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Gérer les tensions organisationnelles

Naviguer dans la complexité

Les tensions organisationnelles sont le lot quotidien des cadres. Leur capacité à bien naviguer dans cette complexité s’avère essentielle. Conjuguer bienveillance et performance, c’est possible. Des stratégies d’adaptation gagnantes peuvent être adoptées face à certains paradoxes...

Thérèse Lafleur, Portail du réseau collégial

Le compliqué n’est pas nécessairement complexe. Un casse-tête c’est compliqué, mais faisable. Par contre, la complexité comporte des éléments d’ambiguïté et d’incertitude sur lesquels personne ne peut avoir prise...

Devant les paradoxes organisationnels, la conférencière Louise Charrette propose de ramener la complexité à sa plus simple expression. Avec les participants au colloque de l’Association des cadres des collèges du Québec, elle s’est employée à démystifier la complexité organisationnelle.

L'arbre, la forêt et le système

« La complexité vient de plexus : ‘’entrelacement’’ et ‘’liés ensemble’’. La complexité implique qu’agir sur un aspect influencera l’ensemble du système. L’approche systémique offre donc une perspective globale qui permet d’appréhender la complexité », explique Mme Charrette.

Pour elle, la notion de système offre une perspective globale des interactions. Ainsi l’approche systémique permet de cerner les éléments qui créent des pressions sur l’organisation. « Pour être efficaces en contexte de complexité, nous avons besoin de l’approche analytique et de l’approche systémique. Il faut à la fois voir l’arbre et la forêt. Demeurer logique, mais ouvert à l’irrationalité et à l’inconnu. Sans être ni cartésiens ni anticartésiens : les deux sont nécessaires. Il s’agit plutôt d’être tantôt l’un et tantôt l’autre. Et principalement l’un et l’autre comme dans le paradoxe de Pinocchio. 

Un paradoxe est l’association de deux faits ou de deux idées contraires.

Prenons le paradoxe du fromage à trous.
Si plus il y a de fromage, plus il y a de trous.
Alors plus il y a de trous, moins il y a de fromage.
Donc plus il y a de fromage, moins il y a de fromage

Sylvain Gallagher, le président-directeur général de l’ACCQ, avait aussi utilisé le même exemple à l’ouverture de cette 50e édition du colloque pour en illustrer le thème Paradoxes organisationnels. Si Pinocchio dit « maintenant mon nez va allonger », cela ne semble pas un paradoxe. Toutefois, en analysant un peu la phrase, il s’agit bien d’un paradoxe. Si son nez s’allonge, c’est qu’il dit la vérité. Donc s’il dit la vérité, son nez ne devrait pas s’allonger. Et si son nez ne s’allonge pas, cela veut dire qu’il ment et son nez devrait s’allonger. La vérité et son contraire à l’intérieur d’une même phrase.

L’environnement est un système ouvert

L’évaluation de l’environnement en contexte complexe est la pierre d’assise pour aborder judicieusement les systèmes hypercomplexes. « Ces systèmes sont forcément ouverts. Ce ne sont pas de petites boîtes fermées dont nous connaissons les résultats. Des informations arrivent de l’extérieur, d’autres en sortent. Les systèmes hypercomplexes sont nécessairement ouverts, relationnels et englobants », précise Mme Charrette.

Pour atteindre les objectifs, leur finalité, les systèmes complexes qui entrent en jeu tablent sur plusieurs variables. « À l’intérieur des organisations, toute la diversité des compétences doit, et peut, être mise à contribution pour réussir à affronter les paradoxes et la complexité. Ces systèmes auto-organisateurs tendent à créer de l’ordre dans le chaos », affirme-t-elle.

Opter pour une approche systémique rend plus facile de percevoir les multiples éléments qui s’influencent entre eux, à divers degrés, et génèrent des pressions sur l’organisation.

