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L’information, ça va où ? Dynamique de la gestion des documents

Thérèse Lafleur
Rédactrice

L’information dans un cégep, ça va où ? Ça va là où l’indique le plan de gestion documentaire. Parce que gérer les documents, c’est gérer l’information. Pas pour la produire ou la diffuser, mais pour la conserver en mode évolutif.

« C’est essentiel et ça a du sens. La gestion des documents se fait avec les personnes, leurs ordis et leurs idées. Tout est dans la manière de présenter les choses. C’est à nous de démontrer que cela a du sens. Alors la personne s’engage et développe le réflexe d’utiliser le système de classement. » affirme avec conviction Nathalie Olivier, technicienne en gestion documentaire au Cégep Limoilou.

Marie-Claude Légaré, technicienne en documentation au Cégep de Sainte-Foy ajoute que : « Le partage plus rapide et plus fréquent des documents, le travail collaboratif, les outils en ligne, la publication en ligne et les courriels ainsi que l’obsolescence des logiciels augmentent les possibilités de multiplier les copies d’un document, la perte d’information, etc. La gestion des accès et la sécurité informatique deviennent donc des enjeux importants, surtout dans un contexte de développement et d’évolution rapide des technologies de l’information (TI). Il est beaucoup plus facile de gérer les accès aux documents papier ! »

Au Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu, l’archiviste Valérie Poirier-Rouillard partage avec enthousiasme leur expérience :« Depuis 2018, nous avons beaucoup progressé avec Sharepoint. Nous visons la gestion intégrée des documents au processus de travail, aux décisions, à la gouvernance. Sans oublier le papier, notre objectif est de passer au “tout” numérique. Nous accompagnons le personnel vers ce changement de pratiques et de mentalité. »

La dynamique de gestion de l’information repose sur une arborescence signifiante et engageante pour traiter, protéger et conserver l’information dans une démarche respectueuse de la culture institutionnelle. La gestion des ressources documentaires s’invite donc à la gestion des processus, à la prise de décision ainsi qu’à la gouvernance.

L’ABC de la gestion d’un document

« Chaque document a une durée de vie tant qu’il est utilisé ou tant qu’il a une valeur administrative », explique madame Olivier. Dès qu’un document est créé, il faut s’en occuper. En continu. C’est la responsabilité permanente de chaque employé qui intervient dans l’information.Quant au gestionnaire des ressources documentaires, il est la vigie de la classification et de la conservation. Tout comme l’Informatique est à la barre de la sécurité et de la sauvegarde de l’information. Actuellement, la tendance est à la programmation d’un système de gestion électronique des documents qui permet à chacun d’enregistrer automatiquement ses documents sous le bon nom et au bon endroit. »


Nathalie Olivier, technicienne en documentation, Cégep Limoilou

Questions de confidentialité et de sécurité, tous les serveurs sur lesquels les données sont entreposées doivent être situés au Canada, conformément à la loi. Selon leur volume, ces coûts de stockage peuvent être faramineux. Mais grâce à un système de gestion documentaire performant, un cégep peut réduire significativement ces onéreux achats d’espace mémoire. Heureusement, la tendance est au travail collaboratif où chacun peut intervenir simultanément dans un même document accessible partout et en tout temps. Ainsi, un ordre du jour ne génère plus des tonnes de copies.

Marie-Claude Légaré spécifie que « à la base les objectifs de la gestion documentaire demeurent les mêmes, qu’il s’agisse de documents papier ou de documents électroniques. Par contre, il est important de distinguer “l’entreposage” des fichiers de “l’archivage”. L’entreposage, c’est le dépôt de documents/fichiers dans un endroit physique ou sur des emplacements“serveurs”, communs ou non. Ces documents ne sont pas nécessairement destinés à l’archivage. L’entreposage n’est pas suffisant pour assurer une accessibilité à long terme ; c’est le travail garanti par l’archivage, par l’utilisation d’outils et de méthodes de travail élaborées en collaboration avec les utilisateurs. »


Marie-Claude Légaré, technicienne en documentation, Cégep de Sainte-Foy

De multiples enjeux

Comme les données sortent maintenant des filières, la gestion des affaires courantes est soumise à de nouveaux considérants. Le réseau collégial travaille sur un plan directeur en ressources informationnelles (PDRI) pour sécuriser les données sensibles, mais immatérielles ainsi que le volume d’information à stocker. En outre, Collecto a développé un cadre de référence, un plan qui interpelle les directions des technologies de l’information et des communications,mais qui concerne aussi les gestionnaires des documents et des archives.

Valérie Poirier-Rouillard résume ainsi les enjeux courants de la gestion documentaire soit :
-  La gestion des accès et des informations confidentielles ;
-  L’accès aux documents (surtout à distance) et leur repérage rapide ;
-  La protection des documents à conservation permanente (par exemple les procès-verbaux du conseil d’administration ou le plan stratégique) ;
-  La collaboration entre services notamment pour faciliter les mouvements de personnel.


