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Rapport du ministère de l'Enseignement supérieur

Un regard renouvelé sur la formation générale au collégial

À la mi-juin, le ministère de l’Enseignement supérieur a rendu public le rapport Regards croisés sur les conditions de réussite éducative des premiers cours de littérature et de philosophie au cégep. En plus des nombreuses recommandations, le rapport propose une vision renouvelée de la formation générale. Le Portail s’est entretenu avec une des rédactrices du texte, Mme Marilyn Brault, enseignante en français et en littérature au Collège Lionel-Groulx.

Par Alain Lallier, Portail du réseau collégial

Marilyn Brault, enseignante en français et en littérature au Collège Lionel-Groulx.

Cultiver l’humanisme

Pour les membres du groupe de travail qui ont produit le rapport, cultiver l’humanisme est encore le meilleur moyen d’affronter les problèmes de la société contemporaine, qui résultent souvent de la difficulté qu’éprouvent certaines personnes à saisir le monde dans sa complexité et à comprendre de façon empathique ce que les gens peuvent vivre. Ne pas avoir un regard empathique entraîne de la discrimination et de la ségrégation.

« L’éducation humaniste est mal comprise par la société, affirme Marilyn Brault, ce qui explique pourquoi la formation générale est malmenée et que plusieurs l’identifient à une éducation passéiste, à un ensemble de connaissances et de savoirs appartenant à une grande culture réservée aux privilégiés. Ce dont il est question dans le rapport, c’est d’un humanisme contemporain fondé sur la relation entre l’univers et l’homme, sur l’éthique, le respect et la compassion. Il vise l’idéal que chacun porte en soi. C’est la promotion d’un idéal démocratique pour une société meilleure où les institutions respectent chacun d’entre nous. »

Elle poursuit : « L’humanisme relie les savoirs, les époques, les cultures et les hommes. Dans un contexte où nos sociétés mettent l’accent sur les technologies et la croissance économique, la culture humaniste est mise à mal. La vision économiste de l’éducation gagne du terrain, ce qui nuit à la réussite des étudiants.es par la segmentation des savoirs, la spécialisation, la technicisation de la culture, encourageant ainsi une accumulation des savoirs au détriment d’un approfondissement des connaissances. »

Former des citoyens.nes du monde

Le rapport attribue à la formation générale le rôle de former des citoyens.nes du monde. « Nous ne voulons pas former des individualistes, affirme Marilyn Brault. Nous voulons former des êtres à l’écoute, empathiques et capables de se mettre à la place des uns et des autres, de les comprendre, de les entendre et d’accepter la différence. C’est facile d’adhérer à ce que l’on croit, aux valeurs qui sont les nôtres. Mais accueillir la différence, comprendre et ressentir ce que les autres peuvent vivre et ressentir différemment de nous, voilà le travail que nous avons à faire comme humains. C’est la seule façon de construire un monde riche et complexe. »

Repenser le silence

Inspirés par les écrits sur l’éthique de la sollicitude (ethics of care), les auteurs du rapport pensent que la formation générale doit contribuer à transformer les conceptions sociales dominantes. « En enseignement, nous avons un rapport de force entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, soutient Mme Brault. Ce rapport exige une écoute et une compréhension de l’autre ainsi qu’une remise en question de cette dynamique de force. Repenser le silence, c’est une invitation à repenser le rapport que nous entretenons avec les voix d’autrui, avec les voix du silence qui n’arrivent pas à s’exprimer, avec les voix intérieures. Nous sommes constamment distraits par le bruit. Nous sommes influencés par les voix dominantes. Tout va trop vite. Nous ne prenons pas le temps de réfléchir, d’entendre l’inaudible. Jacques Brault disait que si nous étions capables d’entendre le silence, nous parlerions tous la même langue. »

Accepter de recevoir des chocs

Pour qu’une lecture et une écoute sensibles d’une œuvre littéraire, artistique, philosophique ou humaniste se concrétisent, il faut emmener la personne étudiante à faire taire en elle le tumulte de la pensée dominante pour lui permettre de penser, de voir, d’écouter autrement ou plus lentement. Ce faisant, l’étudiant.e pourra ressentir les chocs que donnent ces grands savoirs : « Ces chocs, qui nous révèlent la beauté, l’étrangeté ou la complexité du réel, sont le plus souvent provoqués par des choses familières que l’on perçoit comme si c’était la première fois, à la faveur d’un souvenir, d’un événement, d’un rapprochement entre deux choses. » (p. 25)

