Articles

Le premier cours de littérature au cégep

Un appel au changement pour favoriser la réussite

Qualifié de « cours écueil », puis renommé « cours défi » pour envoyer un message plus positif, le premier cours de français se solde par un échec dans une proportion inquiétante. Les raisons sous-jacentes sont nombreuses, mais la vétusté des principes et des pratiques qui sous-tendent son enseignement et sa sanction est notamment pointée du doigt.

Par Ann-Marie Gélinas, rédactrice

Adeline Gendron, enseignante en français et en littérature au Cégep Marie-Victorin Crédit photo : Katherine Boisvert, Cégep Marie-Victorin

Pourquoi les élèves échouent-ils en si grand nombre ? Mais surtout, que faudrait-il faire pour que l’ensemble du bassin étudiant ait de meilleures chances de réussir ce passage obligé vers le diplôme ?

Voilà les deux grandes questions auxquelles a tenté de répondre le plus humblement du monde Adeline Gendron, enseignante en français et en littérature au Cégep Marie-Victorin et membre du groupe de travail à l’origine du rapport Regards croisés sur les conditions de réussite éducative des premiers cours de littérature et de philosophie au cégep, déposé par le ministère de l’Enseignement supérieur (MES) en juin dernier.

L’une des principales raisons qui expliquent le taux d’échec élevé du premier cours de français-littérature renvoie à la transition entre le secondaire et le collégial. Selon les auteurs du rapport, il existe un manque d’arrimage flagrant entre les exigences en français du secondaire et celles du collégial.

« On ne corrige pas de la même façon. Au cégep, la correction est codifiée, on compte les fautes et on adopte une méthode de correction négative. Certains cégeps modulent et sont moins exigeants au départ. Mais il reste que bien souvent, c’est la première fois qu’un étudiant ou une étudiante se bute à une correction aussi sévère. C’est un choc, même pour ceux et celles qui cultivent une belle curiosité pour cette langue », déplore Adeline Gendron.

La valorisation du métier d’étudiant et d’étudiante

Au-delà des méthodes de correction qui diffèrent énormément d’un ordre d’enseignement à l’autre, le manque d’arrimage concerne également le contexte et les conditions d’apprentissage. Selon Adeline Gendron, la reconnaissance et la valorisation du métier d’étudiant et d’étudiante permettraient d’atténuer le fossé entre le secondaire et le cégep. « Le métier d’étudiant et d’étudiante, c’est tout ce qui concerne la gestion du temps et des priorités, la prise de notes et l’organisation de façon globale. De nombreuses écoles secondaires commencent à aborder ces notions, mais cette nouvelle réalité en ébranle plusieurs. » Certains cégeps ont eux aussi commencé à s’adapter en proposant des ateliers ou des capsules pour aider la population étudiante à apprendre ce « métier ».

L’optimisation des contextes d’enseignement

Une autre recommandation pour faciliter la transition consiste à offrir les cours de français en blocs plus courts, assortis d’un battement, au moins pour le premier cours. Les élèves ont été habitués pendant six ans à des périodes d’environ une heure et doivent soudainement déployer une concentration soutenue pendant quatre heures, ce qui leur pose un grand défi.

Et pendant qu’on aborde la question de l’horaire, Adeline Gendron mentionne qu’il devrait être agréable et va même jusqu’à suggérer d’éviter de clore la semaine par le cours de littérature : « C’est sûr que le vendredi après-midi, c’est mieux d’offrir aux étudiants et étudiantes des cours qui leur demandent d’être plus actifs. »

La facilitation de l’accès aux enseignants et enseignantes

Une autre mesure permettant d’aplanir les obstacles à la réussite consisterait à réduire la taille des groupes pour permettre aux apprenants et apprenantes d’avoir un contact plus étroit avec leur pédagogue. De plus, lorsque les groupes sont nombreux et que les cours se donnent uniquement sous forme magistrale, l’élève peut avoir une impression d’inaccessibilité. « Mon enseignement a beaucoup évolué dans les dernières années, je ne donne plus de cours magistraux. On travaille sur les textes, on travaille en équipe, on fait des présentations. J’ai déjà enclenché un changement, de façon très personnelle », relate Adeline Gendron.

