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Récipiendaire 2023 du Prix Gérald-Sigouin
Michèle Desrochers, « une institution à elle seule »
« J’oserais presque dire que c’est une institution à elle seule », mentionnait la directrice générale du Cégep de La Pocatière, Marie-Claude Deschênes, en remettant le prix à Michèle Desrochers. Et la protagoniste est d’accord. « C’est vrai que j’ai un tempérament pas mal extravagant ! Je ne sais pas comment l’expliquer d’ailleurs. Je pense que j’ai marqué beaucoup et fait beaucoup de choses aussi. »
Thérèse Lafleur, Portail du réseau collégial
En décernant ce prix à Michèle Desrochers, l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC) honore une femme remarquable. Une pédagogue qui se distingue par sa passion d’apprendre et son désir de transmettre. Sa contribution à l’amélioration continue des pratiques pédagogiques et de gestion est digne de mention. Le prix Gérald-Sigouin lui a été remis lors du 42e colloque de l’AQPC en juin 2023, à Rivière-du-Loup.
Mme Desrochers est d’autant plus touchée par cette distinction que ce sont ses collègues qui l’ont proposée. « Sans avoir un sentiment d’imposture, je me dis que plusieurs personnes dans le réseau pourraient mériter ce prix. » Pourtant cette sociologue de formation trace le portrait d’une carrière hors du commun. Son passage a marqué de façon durable le monde collégial.
Un parcours qui s’est amorcé en 1989, au Cégep de La Pocatière. Elle enseignait la sociologie, un cours semaine seulement. Sa tâche a été complétée par du travail avec des organismes en intervention sociale. Au Cégep, son énergie, son engagement et son enthousiasme étaient appréciés. Et ce maillage de deux fonctions a mis en lumière ses capacités en développement.
« C’est ainsi que le Cégep m’a demandé de revoir le mémoire pour le campus de Montmagny. À l’époque, j’étais à mi-temps et c’est là que le mythe a été installé, je crois. Une histoire qui n’a pas de bon sens et qui donne une idée de ma personnalité. J’avais trois semaines pour refaire une enquête socioéconomique justifiant le projet. Je devais aussi sonder les élèves de secondaire de la région pour valider leur intérêt à fréquenter cet éventuel campus. Il fallait réaliser, en trois semaines, un travail qui prend généralement six mois ! J’ai accepté, mais à mes conditions. Je rappelle qu’à l’époque, il n’y avait pas d’ordinateur. Un prof de littérature relisait tous mes textes. Une secrétaire se consacrait à la tâche, parfois très tard ou très tôt. Bref, la classe qui était notre quartier général était une zone de guerre ! Mon côté audacieux et ma réputation de faire rapidement les choses ont porté fruit. Le Centre d’études collégiales de Montmagny a vu le jour en 1994. » Forte de cette expérience, Mme Desrochers a conduit les travaux pour le Centre d’études collégiales du Témiscouata inauguré en 2017.
La sociologue
Elle raconte que dans ses cours de sociologie, les étudiants allaient filmer différentes réalités menant ensuite à une analyse comparative avec le Québec. Les professeurs d’Éducation sociale, de Soins infirmiers et de Sciences humaines étaient de la partie. Ce projet qu’elle qualifie de « capoté » a duré cinq ans. Dans la même période, elle initiait un échange étudiant avec les professeurs d’Action sociale du Cégep du Vieux Montréal. Une expérience qui s’est étendue sur huit ans. Pendant quelques jours, les étudiants de l’échange plongeaient dans la ruralité des uns ou l’urbanité des autres. Il en ressortait des prismes idéologiques complètement différents. Des initiatives originales soutenues par la Direction des études et l’équipe départementale.
« Côtoyer Michèle Desrochers est une expérience en soi. » Marie-Claude Deschênes
La directrice générale du Cégep de La Pocatière, Marie-Claude Deschênes, explique que « Côtoyer Michèle Desrochers est une expérience en soi. Si elle décide que vous êtes un élément clé de son projet, vous vous retrouvez très rapidement pris au centre de ce maelström. Et vous vous demandez ce que vous faites là lorsque vous êtes frappé par un bref éclair de lucidité. En contrepartie, lorsque tout revient à la normale, à la fin du projet, qui est d’ailleurs devenu le vôtre bien malgré vous, vous vous sentez privilégié d’y avoir contribué. Vous vous surprenez même à espérer secrètement le moment où elle vous embarquera dans une nouvelle tempête. Parce qu’aussi généreuse que passionnée, elle démontre beaucoup d’appréciation pour le travail et la contribution de ses collègues. Tous pour un et un pour tous… Faisons briller ce petit cégep de région ! »
Programmation réalisations missions organisation
Vient un questionnement sur les suites à donner à sa carrière en enseignement. Anticipant la baisse d’inscriptions liée au faible taux de natalité, elle a proposé le déploiement de nouveaux programmes et le développement international. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée conseillère pédagogique en développement et en autoévaluation de programmes.
