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Enseigner en temps de crise : tout réinventer en deux semaines
Par Élise Prioleau
Ce printemps, les enseignants du réseau collégial ont relevé le défi ! En pleine pandémie, ils ont redéfini les contenus de leurs cours. Ils ont repensé les travaux, les évaluations et les activités de leurs programmes. Ils ont fait preuve d’une capacité d’adaptation à la fois technologique et pédagogique. Avec les moyens du bord, ils ont redoublé d’efforts pour permettre à leurs étudiants et étudiantes d’atteindre leurs objectifs de réussite.
Geneviève Blais, conseillère pédagogique TIC, était aux premières lignes lors de la réorganisation de l’enseignement au Cégep Gérald-Godin. « Dès le début de la crise, nous avons élaboré une stratégie afin de revenir en classe à distance », relate-t-elle. «Nous avons sondé les étudiants afin de connaître leurs besoins techniques et personnels, nous nous sommes procuré tous les logiciels manquants et nous avons formé les enseignants à utiliser les technologies numériques. »
« Au début de la pandémie, j’ai rencontré entre 75 % et 80 % des profs du Cégep pour les accompagner dans la transition vers le numérique. Nous avons fait des séances-tests sur les programmes de rencontres en ligne que le Collège a mis à la disposition de son personnel », explique Geneviève Blais. « Certains enseignants étaient technophobes. D’autres n’utilisaient aucune technologie numérique dans le cadre de leurs cours. Malgré cela, ils ont fait preuve d’une créativité inouïe et d’une volonté impressionnante d’adapter leurs cours aux technologies en ligne. Plusieurs profs ont travaillé comme des fous pour y arriver ! », affirme-t-elle.
Au Cégep Gérald-Godin, une ligne d’urgence informatique a été mise sur pied. Des techniciens en informatique ont été engagés pour répondre aux questions techniques des étudiants et des enseignants.
Enseigner en différé
«J’étais anti-techno. J’essayais d’utiliser le moins possible de technologies en classe», admet Simon Blouin, enseignant en philosophie au Cégep de Granby. «Je demandais à mes étudiants d’éteindre leurs cellulaires pendant les cours pour favoriser les discussions lors des pauses. »
Simon Blouin, enseignant en philosophie au Cégep de Granby
Cet hiver, malgré ses réticences, l'enseignant a été confronté à la nécessité d’intégrer davantage de technologies à son quotidien. Ses corrections se font maintenant sur l’ordinateur, travaux numériques obligent.
« J’ai dû me positionner rapidement concernant l’intégration d’outils comme Zoom ou YouTube à mes cours. J’ai finalement opté pour l’utilisation des outils que je connaissais déjà, par exemple les plateformes LÉA et Omnivox. J’y ai déposé entre autres des notes de cours à lire et les énoncés des travaux à remettre. »
L’adaptation aux cours à distance n’a pas été trop complexe pour les enseignants des cours théoriques, comme la philosophie. Pour terminer le semestre, plusieurs ont opté pour un cursus totalement à distance, sans cours magistraux en direct. Certains ont préféré transmettre la matière par écrit. D'autres, à l’aide de capsules vidéo préenregistrées.
Simon Blouin et ses collègues du département de philosophie de Granby ont toutefois profité de la crise pour proposer de nouvelles pistes de réflexion à leurs élèves. « J’ai fait rentrer le thème de la pandémie dans le choix des textes dans le cadre d’une réflexion autour du thème de l’essentiel. C’était important pour moi de fournir aux étudiants des clés de compréhension et d’analyse de notre vécu actuel. »
Le défi relationnel
Sylvain Paquin, coordonnateur de la Technique d’intégration multimédia au Cégep de Saint-Jérôme.
Au département de multimédia du Cégep de Saint-Jérôme, les enseignants ont choisi de donner leurs cours selon le mode asynchrone. C’est-à-dire que les cours sont donnés en ligne selon l’horaire régulier, en plus d’être enregistrés pour les étudiants qui ne peuvent être présents lors de la séance. La principale difficulté rencontrée a été d’ordre relationnel, explique Sylvain Paquin, coordonnateur de la Technique d’intégration multimédia au Cégep de Saint-Jérôme.
« La difficulté est de savoir quels étudiants auront visionné le cours. Nous n’avons pas beaucoup de moyens de savoir comment les étudiants progressent, bien que nous soyons en contact avec eux par courriel », explique le coordonnateur. « D’autant plus que dans un cours asynchrone, je ne vois pas le visage de tous mes étudiants ni leurs réactions. Pour un enseignant qui est à l’écoute de sa classe, ça rend les choses moins intéressantes », constate-t-il. Il estime que 10 à 20 % des étudiants abandonneront ce semestre.
Il faut dire que dans le cadre d’un cours technique, les périodes de laboratoires sont essentielles. Elles sont cependant difficiles à reproduire en ligne, soutien Sylvain Paquin. « En multimédia, il y a énormément de travaux pratiques. En ce moment, nous faisons des démonstrations de logiciels à distance. Si la connexion Internet des étudiants est un peu déficiente, ils perdent des explications », selon le coordonnateur. «Les périodes de laboratoire où le professeur se promène dans la classe pour répondre aux questions manquent énormément. Dans un programme technique comme le nôtre, j’ai des réserves concernant un enseignement totalement à distance.»
L’art d’enseigner à distance
« Un cours à distance, ça ne s’improvise pas », souligne Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de Cégep (FEC-CSQ). « Enseigner à distance demande une longue préparation. Cela exige de nouvelles stratégies pédagogiques et ainsi que du matériel informatique. Les activités ne sont pas pensées de la même façon. Ce sont d’autres stratégies qui sont mises en place pour garder l’attention des étudiants. En deux semaines, il a fallu tout réinventer », explique Lucie Piché.
« Pour poursuivre la session, les enseignants ont dû réorganiser la matière pour aller à l’essentiel. Ils ont refait une préparation pour les activités pédagogiques, les évaluations et les travaux. »
Dans la dernière décennie, plusieurs cégeps avaient développé des cours à distance. C'est le cas des établissements de Matane, des Îles et de Gaspé. La situation, cependant, n’est plus du tout la même, explique Lucie Piché. « Les enseignants faisaient de l’enseignement à distance en mode synchrone, c’est-à-dire qu’ils avaient des étudiants en présence en classe, en plus d’une autre classe présente virtuellement », relate la présidente de la FEC-SCQ. « L’enseignement se faisait avec une technologie installée dans la classe pour retransmettre le cours à la classe virtuelle. Les plateformes étaient fournies par le cégep. Actuellement, les profs sont isolés à la maison, parfois avec leurs enfants et un conjoint ou une conjointe aussi en télétravail. »
Le travail qui a été fait cet hiver est « colossal », affirme Lucie Piché. « Tout le monde avait à cœur de sauver la session, malgré les incertitudes et les balises que nous n’avions pas. »
Pour l’automne, toutefois, nombreux sont les enseignants qui souhaitent du temps. Un répit pour réfléchir, pour se former et pour développer une véritable stratégie techno-pédagogique. « Il nous faut plus de moyens et du soutien pour assurer la réussite de nos étudiantes et de nos étudiants dans un contexte d’enseignement à distance. Nous demandons des directives claires au gouvernement », précise la présidente. Idéalement, ajoute-t-elle, ce sera à l’automne une reprise à géométrie variable. La fédération syndicale en appelle à des stratégies adaptées aux besoins variables des différents programmes d’études.