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Apprendre l’anglais dans un collège francophone au Saguenay-Lac-Saint-Jean

Une entrevue avec Mme Lise Lavoie, coordonnatrice du département d’Anglais au Cégep de Jonquière

Le gouvernement du Parti québécois  a inscrit à son programme des modifications à la Loi 101 qui auraient pour effet de restreindre l’accès aux collèges anglophones pour les étudiants francophones ou ceux issus des communautés culturelles. Dans ce contexte, le Portail a voulu regarder de plus près la situation de l’enseignement de l’anglais langue seconde dans un collège francophone dans une région elle-même très francophone, celle du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Madame Lise Lavoie, coordonnatrice du département d’Anglais au Cégep de Jonquière, a accepté de répondre à nos questions.

À l’ordre collégial, le programme en anglais langue seconde prévoit deux cours obligatoires (4 unités) dans le cadre de la formation générale de tous les étudiants. Cette exigence date des années 90 à la suite d'une modification du Règlement des études. Selon le devis ministériel, la formation générale en anglais langue seconde, a pour objet "d’amener l’élève à augmenter sa maîtrise de la langue anglaise, à s’ouvrir à une autre culture et à faire preuve d’autonomie et de créativité dans sa pensée et ses actions." Appelé à communiquer dans un monde où la connaissance de l’anglais a une grande importance, l’élève devra acquérir, au collégial, des habiletés de communication pratiques ayant trait à des situations de travail ou à des études supérieures.

La formation générale en anglais, langue seconde, permet à l’élève :

  • d’atteindre un niveau de compréhension de cette langue qui va au-delà de données strictement factuelles;
  • de communiquer avec plus d’aisance dans des situations variées dont le degré de complexité correspond à celui que l’on observe habituellement au collégial, entre autres par l’usage de matériel authentique, c'est-à-dire non simplifié pour l’apprentissage de la langue;
  • de s’exprimer avec plus de précision;
  • de développer, pendant son apprentissage de la langue, l’habileté de s’autocorriger en faisant un retour réflexif sur une production récente. » (Voir le devis ministériel).

Deux cours d’anglais, mais quatre niveaux
On parle de deux cours, distingués par les appellations bloc A et bloc B, mais en fait il s’agit de quatre ensembles. Dans ce qui s’appelle le bloc A, l’élève suit un cours d’anglais « général »; dans le bloc B, le cours propose du matériel et des activités plus en lien avec le domaine d’études. Lise Lavoie explique : « Tous les étudiants passent un test de classement en arrivant au cégep. Selon leurs compétences, on va les inscrire dans un des niveaux suivants : 100, 101, 102 ou 103. À tous les niveaux du bloc A et du bloc B, l’étudiant suit deux heures de cours théorique, 1 heure de laboratoire de pratique et 3 heures de travail personnel. À la suite de ces cours,

  • l’étudiant de niveau 100 peut engager une conversation de base en anglais.
  • L’étudiant de niveau 101, une infirmière par exemple, serait en mesure de tenir une conversation avec un patient anglophone dans sa langue.
  • Les étudiants des niveaux 102 et 103 pourraient sans problème travailler dans un milieu anglophone.
  • Avec un niveau 102 ou 103, un étudiant pourrait sans difficulté envisager de s’inscrire à une université anglophone.

L’accent est mis autant sur l’oral que sur l’écrit. Mais, aussi sur les compétences de l’écoute et de la lecture. On met beaucoup d’accent sur les compétences qu’on appelle « actives », donc la production. »

Comment se répartissent les étudiants par niveau? « La majorité des élèves se retrouvent dans les niveaux 101 et 102. Depuis le milieu des années 2000, on voit une progression vers le haut. Nous constatons également une augmentation des inscriptions en niveau 103 », précise Lise Lavoie. 

Quelle est l’attitude des élèves à l’égard des cours d’anglais obligatoires?
« Cela dépend des élèves. Lorsqu’on enseigne au niveau 100, les élèves n’ont pas une grande maîtrise de l’anglais, mais ne voient pas non plus l’importance de l’anglais pour leur avenir. Ce sont des gens qui n’aspirent pas à quitter la région et qui pourront travailler en français exclusivement. Ils y voient un avantage pour voyager, mais ce n’est pas une de leurs priorités. La motivation au départ n’est pas très forte. Aux niveaux 101 et 102, la motivation est plus grande. Le fait que les cours soient donnés à des groupes homogènes à la suite du test de classement motive les élèves. Au secondaire, les groupes ne sont pas homogènes. Des élèves plus forts se retrouvaient avec des plus faibles. Dans les groupes homogènes, on voit mieux qu’il y a des apprentissages à faire. 