Principes pour évaluer la complexité d’un environnement

  1. Le principe d’interaction et d’interdépendance. Chacun élément tire son information des autres et agit sur eux. Pour comprendre un élément, il faut saisir les interactions. 
  2. Le principe de la totalité veut que lorsqu’il y a un regroupement d’éléments, la logique du groupe prime sur celle de chaque élément.
  3. Le principe de rétroaction, l’effet B produit par A en retour sur la cause A qui l’a produite, ramène au paradoxe de Pinochio.
  4. Le principe de l’équifinalité comme quoi plusieurs voies de solution peuvent être envisagées pour une même problématique.
 

 

Recadrer

Il y a des stratégies pour gérer cette complexité, selon Mme Charette. D’abord accepter de vivre dans l’incertitude et l’ambiguïté. Prendre du recul par rapport à ce qui se passe. Être attentif aux évolutions, rien n’est immuable ni statique ; un système c’est dynamique.

« Il faut aussi être prêt à remettre en question nos certitudes. Questionner ce que nous prenons pour acquis afin de prendre du recul et de mieux comprendre ce qui se passe. Accepter de faire entrer dans son système de pensée des approches qui peuvent être différentes. J’appelle cela le recadrage ». Le recadrage est l’outil à privilégier, selon elle. « Qu’est-ce que le recadrage ? Ce n’est pas de dire à quelqu’un : l’objectif c’est cela. Le recadrage c’est amener une personne à changer sa perception des choses. De changer le cadre ». Il semble logique, d’entrée de jeu, de convaincre ou de résoudre un problème simple par un changement de type « niveau 1 » : nous argumentons et l’un ou l’autre est convaincu. Toutefois, pour les problèmes plus complexes, la solution du changement de niveau 1 n’est plus adéquate. L’argumentation seule ne fonctionne pas. Donc il faut faire autrement.

« En contexte de complexité, nous avons besoin de l’approche analytique et de l’approche systémique. Il faut à la fois voir l’arbre et la forêt. »

Cela signifie adopter un changement de type « niveau 2 ». « Quand nous voulons faire les choses autrement, ou convaincre sans argumenter et sans coercition, nous pouvons passer d’abord par le questionnement. Cela nous permettra d’identifier le levier qui sera important pour susciter le changement chez notre interlocuteur. Ce n’est pas de la manipulation. Ce que nous cherchons à faire, c’est d’amener l’autre à adopter une perception différente des choses. En induisant un changement de niveau 2, qui recadre la situation, nous changeons la règle du jeu. Cela suscite une nouvelle vision des choses, la règle du jeu change. En redéfinissant les règles du jeu, nous gardons l’avantage tout en sortant du problème. »

Recadrer, c’est un changement de niveau 2 qui implique une double contrainte, donc un paradoxe. En recourant aux leviers importants pour l’autre, ses valeurs et ses croyances seront touchées. Ainsi, il sera plus enclin à s’ouvrir à une idée nouvelle, ce qui permettra de recadrer sa perception. La gestion de la complexité, l’approche systémique, les paradoxes sont remplis de zones grises. Accéder à ces zones grises permet d’identifier les leviers propices au changement de perception.

Si Pinocchio dit « maintenant mon nez va allonger », il s’agit bien d’un paradoxe. Si son nez s’allonge, c’est qu’il dit la vérité. Donc s’il dit la vérité, son nez ne devrait pas s’allonger. Et si son nez ne s’allonge pas, cela veut dire qu’il ment et son nez devrait s’allonger. La vérité et son contraire...

Plusieurs angles sont à envisager pour développer ses compétences en lien avec la complexité. La coopération, l’innovation, la vision globale versus la vision analytique, sont autant d’aspects à considérer. Mme Charrette suggère de se fixer des objectifs simples, rassembleurs, positivement formulés, atteignables, stimulants, spécifiques et mesurables avec des échéances précises. Des objectifs respectueux de l’éthique. Avoir et laisser la latitude de prendre des décisions dans la sphère d’intervention permet que chacun sente son expertise reconnue. Le sentiment d’appartenance est tout aussi important, tout comme la notion de sens et de plaisir au travail.

« Pour évoluer dans la complexité, il faut savoir faire un pas en avant, de côté ou en arrière. Bref, il faut apprendre à danser dans la complexité ! » conclut-elle.