Articles

Conciliation études-travail-famille - Une question de priorités !

Une contribution de Mme Thérèse Lafleur, rédactrice.

Comment les jeunes peuvent-ils « bien » concilier leur métier d’étudiant et le travail rémunéré ? Qui peut faire une différence ? Michaël Gaudreault, enseignant-chercheur en statistiques, Suzie Tardif, chercheure en éducation et Luc Laberge, chercheur en neuropsychologie ont étudié les meilleures pratiques qui favorisent une bonne conciliation études-travail dans les organisations qui embauchent des étudiants, parfois parents.

Leur recherche Renforcer le soutien aux étudiants et aux entreprises en matière de conciliation études-travail-famille (CETF) est axée sur la persévérance scolaire. Amorcé en 2017, ce projet mené par le Regroupement des instances régionales de concertation sur la persévérance scolaire et la réussite éducative du Québec (IRC) et ÉCOBES, le centre de recherche du Cégep de Jonquière, a aussi comme objectif d’accroître le bassin de travailleurs qualifiés du Québec afin de mieux répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises.

Le projet québécois de conciliation études-travail-famille (CETF)

Depuis 1997, recherche et intervention évoluent de pair pour en arriver à la mise en place d’une intervention dont JeConcilie.com est la plaque tournante. Un parcours qui a rallié à ÉCOBES, le Regroupement des instances régionales de concertation sur la persévérance scolaire et la réussite éducative du Québec (IRC) et l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en Sécurité du travail (IRSST), le Conseil régional de prévention de l’abandon scolaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean (CRÉPAS) et les carrefours jeunesse-emploi, le Secrétariat à la jeunesse, le ministère de la Famille et Emploi-Québec. Le chantier « local » est ainsi passé à un chantier « national » et, en 2017, ÉCOBES a été mandaté pour documenter la situation.


JeConcilie.com

Adapté pour le Québec et le Nouveau-Brunswick, JeConcilie.com est un outil personnalisé d’intervention et de sensibilisation sur la conciliation études-travail-famille développé en 2013 par ÉCOBES, le réseau des IRC et l’IRSST. Grâce aux cinq domaines qui questionnent l’étudiant, JeConcilie.com lui propose une rétroaction sur sa situation générale, ses études, sa famille, son travail et sa santé.

Monsieur Gaudreault précise que « ce projet explore aussi le point de vue des entreprises pour comprendre l’acclimatation en emploi des jeunes dont le métier premier est d’étudier. Vingt entrevues avec des employeurs ont permis d’affiner ce maillage et d’identifier ce qu’ils mettent déjà en place, ce qui nuit ou ce qui facilite la conciliation. Ces échanges nous ont appris que bien qu’ils souhaitent mettre des choses en place pour favoriser la réussite, ils ne savent pas toujours comment le faire et ont besoin d’accompagnement. »

Au cœur du rapport, l’équipe de recherche présente un portrait révélateur du degré de conciliation études-travail d’après les réponses mêmes des étudiants.

En abordant ainsi le degré de conciliation études-travail, il s’avère que les filles vivent plus difficilement que les garçons cette conciliation. Le fait d’avoir des enfants joue aussi de manière significative. Et plus les jeunes avancent dans leur parcours scolaire, plus la conciliation semble difficile. Alors qu’elle paraît facile pour 55 % des élèves du secondaire, elle n’est facile que pour 39,7 % des étudiants du collégial et 24,8 % des étudiants universitaires.

Monsieur Gaudreault insiste sur l’importance de se pencher sur la réalité des jeunes « en zone en rouge », soit le 27,4 % des jeunes qui vivent difficilement la conciliation études-travail :
- ils sont trois fois plus nombreux à avoir souvent pensé à abandonner leurs études (21,4 % contre 8,1 %) ;
- ils sont plus souvent désengagés sur le plan scolaire (21,2 % contre 14,3 %) ;
- ils présentent plus fréquemment un niveau élevé de détresse psychologique (55,3 % contre 17,9 %) ;
- ils déclarent plus souvent un niveau élevé de fatigue (56,5 % contre 18,3 %) ;
- ils se perçoivent aussi en moins bonne santé et sont plus nombreux à rapporter ne pas dormir suffisamment ;
- ils déclarent plus souvent avoir subi un accident de travail (24,6 % contre 16,7 %).

Un contexte changé et changeant

Dans un Québec qui connaît une ère de plein emploi, les jeunes dont la tâche première est d’étudier sont nombreux à occuper un double emploi. La majorité de ces apprenants professionnels ont aussi un travail rémunéré. Ceux qui le font par choix vivent plus facilement la conciliation travail-études mais ceux qui doivent travailler par obligation parviennent plus difficilement à cet équilibre. Ces jeunes étudiants-travailleurs-parents sont confrontés à des choix qui, s’ils ne sont pas réfléchis, peuvent mettre en péril leur persévérance scolaire et leur diplomation.

