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L’assurance qualité : le Sénégal à l’avant-garde en Afrique francophone

 

 

 

Un article d'Evelyne Foy, consultante en éducation
 

 

 

Bilan d'un colloque tenu à Dakar auquel la CEEC était conviée

La participation de la présidente de la CEEC, madame Céline Durand, au colloque intitulé L’assurance qualité en Afrique francophone : bilan, bonnes pratiques et perspectives, tenu à Dakar en novembre 2015, ne relève pas du hasard. Une entente de collaboration avait été signée entre la Commission d'évaluation de l'enseignement collégial (CEEC) et l’Autorité nationale de l’Assurance Qualité de l’Enseignement supérieur (ANAQ-Sup) en avril 2014 à la suite de la visite à Québec d’une délégation dirigée par monsieur Abdou Lahaté Cissé, coordonnateur administratif et technique de l’ANAQ-Sup du Sénégal et, par ailleurs, l’un des membres du comité organisateur du colloque. M. Cissé témoigne : « Nous avons fait une mission à la Commission et signé un protocole d’accord dont les objectifs sont, entre autres, l’échange d’experts et de bonnes pratiques dans la perspective d’œuvrer ensemble à la promotion de l’assurance qualité en tenant compte de nos réalités respectives. Le premier acte de mise en œuvre de ce protocole a été la participation de la présidente de la CEEC à notre colloque. »

Madame Céline Durand, présidente de la CEEC

L'ANAQ-Sup

L’ANAQ-Sup est une agence autonome mise en place par l’État sénégalais en 2012. Elle a pour mission d’assurer la qualité de l’enseignement et de la formation dans les maisons d’enseignement supérieur privées et publiques au Sénégal sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ainsi que leurs programmes et filières, contribuant ainsi à renforcer la qualité et la pertinence du système. L’ANAQ-Sup doit aussi s'assurer que les programmes et les institutions sont orientés vers des normes internationales dans l'enseignement et la recherche. Elle formule des recommandations sur les programmes en réponse aux priorités nationales et permet, entre autres, de garantir une cohérence générale dans le développement de nouvelles filières et de nouveaux programmes. Son avis technique est requis par le ministre chargé de l’Enseignement supérieur dans l’agrément des établissements privés et dans l’habilitation à délivrer les diplômes Licence Master Doctorat (LMD) conférée aux institutions publiques et privées.

« L’ANAQ-Sup veut promouvoir une assurance qualité qui participe véritablement à la rénovation en profondeur de l’enseignement supérieur, pour en faire un des leviers essentiels de l’émergence économique du Sénégal. »

L’assurance qualité et les ISEP

Cette collaboration entre la CEEC et le Sénégal est d’autant plus pertinente que l’on y développe actuellement un réseau d’instituts supérieurs d’enseignement professionnel (ISEP) dont le premier, l’ISEP de Thiès, est conçu en s’inspirant du modèle des cégeps. Cet ISEP reçoit l’appui de la Direction des affaires internationales de la Fédération des cégeps, par le biais d’un projet de parrainage pédagogique et technique appuyé financièrement par la Banque mondiale.

Monsieur Abdou Lahaté Cissé, coordonnateur administratif et technique de l’ANAQ-Sup du Sénégal et l’un des membres du comité d’organisation du colloque

Selon M. Cissé : « L’ISEP de Thiès et les autres qui suivront se retrouvent également dans le champ d’application de l’ANAQ-Sup en tant qu’établissements de formation technique supérieure.  Déjà, une cellule interne d’assurance qualité est formée au sein de l’ISEP de Thiès et constitue l’interface avec l’ANAQ. C’est là que notre collaboration avec la CEEC est encore plus intéressante. Un programme professionnel de type ISEP doit être analysé dans sa spécificité qui n’est pas la même que celle d’une licence professionnelle. » Madame Durand rappelle d’ailleurs que : « Des personnes présentes au colloque connaissaient déjà les cégeps et m’ont fait part de leur appréciation des collaborations réalisées avec eux. Nous souhaitons explorer comment nous pourrions à l’avenir avoir un apport à ces projets en collaboration avec la Direction des affaires internationales de la Fédération des cégeps. »

Veille stratégique et ouverture sur le monde à la CEEC

Pour la CEEC, il apparait tout à fait pertinent de s’inspirer de ce qui se passe dans le monde en matière d’assurance qualité : « C’est presque dans l’ADN de la Commission! Sous de précédentes présidences et depuis la création de la Commission, nous avons eu ce souci de nous intéresser à ce qui se fait ailleurs.
En conformité avec notre plan stratégique actuel, nous effectuons une veille soutenue dont les résultats seront d’ailleurs bientôt partagés avec les collèges et le public sur notre site Internet. Avec cette veille,  nous nous inspirons de la réflexion mondiale en matière d’assurance qualité en nous intéressant notamment aux événements, aux réseaux et aux diverses publications.

