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D’un camp de réfugiés au Cégep de Levis-Lauzon

Un texte d'Élise Prioleau, rédactrice, Portail du réseau collégial

À 24 ans, il a échappé à la dureté de la vie de réfugié.Du camp où il habitait avec sa famille au Malawi, Emmanuel* a immigré seul au Québec en août 2018. Aujourd’hui, il étudie au Cégep de Levis-Lauzon dans un programme préuniversitaire, a trouvé un travail à temps partiel et s’est intégré à la vie québécoise dans la région de Québec où il habite depuis près d’un an.Ce jeune congolais d’origine n’est pas un étudiant comme un autre. Il est le tout premier étudiant réfugié accueilli par le comité du Programme d'étudiantes et d'étudiants réfugiés (PÉR) du Cégep de Lévis-Lauzon.

Annie Demers-Caron, professeure d’anthropologie au Cégep de Lévis-Lauzon

Tout a commencé en 2017, alors qu’une étudiante proposait à des enseignants et enseignantes du département de sciences humaines de mettre sur pied un comité local d’accueil de réfugiés. Annie Demers-Caron, professeure d’anthropologie au Cégep de Lévis-Lauzon s’est lancée dans l’aventure. « À partir du mois d’août 2017, nous avons formé un comité d’accueil qui regroupe vingt étudiants et étudiantes ainsi qu’un comité de soutien formé de professionnels, de membres de la direction et d’enseignants du cégep. Trois mois plus tard, nous avions mis sur pied un financement sécurisé de 24 000 $ afin d’accueillir un premier réfugié. Au mois d’août 2018, l’étudiant parrainé arrivait à l’aéroport », relate l’enseignante.

Les membres du comité d'accueil

Ce projet de parrainage est issu d’une collaboration avec l’organisme Entraide universitaire du Canada (EUMC) qui organise sur une base privée le parrainage de réfugiés étudiants partout au Canada en association avec des institutions d’enseignement principalement universitaires. Les cégeps de Limoilou, de Lévis-Lauzon et Champlain College étaient en 2017-2018 les premiers cégeps québécois à parrainer des étudiants réfugiés dans le cadre de ce programme.

Tout prévoir, de l’aéroport à la résidence étudiante
Au mois d’août dernier, c’était le comité d’accueil formé d’étudiants et d’étudiantes qui était chargé d’accueillir Frédéric à l’aéroport. Dès son arrivée, des étudiants préalablement formés ont accompagné le jeune congolais dans sa nouvelle vie. Les membres du comité d’accueil ont dû penser à tout ce dont le nouveau venu aurait besoin pour vivre au Québec : logement, literie, vêtements de base, vélo, ordinateur, téléphone, compte en banque, carte assurance sociale, carte assurance maladie, etc. « Pendant les deux premières semaines, notre équipe a donné une foule de renseignements à l’étudiant par exemple sur le fonctionnement du cégep, d’un horaire de cours ou encore d’un plan de cours. Pour un jeune issu d’un camp de réfugiés, plein de détails sur la vie occidentale sont à apprendre. Par exemple, le fonctionnement d’un interphone, d’un four à micro-ondes ou d’une douche ne vont pas de soi et peuvent être nouveaux », explique Annie Demers-Caron.En vertu du programme de l’organisme Entraide universitaire du Canada, le comité d’accueil local a comme mandat de favoriser l’autonomie de la personne parrainée. L’objectif est que le réfugié soit totalement autonome au 13e mois de son arrivée au Canada. Mission accomplie pour Frédéric ! « Nous sommes arrivés à démontrer que le projet de parrainage est faisable dans les cégeps et que c’est une occasion d’apprentissage exceptionnelle pour nos étudiants », se réjouit Annie Demers-Caron.

Une formation à la solidarité internationale
« C’est de loin dans ma carrière le projet qui a le plus d’impacts sur le plan de la sensibilisation aux enjeux de l’immigration, de l’exil forcé et de la solidarité internationale, souligne l’enseignante en anthropologie. « L’impact est majeur, autant dans la vie de l’étudiant parrainé que dans la vie des étudiants qui l’accueillent. Les étudiants qui font partie du comité d’accueil ont vécu une transformation personnelle à travers la relation durable qu’ils ont créée avec l’étudiant réfugié. »

Au Cégep de Lévis-Lauzon,le projet a connu un retentissement dans toute la communauté collégiale et a eu un effet rassembleur, selon l’enseignante impliquée. Son succès est si unanime que dans les prochaines années, il est prévu que le Programme d'étudiantes et d'étudiants réfugiés (PÉR) implique de plus en plus d’étudiants de différents programmes. « L’an prochain, des étudiants en travail social prévoient réaliser un stage au sein du comité afin de conseiller nos membres sur l’organisation du comité ou sur ses interventions auprès de la personne accueillie. Une équipe d’étudiants du programme de comptabilité prévoit quant à elle faire une campagne de sociofinancement et une collecte de fonds auprès d’entreprises locales afin de soutenir financièrement les activités du comité », explique Annie Demers-Caron.

 

Des suites encourageantes
Cet été, le comité local d’accueil du Cégep de Lévis-Lauzon recevra une étudiante réfugiée en provenance du Burundi et qui réside actuellement dans un camp en Ouganda. Au Cégep de Lévis-Lauzon, l’équipe souhaite accueillir un étudiant ou une étudiante réfugiée tous les ans. Forte de son expérience et de son succès, l’équipe d’étudiants et d’étudiantes impliqués dans le projet a fait des représentations dans plusieurs cégeps du Québec pour faire connaître le projet, comme l’évoque Annie Demers-Caron. Résultat : l’an prochain, le nombre de cégeps qui parraineront un étudiant réfugié en collaboration avec l’organisme Entraide universitaire du Canada (EUMC) passera de trois à sept. Les cégeps participants sont les cégeps de Limoilou, du Vieux-Montréal, de Sherbrooke, d’Alma, Montmorency et Champlain College. « Depuis 40 ans, le programme d'étudiants réfugiés de l'EUMC permet à des comités étudiants de procéder au parrainage privé de réfugiés. Depuis 1978, plus de 1 900 jeunes réfugiés ont pu bénéficier de ce programme leur permettant de poursuivre leurs études dans un environnement sécuritaire et accueillant sur des campus canadiens à travers le pays », indique un communiqué du Cégep de Lévis-Lauzon. L’implication des cégeps dans ce projet est très positive, comme le remarque Annie Demers-Caron, car elle permet à davantage de jeunes filles de se qualifier pour un parrainage étant donné leur niveau d’éducation généralement trop bas pour accéder directement à l’université.Saluons ce projet, qui est porteur d’espoir pour l’étudiant parrainé et sa famille, mais aussi pour toute une communauté, pour une société, pour un monde.

*Pour des raisons de confidentialité, un nom fictif a été attribué à l’étudiant parrainé.