Selon Marilyn Brault, le but ne consiste pas à susciter des émotions négatives : « Au contraire, il s’agit de secouer les esprits pour mettre en contact les étudiants.es avec des savoirs qui les bouleversent, les dépassent, les transcendent. Pour une écoute plus sensible du monde qui nous entoure, nous apprenons davantage lorsque mis en contact avec des savoirs plus grands que soi. Est-ce que l’on peut observer, lire un texte, travailler une connaissance sans avoir d’objectif de performance associé à ce savoir ? »

Enseigner à vivre, à bien vivre et à mieux vivre

Inspiré par les travaux d’Edgar Morin, le rapport propose de mettre de l’avant ce leitmotiv. À quoi ça sert d’apprendre, si ce n’est pas pour vivre et bien vivre ?

« Pour enseigner la condition humaine et l’identité terrienne, il est nécessaire d’aborder en classe les problèmes fondamentaux et les thèmes du savoir-vivre dans notre civilisation, qui sont actuellement absents des programmes éducatifs. Cela peut inclure, par exemple, la vie urbaine, l’éducation aux médias, l’altérité et les solidarités. Selon Edgar Morin, tout enseignement devrait nécessairement relier les connaissances transmises à l’existence humaine et à la vie. […]

« Enfin, cela implique aussi la nécessité de passer par l’enseignement du doute, de l’échec, de l’incertitude et du désordre. Vivre, c’est résoudre des conflits, faire face à l’erreur, régler des problèmes, élucider des énigmes. » (p.26)

Les recommandations

Fort de cette réflexion, le rapport propose cinq recommandations :

  1. Repenser la place de la culture humaniste et des arts dans la formation générale.

    Le comité propose de les considérer comme des piliers fondamentaux de l’éducation et de l’enseignement collégial.
  2. Mener une campagne de communication nationale.
  3. Transposer les visées de la formation générale en dehors de la classe.

    Le comité de travail invite les établissements et le personnel enseignant de la formation générale dans les cégeps à investir la société et à transposer ses visées, hors de la classe, tout en faisant entrer, dans la classe, une réflexion vivante sur la société.
  4. Briser les silos disciplinaires.
  5. Repenser les paramètres de financement entourant la formation générale.

    Le comité de travail invite donc les collèges et le MES à repenser la façon de financer la formation générale afin de donner à chaque cégep les moyens de réaliser le parcours de formation qui correspond à ses désirs, à son expertise et aux besoins de sa population.

En quoi un regard renouvelé sur la formation générale peut-il augmenter la réussite des premiers cours de philosophie et de littérature ?

Marilyn Brault croit que la réussite visée ne s’arrête pas à une note de passage dans un cours donné : « Nous visons une réussite éducative qui va permettre la poursuite des études supérieures et de s’engager dans la société en devenant un.e citoyen.ne responsable. Il faut bien sûr travailler sur la motivation en classe, susciter l’intérêt par des approches différentes. Nous pouvons aussi répondre à la quête de sens des étudiants.es en créant des liens avec le passé, le présent et en faisant vivre des expériences créatrices. Le premier cours est très important, car il s’inscrit dans la transition du secondaire au collégial. Nous faisons face à des êtres vulnérables qui sont en transformation. Il faut vraiment être dans cette approche de bienveillance, de caring, d’écoute des besoins. Ralentir pour mieux approfondir. Apprendre à apprendre. »

Les suites du rapport

Des comités d’enseignants.es se rencontrent cet automne. Dans l’ensemble, l’accueil semble positif, mais ils souhaitent avoir du temps pour faire des consultations départementales dans chaque collège. « Il y aura aussi une nécessaire hiérarchisation des nombreuses recommandations. Il faudra aussi tenir compte de ce qui a déjà été fait, car il y a beaucoup d’initiatives dans le réseau. Il y aura également des colloques sur le thème de la première session pour partager ces recommandations. Nous irons chercher l’appui des directions des études, de la Fédération des cégeps, et le Ministère aura sans doute des suites à donner », conclut Mme Brault.