«  De plus, nous accueillons régulièrement des visiteurs et des délégations comme celle du Sénégal. À l’occasion, des experts d’autres pays ou provinces viennent observer nos travaux. Une experte suisse est d’ailleurs venue l’an dernier et s’est rendue à Shawinigan avec notre équipe. Certains de nos experts sont aussi sollicités pour des opérations à l’extérieur du Québec, en Ontario, par exemple. Nous tentons de favoriser ces échanges malgré les contraintes budgétaires que nous connaissons, car nous estimons que c’est une dimension essentielle de notre mandat. Une invitation comme celle reçue du Sénégal, et de plus financée dans le cadre du projet Gouvernance et financement de l'enseignement supérieur axés sur les résultats de la Banque mondiale, constitue une occasion privilégiée, d'autant plus que la CEEC était la seule participante du Québec et du Canada.

« J’ai pu présenter l’expertise de la CEEC dans sa continuité et sa durée. J’ai pu expliquer comment l’évolution des pratiques a amené la Commission à modifier la manière de s’acquitter de son mandat et à mettre en place un nouveau mode d’évaluation systémique et cyclique. Je crois que cet aspect a particulièrement intéressé les participants, surtout que l’ANAQ-Sup doit se pencher sur ce type de processus et veiller à sa mise en place. Le pragmatisme de notre approche, notre mode de fonctionnement avec les établissements et les défis que nous connaissons ont retenu l’attention. De fait, ces défis sont sensiblement les mêmes pour tous : l’importance de la collaboration entre les établissements d’enseignement et les organismes responsables de l’évaluation et de l’assurance qualité, ainsi que la volonté des dirigeants politiques de nous appuyer. Au Sénégal, la démarche s’inscrit aussi dans l’adoption du système LMD, issu du processus de Bologne, et l’émergence de nombreux établissements publics et privés. »

Madame Céline Durand en compagnie du ministre de l’Enseignement supérieur du Sénégal, Pr Mary Teuw Niane

Échanges, réseautage et renforcement des capacités

Objectifs du colloque L’assurance qualité en Afrique francophone : bilan, bonnes pratiques et perspectives :
— Réunir l’ensemble des parties prenantes de l’assurance qualité du Sénégal, de la sous-région francophone et de leurs partenaires pour faire le bilan des initiatives et développements récents;
— Partager et documenter les expériences dans la mise en place des systèmes nationaux et des dispositifs internes d’assurance qualité dans les établissements d’enseignement supérieur;
— Comprendre les dynamiques (forces, faiblesses et défis) africaines et mondiales en cours dans le sous-secteur de l’enseignement supérieur et de l’assurance qualité, pour orienter les projets de développement de l’assurance dans les pays d’Afrique francophone.

Comme l’indique son titre, L’assurance qualité en Afrique francophone : bilan, bonnes pratiques et perspectives, ce colloque visait plusieurs objectifs et s’avérait d’une grande importance pour l’ANAQ-Sup, comme en témoigne M. Cissé : « C’était extrêmement important à plusieurs points de vue. D’abord, il survient après trois années de fonctionnement de l’ANAQ-Sup marquées de plusieurs réalisations, que ce soit au niveau national ou dans ses institutions. Il était donc normal d’organiser ce colloque international pour partager les bonnes pratiques et les expériences des uns et des autres, tout en abordant les innovations et les dynamiques en matière d’assurance qualité. Nous avions des invités de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique du Nord, des invités institutionnels, des représentants des universités et de diverses organisations spécialisées. Plusieurs initiatives sont en cours dans l’espace francophone africain et il était important de faire le point.

« Pour nous de l’ANAQ-Sup, le colloque était une occasion de renforcer les capacités de l’ensemble des acteurs, de partager des bonnes pratiques et de nous positionner au niveau international en nous inscrivant dans la réflexion mondiale sur l’assurance qualité.