Elle poursuit en mentionnant que le Cégep Marie-Victorin a choisi d’investir des ressources pour stimuler spécifiquement la réussite du premier cours de français. « Je suis chanceuse, parce que mes classes comptent autour de 30 élèves. Aussi, je dispose d’une heure à l’horaire de chaque groupe que je peux utiliser pour encadrer les personnes qui en ont besoin. C’est un choix institutionnel qui a été fait par la direction. »

S’adapter à la diversification de la population étudiante

Autre constat : la population étudiante est plus diversifiée qu’avant et les finissants et finissantes du secondaire qui fréquentent le cégep sont plus nombreux que jamais auparavant. Ces nouvelles réalités creusent encore davantage l’écart entre les deux ordres d’enseignement. De nombreux étudiants et étudiantes du cégep Marie-Victorin font leur entrée au niveau collégial avec une moyenne plutôt faible. Conséquemment, leurs résultats s’avèrent nettement insuffisants pour leur permettre de réussir facilement leur premier cours de français.

« J’ai une formation en littérature et j’enseigne depuis 20 ans. Et récemment, je côtoie de plus en plus d’étudiants et étudiantes immigrants et de première génération au cégep. Je n’ai pas reçu de formation pour répondre à ces cas particuliers, qui sont de plus en plus courants », commente l’enseignante.

Partager la responsabilité du développement des compétences langagières

Finalement, l’un des aspects névralgiques de la réussite du cours de littérature réside dans son rapport inextricable avec la réussite de l’épreuve uniforme de français (EUF). Dès leur premier cours de littérature, on commence déjà à y préparer les élèves.

Or, le souhait d’Adeline Gendron serait de pouvoir d’abord intéresser l’étudiant ou l’étudiante à la langue sans devoir se soucier des contraintes liées aux critères de la fameuse épreuve. « La compétence à développer dans le cours de littérature est l’analyse de textes littéraires. Et puisqu’on prépare déjà l’élève à l’EUF, on adopte une vision très technique de la chose. On apprend à reconnaître des procédés, puis on essaie de comprendre ce qu’ils peuvent vouloir dire dans un cadre très rigide. Ce faisant, on éteint un peu, parfois, la littérature de cette façon. On pourrait pourtant donner plus de place aux aspects de beauté et d’esthétisme de la langue. »

Une autre solution qui contribuerait à alléger la pression exercée sur le premier cours de français serait de faire de la valorisation de la langue une responsabilité partagée. Puisque l’objectif consiste à développer non seulement des compétences linguistiques, mais également des compétences langagières, pourquoi les autres matières comme la philosophie et l’anglais n’auraient-elles pas elles aussi un rôle actif à jouer ? Autrement dit, y aurait-il un moyen de repenser la forme de l’épreuve pour que le sujet repose à la fois sur la philosophie et le français sans nécessairement être de nature littéraire ?

Au fond, la formation générale vise à former des citoyens et citoyennes dotés d’un sens créatif foisonnant et d’un esprit critique aiguisé. Il serait donc logique que d’autres matières y contribuent sans que le poids repose entièrement sur le français dès le premier cours.

D’ailleurs, pour ajouter à la lourdeur, il se trouve que le premier cours est le plus difficile des quatre cours de français puisqu’il jette toutes les bases de la matière. Il serait donc judicieux d’étaler les notions sur les deux, voire les trois premiers cours pour permettre à la population étudiante de souffler un peu à son arrivée au cégep.

Ce ne sont là que quelques-unes des avenues explorées par le groupe de travail dans son rapport. En attendant que le MES annonce des mesures concrètes assorties de budgets précis pour renverser la vapeur, certains membres du corps enseignant ont déjà commencé à opérer des changements. Car ceux et celles qui sont animés par une véritable vocation, comme Adeline Gendron, n’ont pas l’intention de rester les bras croisés face à ce gouffre qui avale l’espoir d’une foule de jeunes en quête d’un diplôme postsecondaire.