Dans ce nouveau rôle, elle a relevé le défi d’obtenir le programme Audioprothèse pour le Cégep de La Pocatière. « Comme j’ai tendance à m’ennuyer vite, j’ai développé des outils en collaboration avec le syndicat et une équipe de travail. Actualisés, ils sont encore utilisés pour baliser les rôles de responsable de programme et de coordonnateur de programme. J’ai ensuite fait un guide détaillé pour l’évaluation et l’élaboration de programme pour la formation continue. J’ai aussi conçu un guide d’élaboration des synthèses de programme. Dix ans plus tard, je constate que ces guides existent toujours, bonifiés sans être dénaturés. Pour moi, c’est un témoignage que c’était signifiant, qu’à la base j’ai propulsé la réflexion. »
Après avoir fait le tour du jardin au développement de programmes et d’outils, elle a accepté un poste à l’international. À son actif, elle compte une soixantaine d’ententes avec des lycées et des Instituts universitaires de technologie (IUT) pour intégrer des étudiants internationaux à La Pocatière.
Elle a réalisé le projet ANGE d’Érasmus+ lié aux transformations pédagogiques qu’apportent les technologies numériques. Elle a participé à de nombreux projets d’exportation du savoir-faire et à plusieurs missions avec la Fédération des cégeps. En 2022, elle organisait le Symposium international de l’intégration du numérique dans l’enseignement (SIINE). « Il faut savoir que la direction d’alors a montré une grande ouverture et beaucoup d’appui à mes initiatives. Cela a permis de réaliser de la délocalisation de formation, des forums, des symposiums, une recherche d’envergure avec neuf pays. Mais après avoir créé les choses ou quand le terrain est assez mature, j’ai toujours envie de nouveaux développements. C’est dans mon tempérament. »
Plus récemment, Mme Desrochers a piloté la rédaction du Guide de référence pour les partenariats DEC-BUT. Une collaboration entre la Fédération des cégeps et l’Association des directeurs des Instituts universitaires de technologie de France (ADIUT).
Toujours prête
Femme d’exception ! Carrière exceptionnelle ! Ou vice-versa ? Michèle Desrochers a su conjuguer l’audace et la rigueur au profit de l’enseignement supérieur. Son attachement à sa région, motivé par son enracinement à sa maison ancestrale, l’a ancrée au Cégep de La Pocatière pendant trois décennies. « J’ai eu du plaisir à faire ce que je faisais. Le Cégep m’a laissé la marge de manœuvre nécessaire pour développer et réaliser des projets. »
Recevoir le prestigieux prix Gérald-Sigouin en fin de carrière étonne et émeut madame Desrochers. Pourtant elle récolte ce qu’elle a semé. Et elle a bien l’intention de continuer de semer, autrement. Sa réflexion actuelle porte sur l’investissement citoyen. « Après avoir donné au Cégep, je veux redonner à la société. J’ai déjà quelque chose en tête autour du prix Liberté, en Normandie. Destiné aux 15 à 25 ans, ce concours international porte sur la défense des droits démocratiques. »
Décidément Michèle Desrochers a retenu la maxime de son scoutisme, ‘toujours prête’. Elle n’a sûrement pas dit son dernier mot. Cette sociologue, qui a pour maîtres à penser Edgar Morin, Fernand Dumont, Albert Jacquard et Pierre Bourgault, carbure aux défis. Dans les traces de son passage, Mme Desrochers souhaite léguer sa passion pour apprendre et pour changer les choses.
« Il ne faut pas s’asseoir sur ses réalisations. En pédagogie, il n’y a rien de pire qu’un professeur qui s’arrête, qui ne se perfectionne pas. Et c’est pareil dans n’importe quoi. Être curieuse d’aller vers l’autre, passionnée et investie surtout, c’est mon leitmotiv. »