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Recrutement international
Les étudiantes et les étudiants étrangers à l’heure des quotas
Entretien avec M. Martin Demers, directeur général du Cégep de Matane, et M. Francis Turcotte, coordonnateur des communications et du développement international
Par Alain Lallier, Portail du réseau collégial
Le Cégep de Matane n’est pas le dernier venu en matière de recrutement d’étudiantes et d’étudiants internationaux. Le collège y œuvre depuis plus de 20 ans. Durant toutes ces années, à aucune occasion le gouvernement n’a fixé de quotas quant à l’admission d’étudiants étrangers. Pour une première fois l’an dernier, le gouvernement fédéral a fixé un quota. Et par la bande, il a demandé au gouvernement du Québec de faire de même. Début mars, la publication de ces quotas se traduit par une diminution de 20 % de la population étudiante à l’échelle du Québec et limite les possibilités d’accueil au cégep de Matane.

Une procédure qui ne tient pas compte de tout le processus
La volonté gouvernementale de diminuer le nombre d’étudiants internationaux et d’immigrants est claire. « Le quota provincial s’applique uniquement à l’étape de la demande des certifications d’acceptation du Québec, qui ne constitue qu’une des nombreuses phases du processus, explique Martin Demers. Malgré tout, le quota de cette année se base sur le nombre des étudiants qui ont fait une demande de CAQ à Matane l’an dernier, soit 143. Nous avons bien sûr émis plus de lettres d’admission. Mais comme certaines personnes, qui reçoivent une lettre d’admission, ne vont pas jusqu’à la prochaine étape pour obtenir le permis d’études du fédéral, nous sommes assurés d’avoir moins d’admissions que l’an dernier. Entre la fixation du quota et l’arrivée en classe, il peut se passer bien des choses, dont la non-obtention du permis d’études ou l’abandon des démarches à un moment ou un autre. Le problème avec ce quota, c’est qu’il est établi en fonction d’une étape et sans tenir compte de la complexité du processus. »
Un atout précieux pour toute la communauté
« La présence des étudiantes et étudiants étrangers, c’est un plus pour toute la communauté. Ils travaillent pendant leurs études et contribuent à la vie économique de la région. Notre économie génère beaucoup d’emplois, car on estime à 400 le nombre d’emplois qui seront créés dans l’industrie privée au cours de la prochaine année. Les besoins de main-d’œuvre sont manifestes. La région de Matane s’est revitalisée et est en plein boom économique. Ils sont aussi un apport important à la vie sociale dans le cégep, ils participent activement aux différentes activités, leur présence contribue au dynamisme du cégep. Ce sont des millions investis dans nos milieux. », affirme Martin Demers.
La matérialisation de l’immigration passe par l’éducation
Pour la direction du Cégep de Matane, la matérialisation de l’immigration passe par le système d’éducation, notamment par les cégeps. D’ailleurs, de nombreuses études démontrent les succès obtenus par les cégeps à cet égard. Comme les autres cégeps, nous avons non seulement des programmes locaux, mais également des programmes nationaux. Et les personnes qui viennent étudier à Matane vont aussi occuper des emplois dans d’autres régions du Québec. C’est vrai en Photographie, en Tourisme, en Animation 3D. Les cégeps ont démontré en 20 ans que leurs actions à l’international sont sérieuses. Notre recrutement est bien structuré et réfléchi. Nous avons un processus d’accueil et d’accompagnement tout au long du parcours. Nous comprenons mal ce qui motive l’imposition de ces quotas. »

L’incertitude au rendez-vous
Ce que déplorent les cégeps, c’est toute l’incertitude engendrée par ces changements :« Depuis les derniers mois, chaque fois que nous rencontrons les étudiantes et les étudiants en France, les conditions ne sont plus les mêmes, car on a changé les règles du jeu en cours de route, explique Francis Turcotte. Nous sommes déjà à planifier notre recrutement pour la prochaine année, et le collège ne connaît pas encore les chiffres pour l’an prochain. Actuellement, il compte plus de 200 étudiants internationaux, mais nous souhaiterions revenir à un nombre avoisinant les 300 comme avant la pandémie, car le Cégep a la capacité d’accueillir et de loger encore plus de personnes. Nous nageons dans l’incertitude : est-ce qu’on retourne en recrutement actif ? Ou est-ce que l’on adopte des mesures encore plus serrées pour mieux cibler nos étudiants ? »
Contrer les abus de quelques-uns en pénalisant tout le monde
Le Cégep de Matane comprend que le gouvernement cherche à mettre au pas les établissements qui abusent de la situation. Certains collèges privés du Québec et de l’Ontario ont été pointés du doigt parce qu’ils accueillaient un nombre exagéré d’étudiantes et d’étudiants étrangers. Mais pourquoi fallait-il punir aussi ceux qui pratiquent une saine autorégulation du recrutement à l’étranger? Le Cégep juge que cela est injuste, d’autant plus que, dans le cadre de la Loi 74, le gouvernement avait promis qu’il allait « protéger les régions ». On cherche encore des signes probants allant dans ce sens, car rien de tel n’apparaît dans le décret.
Assurer la survie des programmes en région
La présence d’étudiantes et d’étudiants étrangers permet souvent de compléter des cohortes, ce qui assure la survie de programmes d’études en région. Entre autres, le programme de Tourisme profite de cet apport essentiel à sa survie. De fait, les besoins dans ce secteur sont en pleine croissance : « Avec tout ce qui se passe au sud de la frontière et la faiblesse du dollar canadien, on peut s’attendre à une demande forte dans ce secteur d’activité économique », ajoute le directeur général.
Quels seront les impacts financiers ?
L’implantation de ces quotas aura des impacts financiers importants pour les collèges. On annonce déjà un manque à gagner de 45 millions de dollars pour le réseau collégial. Et qu’en est-il pour Matane ? Pour le directeur général, il est encore tôt pour parler des impacts financiers. Il faut attendre les résultats des demandes d’admission et des inscriptions.
Le collège perd des plumes
Quand le coordonnateur du développement international, Francis Turcotte, évalue la situation actuelle, il considère que le Canada et le Québec perdent des plumes en matière d’éducation internationale :« Toutes ces nouvelles règles, tous ces changements d’orientation jettent de l’ombre sur la réputation de notre réseau à l’international. Le travail incessant pour positionner le DEC à l’étranger est freiné par le contexte actuel, affirme-t-il. Et c’est toujours un combat à l’étranger, parce que notre système n’existe pas ailleurs. Au fil des ans, nous avons développé une centaine de partenariats internationaux et avons réussi à nous forger une bonne réputation outremer, également bénéfique pour le réseau, le Québec et le Canada. Mais ce que l’on ressent sur le terrain, c’est que le fruit du travail des 20 dernières années semble s’effriter. »
Une conviction profonde
Malgré ce contexte difficile, les dirigeants du Cégep sont profondément convaincus des bienfaits de recruter des étudiantes et des étudiants à l’étranger, et ce, autant pour eux-mêmes que pour la vitalité de leurs programmes. Par ailleurs, leur apport inestimable se fait sentir dans tout le Cégep et toute la région de Matane.