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Impression de maisons en 3D

Construire autrement

Au Québec, les établissements collégiaux s’investissent dans la recherche depuis 50 ans. Les travaux qui y sont menés ont des retombées positives pour les étudiants.es et l’ensemble de la société. Rencontre avec trois enseignants-chercheurs. Leur quête : trouver des solutions pour construire des habitations accessibles au plus grand nombre et durables.

Jean-Pierre Bouchard, Portail du réseau collégial

Un enseignant du Cégep souhaite imprimer en 3D pour construire des maisons (Source: Radio-Canada)

Le Québec fait face à des enjeux majeurs en matière de logements. Dans la plupart des régions du Québec, le manque de logements locatifs est criant, y compris pour les étudiants.es. En moyenne, le coût des logements a bondi de 14 % selon l’Indice du logement locatif (ILL). Le resserrement des conditions de financement, la hausse des taux d’intérêt et l’augmentation significative des coûts de construction n’améliorent pas la situation.

Portrait préoccupant

En octobre 2023, la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) a mentionné que, d’ici 2030, 22 millions de logements seront nécessaires pour assurer leur abordabilité pour tout le monde au Canada. Au cours des 7 prochaines années, il faudra construire 3,5 millions de logements supplémentaires pour atteindre ce nombre, en plus de ceux dont la construction est déjà prévue. Des investissements estimés à quelque 1000 milliards de dollars.

Dans la 8e édition de son Dossier noir, logement et pauvreté au Québec publié en septembre 2023, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) a toutefois souligné que l’augmentation de l’offre ne règlerait pas le problème. Il a rappelé l’urgence d’ajouter des logements sociaux. Selon l’organisme, 173 000 ménages locataires au Québec avaient des besoins impérieux de logement.Et si l’impression en 3D présentait un élément dans l’équation de l’accessibilité ?

Piste de solution

C’est par un concours de circonstances que David Laliberté s’est intéressé à l’utilisation de l’impression 3D pour la construction des bâtiments. Constatant un problème d’infiltration dans un mur qui venait d’être construit chez lui, l’enseignant en technologie de la maintenance industrielle au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue s’est demandé s’il existait un moyen de fabriquer des murs au moyen d’un procédé plus efficace.

En collaboration avec plusieurs cégeps et partenaires, il a créé le Regroupement innovant pour l’impression d’immeubles durables (RI³D-FRQNT). D’ici trois ans, lui et ses collègues, dont Louis-Étienne Rose du Cégep André-Laurendeau et Nicholas Joyal du Cégep de Trois-Rivières, croient possible la fabrication de bâtiments modulaires durables au moyen de l’impression 3D.

Dans le contexte de ce projet de recherche de trois ans, le Regroupement concevra un duplex pour Habitat pour l’Humanité Québec, un organisme qui aide les familles à revenus modestes à accéder à la propriété. « On vise à imprimer des modules en usine, à les transporter et à les assembler au site, ce qui est assez différent de la grande majorité des autres maisons qui ont été imprimées directement sur site », explique David Laliberté.

Selon lui, ce mode de construction devrait éventuellement permettre d’imprimer des sections de bâtiments durant toute l’année ce qui diminuera les coûts de production et accélérera la construction. « Si on arrive avec quelque chose d’intéressant en matière de logements abordables, l’organisme aimerait déployer le concept à plus grande échelle, ce qui donnerait accès à la propriété à plus de gens. »

Enjeux environnementaux

Les travaux de recherche visent également à trouver des solutions pour réduire l’empreinte écologique liée aux matériaux de construction.Chaque année au Québec, le secteur de la construction, de la rénovation et de la démolition génère une quantité considérable de résidus de construction. Selon le bilan publié par Recyc-Québec en 2023, un peu plus de 1,8 million de tonnes de ces résidus ont pris le chemin d’un centre de tri en 2021. Et 1,7 million de tonnes ont été éliminées. Pour l’heure, le Code de construction constitue un frein dans l’utilisation de matériaux recyclés. Car les entrepreneurs qui bâtissent de nouveaux bâtiments sont contraints d'utiliser des matériaux neufs. Les coûts élevés pour l’homologation de matériaux recyclés ne facilitent pas leur adoption. 

L’impression 3D pourrait néanmoins contribuer à réduire la quantité de résidus éliminés. En 2022, l’Université du Maine a dévoilé la première maison imprimée en 3D entièrement biosourcée. D’une superficie de 56 mètres carrés (600 pieds carrés), elle comporte des planchers, des murs et un toit imprimé en 3D à partir de fibres de bois et de bio-résines. Selon l’université américaine, la précision du processus d’impression a permis d’éliminer la quasi-totalité des déchets de construction.

En participant au projet, Nicholas Joyal veut faire connaître davantage les centres collégiaux de transfert de technologies et de pratiques sociales novatrices (CCCT) de Trois-Rivières. Innofibre, le Centre d’innovation des produits cellulosiques, en fait partie. L’enseignant participe aux recherches sur les matériaux biosourcés, c’est-à-dire composés principalement de substances organiques renouvelables d’origine animale ou végétale. Le Cégep a d’ailleurs déposé un projet d’abris pour les personnes itinérantes conçu avec des matériaux provenant du CCCT. Nicholas Joyal y voit une possibilité d’utiliser les technologies qui seront développées avec le projet d’impression de bâtiments 3D pour construire éventuellement un ou deux de ces abris qui pourront être testés dans la réalité.

Apport des étudiants

Des projets de cette nature génèrent de l’intérêt de la part des étudiants.es. Pour l’heure, les travaux n’en sont qu’au tout début. Le groupe de recherche dessine toutefois des plans pour solliciter l’apport des étudiants. Au Cégep André-Laurendeau, par exemple, le Laboratoire intégré de formation technique (LIFT) pourrait leur en offrir l’occasion. Louis-Étienne Rose veut développer un partenariat avec le LIFT. L’enseignant au programme de technologie de l’architecture veut travailler sur des problématiques en lien avec les travaux du RI³D-FRQNT, dont le développement de matériaux à faible empreinte environnementale et la conception de bâtiments plus écoénergétiques.

Si les travaux de recherche semblent prometteurs, plusieurs défis devront être relevés pour rendre possible l’impression 3D : disponibilité des matériaux pour l’impression, assemblage des composantes, performances énergétiques, intégrité des structures, modification du Code de construction. « Il faut aussi être en mesure d’offrir une solution adaptée au domaine de la construction au Québec », explique Louis-Étienne Rose. Le groupe de recherche auquel il collabore veut réaliser un bâtiment fonctionnel, dont la construction tient compte du travail des différents corps de métier. M. Rose aimerait que les résultats de leurs travaux guident les entrepreneurs dans leur décision d’intégrer l’impression 3D dans la construction de leurs bâtiments.

Bien que l’impression de maisons en 3D ne pourra régler le problème de pénurie de logements dans un avenir rapproché, cette solution pourrait constituer à plus long terme une solution viable pour accélérer la construction de bâtiments ayant une plus faible empreinte écologique. C’est du moins ce que les travaux de recherches tenteront de démontrer.