Les participants au Colloque de l’ENAP-Sup

« Nous voulons organiser ce type d'événement international tous les trois ans. Nous voulons affirmer notre volonté de développer l’assurance qualité et de contribuer à la construction du leadership de l’Afrique francophone dans ce domaine. Le Sénégal est à l’avant-garde en matière d’assurance qualité. Il n’y a pas d’autorité nationale en place dans les autres pays francophones. Cependant, il y a des processus en cours au Mali. Par ailleurs, des universités créent leur cellule interne d’assurance qualité au Cameroun, au Niger, mais toujours sans le soutien d'une agence nationale en amont. »

Un échange de bonnes pratiques et une reconnaissance du travail réalisé par l’ANAQ-Sup

Une centaine d’intervenants étaient présents et l’évaluation du colloque s’avère positive pour tout le monde. Madame Durand, tout en soulignant la qualité de l’événement, la diversité des invités et des thèmes abordés, s’est dite impressionnée par « l’appui témoigné à l’ANAQ-Sup et la volonté manifestée par les autorités politiques sénégalaises de valoriser l’enseignement supérieur et d’améliorer sa qualité. Le discours du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche était très éloquent et faisait du bien à entendre. Un message d’espoir et de confiance en cette période où l’éducation, pour diverses raisons, ne figure pas toujours au sommet des priorités. »

En tant qu’un des organisateurs du colloque, M. Cissé dresse aussi un bilan positif : « L’évaluation que nous avons faite du colloque montre que toutes les parties étaient satisfaites. Nous pensons avoir largement atteint nos objectifs dans la mesure où plus de 90 % des personnes attendues étaient présentes. Nous avions des présentations sur l’ensemble des thématiques choisies : 23 communications sur l’assurance qualité interne, sur les dispositifs et les outils, ainsi que sur la mise en place des processus internes dans des institutions publiques et privées au Sénégal et ailleurs. Nous avons pu constater que, même si la procédure est générale et internationalement reconnue, sa mise en oeuvre dépend largement de l’histoire, du contexte et de la réalité de chaque pays et de chaque peuple. Nous avons pu voir comment cette dimension est appréhendée, entendre le point de vue des institutions d’enseignement et de recherche. À travers les communications des experts, nous sommes allés au-delà des pratiques pour mieux connaître les nouvelles tendances et les nouvelles dynamiques. Grâce à l’intervention des partenaires et des agences, comme l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), le German Academic Exchange Service (DAAD), l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS) qui s’occupe de l’accréditation des formations en santé, on a pu aborder un certain nombre de champs d’application spécifiques de l’assurance qualité. Tout cela permettait aux participants sénégalais de mettre en relief ce qu’ils sont en train de faire et de constater que leurs actions épousent les pratiques des autres agences. »

Les défis de l’assurance qualité au Sénégal

De nombreux établissements d’enseignement supérieur sont apparus au cours des dernières décennies au Sénégal et sur tout le continent africain. Il est maintenant généralement reconnu qu’il faut établir un cadre et des attentes quant à la qualité des services. Comme le souligne un rapport préparé par l’UNESCO en 2014, Vers l’assurance qualité de l’enseignement supérieur dans les pays d’Afrique francophone de l’Ouest : expériences récentes et perspectives d’évolution, on s’attend à ce que l’assurance qualité fournisse des références, des normes permettant de distinguer les situations bonnes et acceptables des situations inacceptables en ce qui concerne à la fois les secteurs public et privé. On espère aussi que l’assurance qualité améliore la confiance des parties prenantes concernant la qualité des diplômes et qu’elle constitue une référence permettant d’entraîner les établissements vers une dynamique d’amélioration des pratiques. On souhaite également que l’assurance qualité permette de créer la confiance nécessaire pour la reconnaissance mutuelle des diplômes, afin de stimuler la mobilité intrarégion et vers l’extérieur. L’assurance qualité doit aussi accompagner et soutenir la réforme LMD qui s’inscrit dans un objectif d’amélioration de la qualité et de la pertinence des formations. Dans ce contexte, il est intéressant d’examiner les défis auxquels l’ANAQ-Sup doit faire face.

