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Hommage à Guy Rocher par Boucar Diouf

Loin de moi l’idée de le traiter de vieux, mais quand monsieur Guy Rocher est devenu compagnon de l’Ordre du Canada, je n’étais encore qu’un gamin. Je ramassais des arachides
dans mon maigre champ de compétence, ignorant tout des champs du savoir avec lesquels j’allais plus tard faire connaissance. J’étais le fils d’un homme qui a sensiblement le même âge que vous, mais qui n’a pas étudié à Harvard ni enseigné à l’université.

En fait, mon père est un analphabète qui n’a jamais su lire autrement qu’entre les lignes de vie du travail de ses mains. Il n’a pas votre teint de pêche, mais il vous ressemble sur un point. Il a compris, tout comme vous, qu’on peut asseoir un brillant avenir sur les bancs d’école. Mon père est un éleveur de vaches qui ne voulait pas que ses enfants se contentent de suivre le troupeau. Il n’était l’esclave de personne, mais il vénérait les maîtres dans les classes qui allaient faire de nous des libres penseurs. Il se faisait un devoir de nous maintenir aux études et si on finissait l’année sur une mauvaise note, sans faute il nous obligeait à redoubler… d’ardeur, pour qu’on apprenne la leçon.
C’est grâce à l’éducation publique que je peux aujourd’hui rendre hommage à un géant qui a réussi l’exploit de ne jamais faire ombrage aux plus petits. Probablement parce qu’au lieu de chercher la lumière, il a longtemps travaillé dans l’ombre afin que chacun d’entre eux trouve sa place au soleil. Tout ça avec l’ultime conviction, j’en suis sûr, qu’il ne sert à rien d’apprendre par cœur sans développer l’amour du savoir.
Si nos églises ont été bâties sur la pierre, nos écoles ont un Rocher comme fondation. Le tranquille révolutionnaire que vous êtes s’est attaqué au portrait sombre de nos tableaux noirs afin de sortir les grenouilles du bénitier où elles pataugeaient, leur fournissant un cours de français 101 afin qu’elles chantent la liberté de parole dans la langue de chez nous.
Vous avez contribué à faire du Québec un endroit qui a plus de classe.
Pas juste une classe ouvrière et une classe privilégiée.
Un Québec qui pourrait se bâtir un avenir avec ses ingénieurs et ses architectes.
Un Québec à repenser, avec ses philosophes et ses poètes.
Un Québec à imaginer, avec ses artistes, des visionnaires et quelques patenteux.
Un Québec capable de se raconter, avec ses mots et son histoire.
Le diplômé de l'Université du Québec à Rimouski venu de très loin que je suis vous remercie, monsieur Rocher, d’avoir fait entrer le Québec dans la modernité en donnant ses lettres de noblesse à l’éducation publique.
Cela dit, même si vous êtes toujours bien vivant, il est temps qu’on s’occupe de votre héritage. Si vous vouliez reprendre du service, on pourrait mettre sur pied une commission grand-parent pour ramener l’éducation à chance égale au centre de nos priorités. Car vous avez toujours enseigné que l’école publique est beaucoup trop importante pour qu’on accepte de s’en priver.

Boucar Diouf

Avril 2024

Source: Fédération des cégeps

19 avril 2024