Au collégial, le pourcentage plus faible d’étudiants-travailleurs en première année peut s’expliquer par le fait que certains déménagent pour aller au cégep ou encore qu’ils préfèrent observer comment les choses évoluent avant d’accepter un emploi rémunéré. Notons ici que les données recueillies pour le collégial couvrent uniquement l’enseignement régulier (DEC) et ne tiennent pas compte de la formation continue (AEC).

Comme la main-d’œuvre se fait rare, les besoins de travailleurs sont accrus durant les congés sans compter que trop souvent des jeunes sont embauchés avant même l’obtention d’un diplôme. Les avancées que l’on connaît en matière réussite sont ainsi menacées de recul. La vigilance s’impose pour garder le cap sur la réussite, et ce, pour longtemps. En effet, la proportion de la population qui est âgée de 20 à 64 ans devrait passer de 61 % à 54 % au cours des quinze prochaines années . La tentation de s’investir davantage dans un travail rémunéré plutôt que dans le métier d’étudiant sera grande pour les jeunes.

À cet égard, l’employeur est un acteur de premier plan. Les étudiants qui disent bénéficier d’un soutien social élevé de la part de leur supérieur immédiat estiment concilier plus facilement les études et leur emploi. Par contre, ceux qui disent être soumis à une forte demande psychologique dans le cadre de leur emploi rapportent plus fréquemment une conciliation travail-études difficile. Ainsi ce n’est pas tant la nature de l’emploi que le type d’employeur qui affecte la conciliation études-travail-famille. Dans le marché du travail actuel, l’employé détient l’avantage. Donc les employeurs se veulent « attractifs ». L’aide à la conciliation études-travail-famillese positionne donc comme une stratégie pour combler leur besoin de main-d’œuvre.

Les avantages et les inconvénients de ce double emploi

La conciliation travail-études repose sur la dynamique qui se joue entre « planification et gestion », « état de santé » et « rendement au travail ». La gestion de l’horaire est un enjeu de taille. Près de 80 % des étudiants cumulent plus de 40 heures par semaine de cours, de travaux scolaires et de travail rémunéré. Quand un étudiant consacre un plus grand nombre d’heures à son emploi ou à ses travaux scolaires et qu’il ne bénéficie pas d’au moins une journée de congé, la conciliation devient plus difficile pour lui. La flexibilité de l’horaire de travail facilite bien sûr la conciliation mais pose un défi permanent aux employeurs.

L’étude d’ÉCOBES n’identifie pas de seuil pour le nombre d’heures consacrées au travail rémunéré pouvant mettre en péril la conciliation études-travail. Cependant elle fait le lien entre le nombre d’heures travaillées et une conciliation facile, plus ou moins facile et difficile.

Mettons les choses en perspective. Occuper un emploi rémunéré pendant l’année scolaire comporte de nombreux bénéfices pour l’étudiant sans nécessairement avoir d’incidences négatives :
- meilleure connaissance de soi, de ses aptitudes et de ses intérêts professionnels ;
- développement de son autonomie, du sens de l’organisation et du sens des responsabilités ;
- capacité à mieux communiquer ou à s’adapter à diverses situations ;
- possibilité d’épargner pour payer ses études ;
- occasion d’acquérir une expérience de travail.

Cependant, les inconvénients sont bien réels:
- moins de temps pour les études, l'activité physique ou les activités sociales ;
- davantage de retards et d’absentéisme ;
- baisse de la concentration et de la motivation à l’école ;
- hausse du stress et de la fatigue ;
- haut risque de blessure ou d’accident de travail.


Les perspectives dégagées par le projet

Grâce à cette recherche visant à Renforcer le soutien aux étudiants et aux entreprises en matière de conciliation études-travail-famille(CETF), la problématique est maintenant bien documentée. JeConcilie.com constitue d’ailleurs une précieuse source de données tout en étant un outil performant de rétroaction personnalisé.

En gardant le cap sur l’enjeu collectif que représente la persévérance et la diplomation au Québec, la mise en œuvre d’initiatives pour accompagner les entreprises semble porteuse. En amont, il y a aussi lieu de considérer judicieusement la mouvance des besoins et des attentes des générations montantes.

En fait, ce qui peut faire la différence, c’est l’arrimage entre les intervenants du travail et de l’éducation avec les employeurs afin qu’ils abordent ensemble la conciliation comme une responsabilité partagée.

Les jeunes ont aussi à se questionner sur le sens qu’ils donnent à leur métier d’étudiant et sur leurs priorités. Les choix qu’ils font ne sont pas sans conséquence sur leur réussite, leur santé et leur épanouissement personnel et professionnel.


(ISQ 2018a)
Jacques Roy, Le travail rémunéré pendant les études au cégep : un laboratoire sociétal, 2008
Luc Laberge et coll., Jeunes du secondaire et du collégial qui cumulent études et travail. Une enquête sur les conditions d’exercice du travail et la SST. 2014.