Selon M. Cissé : « Ils sont énormes! Le premier est d’asseoir la culture d’assurance qualité. L’évaluation n’est pas une pratique évidente, c’est un défi énorme à relever. Le deuxième, c’est celui de la communication : nous devons communiquer, surtout pour les bénéficiaires de nos évaluations. En réalité, nous avons deux finalités : améliorer continuellement la qualité de nos institutions, de nos filières, de nos programmes de formation, puis témoigner devant la communauté sénégalaise du niveau de qualité de ces programmes. Ce n’est pas évident dans un contexte où l’évaluation n’est pas dans les mœurs, du moins tel que nous l’entendons dans le domaine de l’assurance qualité. Le défi de la communication est d’autant plus important que nous publions des rapports publics, parce que nous devons rejoindre différentes parties prenantes qui n’ont pas le même niveau de compréhension des enjeux. Nous devons communiquer avec les étudiants, les parents, les syndicats, les enseignants, les gouvernants, en fait, avec toute la société sénégalaise. Certains thèmes ne sont pas bien compris, et c’est un défi de faire une communication différenciée sans altérer la réalité. Nous devons aussi communiquer avec le reste du monde. On n’est pas dans un village, on est dans la communauté internationale, dans un réseau mondial où il faut être compris et accepté par les autres.

« Il y a aussi le défi posé par la taille du système. Nous avons parfois du mal à trouver des experts au niveau national. Par exemple, pour évaluer un programme offert par une seule université, il faudra faire appel à des experts internationaux. Cela demande une certaine programmation, allonge les délais et nécessite l'organisation d'une procédure pour rester dans les normes que nous avons établies. Mais il faut dire que cette situation est marginale. Enfin, il y a le défi de la pérennisation et de la consolidation avec le retrait progressif des partenaires qui nous accompagnent, comme la Banque mondiale. Là aussi, l’espoir est permis, car l’État sénégalais est en train de prendre progressivement la relève. Nous travaillons également sur d’autres moyens de financement, comme la participation des établissements aux coûts des évaluations.

« Un autre défi, qui celui-là nous semble relevé, c’est l’appui politique. Sans cet appui, on ne peut rien faire! Le gouvernement nous a donné une autonomie au niveau de la structure sans interférer dans nos décisions d’accréditation. Nous avons un conseil scientifique totalement indépendant et autonome qui définit l’ensemble des procédures, le choix des experts, qui valide les rapports et les décisions d’accréditation, alors que toute la procédure et tous les outils sont validés par le conseil scientifique.

« Enfin, un défi qu’on a aussi réussi à relever, me semble-t-il, c’est l’acceptation par les parties prenantes et par les institutions. Si les institutions n’acceptent pas l’agence, elle ne survivra pas. Des programmes dans toutes les universités ont été examinés par l’ANAQ-Sup, et certains n'ont pas reçu son accréditation. Pourtant, cela a été accepté et des correctifs sont en train d’être apportés par les institutions avant qu’on ne procède à un nouvel examen. Toutes les institutions publiques d’enseignement supérieur ont créé des cellules internes d’assurance qualité fonctionnelles et dirigées par des personnes respectées et reconnues au sein des universités. Les universités placent dorénavant la qualité au niveau stratégique, et c’est un grand pas qui a été accompli. »

En ce qui a trait à la reconnaissance des diplômes, des standards ont été établis : « Le Sénégal a défini des standards minimaux pour l’ensemble des établissements publics et privés. Il n’y a pas de dichotomie entre le public et le privé. Le Sénégal a aussi changé la réglementation en matière de reconnaissance des diplômes par l’État. Il y a deux principes qu’il faut respecter pour qu’un diplôme soit reconnu. En premier lieu, il y a la légalité, soit le fait que l’établissement qui décerne le diplôme soit habilité à le faire. C’est un acte administratif délivré par le ministère de l’Enseignement supérieur à la suite d’une évaluation positive de l’ANAQ-Sup. Nous évaluons et nous disons au ministère que nous croyons que la gouvernance, la qualité des enseignants, des conditions de recrutement des étudiants, des équipements, du matériel didactique et des installations d'un établissement d’enseignement supérieur correspond aux normes et mérite d’être habilité. Le ministère donne suite, donc habilite, selon notre évaluation institutionnelle. L’autre principe, c’est la qualité. Chaque programme doit aussi être évalué par l’ANAQ sur une base régulière et récurrente. Ainsi, un programme donné par un établissement habilité et accrédité par l’ANAQ-Sup est reconnu par l’État du Sénégal. »

En conclusion de notre entretien, Céline Durand soulignait que « les responsables sénégalais veulent vraiment que les efforts déployés en matière d’évaluation aient un impact. La recherche de sens est évidente et cela apporte une note très éloquente au colloque et accroit notre volonté de poursuivre la collaboration avec l’ANAQ-Sup ».