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Pandémie d'écrans

Chronique de Louis Cornellier - Le Devoir

31 décembre 2020 - Ça peut bien mal aller. Alors que presque toutes les études sérieuses sur la question établissent un lien entre l'usage des écrans et les problèmes de santé mentale et physique, la gloutonnerie numérique bat son plein.

Avant la crise sanitaire, des études québécoises et canadiennes évaluaient que les adolescents passaient presque huit heures par jour devant un écran, essentiellement pour des usages récréatifs puisque la part des usages scolaires se limite à 5 à 10 % de ce temps. Par ailleurs, une étude estimait en 2015 que seul un ado sur cinq lit tous les jours.

L'Institut national de santé publique du Québec notait même que les écrans accaparaient hebdomadairement plus de huit heures du temps des enfants de deux ans et demi ! Une étude américaine en arrivait à la conclusion qu'un adulte consacre 11 heures par jour à des activités numériques. C'est affolant quand on connaît les nombreux dommages que cause ce comportement.

Vous doutez de la toxicité des écrans ? Vous croyez qu'on exagère leurs méfaits ? Vous devez lire Les écrans. Usages et effets, de l'enfance à l'âge adulte (Fides, 2020, 112 pages), un résumé des connaissances scientifiques sur le sujet réalisé sous la direction de Stéphane Labbé, docteur en études urbaines et en communication sociale.

Bien sûr, dans ce débat comme dans celui sur le réchauffement climatique, les marchands de doute s'activent afin de minimiser le problème. Pourtant, conclut M. Labbé, « un certain consensus semble émerger au sein de la communauté scientifique ». Et ce que dit ce consensus, c'est que « les écrans ont, tous âges confondus, un effet néfaste sur les capacités cognitives » ; que la thèse postulant l'existence de nouvelles générations, dites « digital natives » et adaptées au principe du multitâche, est un mythe ; et que la surconsommation d'écrans nuit à la santé mentale et physique en engendrant des problèmes de sommeil, de sédentarité et d'anxiété.

Les écrans ne sont peut-être pas seuls en cause dans l'explosion des difficultés de langage et d'attention des jeunes, mais, comme l'écrit le neuroscientifique français Michel Desmurget, si on reconnaît une valeur à la science, « il faut une sacrée mauvaise foi pour nier la nature essentielle de leur contribution » à tous ces problèmes.

En 2019, Desmurget publiait La fabrique du crétin digital, une virulente critique, très solidement étayée, de la frénésie numérique. Cet ouvrage contient de brillantes considérations sur la méthode scientifique et est animé par un souffle polémique jubilatoire. L'objectivité, dit le chercheur, n'interdit pas l'expression de l'inquiétude et de la colère.

Depuis, à la faveur du confinement, les choses ne se sont pas améliorées. « Le coronavirus a mis fin au débat sur le temps d'écran. Les écrans ont gagné », titrait le New York Times le 31 mars 2020. Le fait, massif, est indéniable, mais on sait bien, en philosophie, que les faits ne font pas la norme. Un comportement peut être répandu, voire majoritaire, cela ne le rend pas souhaitable pour autant.

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