Dans les programmes où la compétition est plus féroce et où ils auront besoin de l’anglais pour leur travail, les élèves voient plus l’importance d’apprendre l’anglais. Au niveau 103, pour les élèves qui veulent s’inscrire dans une université anglophone, les cours deviennent très importants. Dans le programme Arts et technologie des médias, les élèves veulent apprendre continuellement parce qu’ils savent qu’ils auront à travailler à Montréal dans le milieu de la télévision ou du cinéma où la maîtrise de l’anglais constitue un atout. L’élève qui veut faire des études en anglais à l’université peut donc s’y préparer adéquatement dans un cégep francophone. »

Le plus gros changement en sixième année primaire

Selon madame Lavoie, le plus gros changement dans l’apprentissage scolaire de l’anglais dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean s’est fait au niveau de la sixième année primaire en anglais intensif. « Cette pratique a été mise en place il y a environ 13 ou 14 ans, pour les élèves à qui le programme était offert. Depuis ce temps, nous constatons une amélioration de la connaissance de l’anglais. Ces élèves se retrouveront majoritairement au niveau 102. Ils ont un intérêt pour l’apprentissage de l’anglais. Au secondaire, ce sont ces élèves que nous retrouvons dans les programmes enrichis. » 

Il n’y a pas que les cours obligatoires
Le département d’Anglais du Cégep de Jonquière compte onze enseignants. Offrir des cours sur quatre niveaux implique une offre de cours assez variée. Les enseignants doivent enseigner deux ou trois cours différents dans les deux blocs. Il faut ajouter les cours d’anglais de formation spécifique : trois cours sont donnés en technique de bureautique et deux en techniques administratives (en comptabilité et gestion, un cours, et en gestion, un cours). Pour ces étudiants, ces cours s’ajoutent aux deux cours obligatoires et ils sont tournés vers le langage plus spécifique à ces univers de travail. 

Les enseignants et enseignantes proviennent principalement du Québec, trois seulement proviennent de l’extérieur de la province. Les uns ont étudié en anglais, les autres en français. Plusieurs ont eu des expériences d’immersion en anglais. Tous nos professeurs possèdent un baccalauréat d’enseignement en langue seconde et plusieurs détiennent une maîtrise en linguistique, en traduction ou en littérature.

Le Collège offre un centre d’aide en anglais
« Ce centre permet à l’élève de parler l’anglais avec un tuteur ou un professeur. Les élèves peuvent venir y travailler leurs difficultés grammaticales ou avoir une conversation avec quelqu’un qui maîtrise bien la langue. On y retrouve surtout des élèves des niveaux 100 et 101. »
Au niveau pédagogique, le département a comme politique de parler exclusivement anglais dans les cours. Au niveau 100, c’est plus difficile. Pour les cours spécifiques et pour les besoins de traduction de certains termes techniques, les enseignants utilisent aussi le français. 

De nouveaux outils pédagogiques
Le département d’Anglais dispose d’un laboratoire de langue pour ses besoins d’enseignement. Chaque professeur dispose d’une heure de laboratoire pour son cours. Le laboratoire est spécialisé : écouteurs, micros, informatique. Depuis quelques années, les professeurs peuvent compter sur de nouveaux logiciels afin de pouvoir jumeler les étudiants lors des discussions en groupe; les professeurs peuvent enregistrer les discussions des étudiants afin de pouvoir revenir sur des notions grammaticales. L’étudiant peut aussi s’enregistrer, il peut s’écouter. L’informatique permet d’avoir accès rapidement à des dictionnaires. 

« Le collège utilise aussi la plate-forme Moodle. Elle nous permet de créer des exercices et des examens en ligne que le professeur peut rendre disponibles aux étudiants. Le matériel pédagogique a aussi évolué. Les manuels nous arrivent avec un compagnon WEB, ce qui permet à l’élève de faire des exercices de grammaire avec rétroaction. L’élève peut faire la lecture dans son livre, mais peut aussi l’écouter », précise madame Lavoie.

En conclusion
La région du Saguenay-Lac-Saint-Jean est très majoritairement francophone; on n’y retrouve d’ailleurs aucun établissement d’enseignement collégial ou universitaire anglophone. Dans ce contexte, amener les jeunes cégépiens et cégépiennes à progresser en anglais n’est pas une entreprise évidente. Cette entrevue montre comment le Cégep de Jonquière a su utiliser des moyens adéquats (programme ministériel, équipe enseignante, matériel renouvelé) pour faire apprendre et maîtriser la langue de Shakespeare. En regardant les profils de formation en langue seconde mis en place dans les établissements collégiaux, nous croyons qu’il en est ainsi dans la plupart des régions du Québec. 

Entrevue réalisée par M. Alain Lallier, éditeur en chef, Portail du réseau collégial.