprentissage en milieu de travail

Apprendre en travaillant - tout en travaillant pour apprendre - a été introduit par Kristine Dawson, directrice, Enseignement coopératif et apprentissage en milieu de travail (ECAMT). Les panélistes Shawn Chorney, vice-président, Enrollment Management, Indigenous and Student Affairs, Canadore College; Patrice Supper, directeur, Institut des technologies, des arts et de la communication, Collège La Cité ; Leesa Hodgson, directrice de la formation continue et des services aux entreprises, Cégep du Vieux Montréal et Michel Lesage, directeur de la formation continue et des services aux entreprises, Cégep Limoilou ont partagé leur expertise et témoigné de leurs initiatives. Ils ont présenté des modèles de formation conçus pour satisfaire les attentes et les besoins des organisations et même les anticiper, une approche « gagnant-gagnant ». Des expériences et des réussites qui font des cégeps, des collèges et des instituts, des références en matière d’apprentissage en milieu de travail.

Les perspectives des représentants gouvernementaux

C’est à Lori Turnbull, professeure associée à Dalhousie University et auteure d’un récent rapport du Forum des politiques publiques (FPP) – Renforcer la sécurité des compétences : comment pallier aux lacunes du système canadien d’éducation des adultes que la présentation des deux panélistes avait été confiée. Le directeur général du Programme d’appui aux initiatives sectorielles, Innovation, science et développement économique Canada (ISDE), Benoît Tessier et Audrey Murray, la présidente de la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT) Québec,ont donné des perspectives sociétales des enjeux de la formation continue.

Madame Murray a tracé le portrait d’un marché du travail sous pression à cause du vieillissement de la main-d’œuvre, de l’évolution technologique et des changements environnementaux. Au-delà des chiffres, elle a insisté sur la rareté de la main-d’œuvre, le déficit de compétences ainsi que l’inadéquation entre les compétences disponibles et demandées. Elle a aussi rappelé qu’en gestion des ressources humaines, les entreprises doivent relever le défi d’intégrer à leurs pratiques le nouveau paradigme du marché du travail. Elle concluait en insistant sur la force du réseau et l’importance de créer des liens transversaux entre les différents acteurs de l’écosystème de l’emploi (emploi, immigration, développement économique, etc.). Le rapport de force est inversé aujourd’hui : c’est la main-d’œuvre qui va dorénavant choisir son employeur. Il devient essentiel en ce sens de miser sur la concertation et le dialogue social pour sortir des silos et des chemins battus.

Investir dans l’humain

Présent au colloque, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, François Roberge, a insisté sur l’importance de la formation continue lors de son allocution. Il a rappelé les enjeux sociétaux qui exigent d’agir et le rôle capital des cégeps pour mailler l’offre de formation aux besoins du monde du travail.

L’adéquation formation-emploi

Avec comme modérateur Kris Hodgson-Bright, président, School of Media and Design, Lethbridge College, le panel composé de Misheck Mwaba, vice-président aux études, Bow ValleyCollege ; de Nazlin Hirji, directrice,Continuing and Professional Studies, Sheridan College; Simon Delamarre, directeur de la formation continue et des services aux entreprises, Collège de Bois-de-Boulogne, et Marie-Josée Dupuis, directrice adjointe à la formation continue et aux services aux entreprises, Cégep de Sainte-Foy,ce panel a circonscrit les enjeux de l’adaptation auxquels font face les concepteurs de formations.

Monsieur Mwaba y mentionnait d’ailleurs que « juste au moment où vous pensez que vous connaissez les réponses, les questions changent ! » tout en insistant sur les liens étroits entre l’employabilité et le volet pratique et appliqué à intégrer davantage à l’enseignement supérieur. En fait, comme le précisait aussi madame Hirji, la formation doit être en adéquation avec l’emploi. Monsieur Delamarre a rappelé que le défi qui est lancé aux maisons de formation c’est de s’adapter et surtout d’innover dans le déploiement de leur offre de formation, notamment en intelligence artificielle. Il s’agit, comme l’ont illustré les cégeps de Bois-de-Boulogne et Sainte-Foy, d’harmoniser ses efforts et de savoir confronter judicieusement les perceptions freinant les collaborations avec les entreprises ou les universités pour le développement de la formation technique destinée à un domaine spécifique.

