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Les campus poussent comme des champignons
Éditorial de Marie-Andrée Chouinard, Le Devoir
Revitalisation économique, accessibilité aux études ou compétition entre établissements ? C’est un peu de tout cela qu’on observe dans la prolifération des campus universitaires et collégiaux satellites au Québec. Des compilations récentes inédites faites par Le Devoir montrent un étalement de plus en plus important de l’offre par le truchement de pôles secondaires établis loin du campus principal, ce qui accentue la surenchère.
Le phénomène n’est pas nouveau, et il prend sa source principale non pas dans la dévitalisation des régions ou la pénurie de main-d’oeuvre, mais bien dans la féroce course à la clientèle à laquelle les universités et les cégeps — financés par Québec au prorata du nombre d’étudiants choisissant leur établissement — se livrent depuis belle lurette. Il n’y a pas si longtemps, on disait que les universités se « cannibalisaient » entre elles. On peut maintenant dire la même chose des cégeps, qui se sont aussi mis au souque à la corde.
Notre reporter à l’éducation, Zacharie Goudreault, a constaté que le nombre de campus satellites avait augmenté de 29 % au cours de la dernière décennie dans le réseau collégial public. Pour 48 cégeps, on recense désormais 27 campus satellites — en 1984, il n’y en avait que 6. Un des exemples les plus connus, et dont l’image frappe, est certainement celui du cégep de la Gaspésie et des Îles, à Gaspé, avec son campus de Montréal, dans Ahuntsic, que quelque 900 km de route séparent. Ce cégep compte trois campus et une école nationale, que 1000 étudiants fréquentent, dont 10 % provenant de l’extérieur du Canada. Le campus de Montréal reçoit d’ailleurs principalement des étudiants étrangers.
D’autres satellites naissent toutefois loin des grands centres et de leur fort — et alléchant — bassin de clientèle. Ceux-là répondent donc assez directement à une volonté de mieux servir les futurs étudiants dans certaines MRC dépourvues de services éducatifs en enseignement supérieur. Une étude faite pour le compte de la Fondation pour l’alphabétisation par l’économiste Pierre Langlois révèle que 39 MRC au Québec disposent d’une offre collégiale dite « hors territoire », située à plus de 20 km du lieu de résidence, ce qui décourage plusieurs étudiants potentiels.
Cette réalité en apparence purement géographique a des répercussions majeures sur l’économie du Québec, juge l’économiste. Faute d’un accès fluide à une formation collégiale, ces régions comptent des niveaux de littératie moindres, soit davantage de scolarités terminales en 5e secondaire, une fréquentation plus grande de la formation professionnelle et une popularité moindre des études collégiales et universitaires. Ces retards, qui concourent à donner des taux de diplomation plus faibles au Québec qu’ailleurs au Canada, entraîneraient « un potentiel économique non réalisé de l’ordre de 4,9 milliards de dollars annuellement au chapitre du produit intérieur brut », écrit Pierre Langlois.