La révolution des aptitudes

En clôture, des pistes d’action pour doter les apprenants des compétences du 21e siècle et contribuer à l’essor de l’économie canadienne ont été présentées par John Stackhouse, premier vice-président au Bureau de la présidence de la Banque Royale du Canada. Ces perspectives d’avenir sont tirées du rapport Humains recherchés : Facteurs de réussite pour les jeunes Canadiens à l’ère des grandes perturbations auquel monsieur Stackhouse a contribué.

Publié en mars 2018 par la Banque Royale du Canada, le rapport révèle que les quatre millions de jeunes Canadiens qui entreront sur le marché du travail d’ici la prochaine décennie devront posséder des aptitudes de base qui leur permettront d’occuper différents emplois et rôles plutôt que de suivre un parcours professionnel unique. Ils auront besoin d’un ensemble d’aptitudes humaines comme l’esprit critique, la perspicacité sociale et la résolution de problèmes complexes pour demeurer concurrentiels et résilients sur le marché du travail. Il mentionne que Canada passe d’une économie fondée sur les emplois à une économie fondée sur les aptitudes. Or, il semble que les employeurs, les éducateurs et les décideurs n’y soient pas bien préparés. Bien sûr, on peut difficilement opérer une transition sans y investir temps et argent. Les éducateurs et les décideurs ont là une belle occasion de revoir leur stratégie de formation et de perfectionnement.

Monsieur  a identifié quatre points à retenir sur la révolution des aptitudes qui s’amorce et l’avenir du monde du travail :
1. Le rythme auquel les perturbations surviennent s’accélère ;
2. Pour réussir dans le monde de demain, il faudra faire preuve de souplesse ;
3. La littératie numérique est essentielle ;
4. Il faut nous préparer à l’avenir du monde du travail.

La formation tout au long de la vie

Les réflexions, les idées et les approches novatrices émanant de ce colloque La formation et le marché du travail – En pleine évolution mettent la table au renouvellement des perspectives de développement de la formation tout au long de la vie. Des voies de changement dans lesquelles les apprenants, étudiants ou travailleurs, sont déjà engagés. En effet, d’après les données de Statistiques Canada , 47 % des personnes inscrites dans un cégep, un collège ou un institut canadien ont déjà fréquenté le postsecondaire et 34 % d’entre elles détiennent déjà un diplôme d’études supérieures. Les chiffres du Collège La Cité illustrent aussi la situation, il y a 10 ans, 9 sur 10 de leurs étudiants admis arrivaient du secondaire, en 2019 c'est plutôt 1 sur 10.

Dans ce remue-ménage qui semble s’imposer, rappelons l’attention soutenue à porter aux groupes vulnérables, l’incontournable reconnaissance des acquis en s’inspirant de modèles comme la Finlande ou la Nouvelle-Zélande, le design de formations modulaires et ponctuelles soit en ligne ou en entreprise, le soir ou les weekends. Il faut aussi mentionner la méconnaissance des employeurs quant au potentiel de la formation sur mesure que peuvent offrir les établissements d’enseignement postsecondaire.

En ayant accès aux savoirs de demain, et surtout, en développant leurs aptitudes, les travailleurs peuvent contribuer à l’agilité des entreprises. Ces apprenants « continus » participeront ainsi à l’essor d’organisations en constante évolution grâce à des formations adaptées aux besoins du marché du travail et à leur propre réalité. Des formations conçues et développées par des cégeps, des collèges et des instituts renommés pour leur savoir-faire et leur expertise, bref leur dextérité.