Valérie Poirier-Rouillard, archiviste, Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu

Mais au-delà des enjeux économiques et d’optimisation des ressources, développer le réflexe du « classement continu » peut éviter bien des écueils. Comme d’échapper une subvention confirmée par courriel, un courriel ignoré ou perdu dans les méandres d’un classement improvisé.Et maintenant qu’une signature électronique peut faire office d’engagement, vigilance et rigueur s’imposent.

Madame Olivier rappelle « qu’il est important que les bonnes informations soient à la bonne place et puissent être déplacées stratégiquement. Par exemple quand un service migre sous une nouvelle direction, cette modification à l’organigramme a de réels impacts sur le classement. La souplesse qu’apporte un système de gestion documentaire permet de faciliter ce type de transition. »

L’enjeu de la mobilité et du renouvellement des ressources humaines est un autre élément qui fait ressortir l’importance de la gestion documentaire. Quand un employé part, les dossiers ne doivent pas disparaître avec la personne. Il y a aussi des enjeux de mémoire.Le savoir-classer est profitable. Le savoir-conserver l’est tout autant. Et, dans une perspective de développement durable, comment justifier l’empreinte environnementale de l’énergie consommée pour le stockage inconsidéré de documents ?

Une démarche engagée

La dynamique de gestion des documents évolue lentement mais sûrement dans le réseau collégial, selon les réalités propres à chaque établissement. Le Cégep Limoilou actualisait son plan en novembre 2019 et sa mise en œuvre se déploie. Au Cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu, c’est par l’angle de la gestion des documents électroniques qu’a été abordé la classification et la conservation. De son côté, le Cégep de Sainte-Foy a inscrit l’optimisation de la gestion des ressources documentaires via une solution numérique dans son Plan stratégique 2015-2020.

Selon les férues de gestion documentaire consultées, il est capital de rallier l’ensemble des intervenants de la communauté collégiale à la cause, même les plus résistants ! L’idéal étant d’officialiser le plan de classification et de conservation par l’adoption d’une Politique de gestion documentaire. 

Nathalie Olivier témoigne que : « c’est un défi de rendre le classement accessible à tous. La formation est une clé pour comprendre et respecter le plan de classification institutionnel. En travaillant aux archives, je suis comme une missionnaire qui convertit une personne à la fois et ça fonctionne. Les gens embarquent. Ensuite mon rôle est davantage de les accompagner, de les guider et de soutenir leur démarche. Déployer un plan de classification est une opération d’envergure. »

Valérie Poirier-Rouillard assure elle aussi que la démarche nécessite de l’engagement : « C’est un défi partagé et il faut que la volonté vienne d’en haut. C’est une priorité institutionnelle depuis 2018 à Saint-Jean. Chaque année, la directrice générale rappelle à tous que même si ce n’est pas urgent, c’est important. »

Madame Poirier-Rouillard raconte l’expérience inspirante du Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu : « Au départ, tout était dans des boîtes de carton mélangées. Nous avons décidé d’inverser les étapes habituelles et de nous occuper du numérique avant le papier. Nous avions besoin avant tout de nous retrouver, de travailler en collaboration, d’avoir la bonne version du document, de faciliter les mouvements de personnel. Ça ne se pouvait plus d’arriver en poste et de se retrouver avec un dossier au nom de l’ancienne personne, d’être contraint de fouiller le dossier pour finalement recommencer à neuf. C’était ingérable et inclassable ! Alors qu’avec une structure uniforme de dossiers et une convention de “nommage”, on est à même de savoir ce qu’il y a dans le fichier. Cela apporte de la fluidité dans la gestion de l’information, par exemple dans la transition à la coordination d’un département. »

« Nous voulons centraliser dans un site (Sharepoint) les dossiers à accès restreints pour le coordonnateur et aussi les dossiers pour l’équipe départementale. Même chose dans un service.Dans cette foulée, tous les fichiers sont maintenant à l’infonuagique. » précise-t-elle. Dans cette foulée, le Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu s’est doté d’une Politique de gestion intégrée des documents et des archives. Les membres du personnel ont accès aux outils de gestion, au calendrier de conservation et au plan de classification. De plus, le site du Cégep présente les archives historiques.

La BAnQ, la référence

À la création des cégeps en 1967, c’est le Cégep du Vieux Montréal qui a proposé le premier plan de classification. Avec le temps, il a passé le relais aux cégeps et c’est maintenant la BAnQ, en collaboration avec les cégeps, qui veille au modèle générique et aux exigences légales via le Guide de gestion des archives des établissements d’enseignement collégial du Québec. Ce guide réfère aux deux piliers autour desquels s’articule la gestion documentaire : le plan de classification et le calendrier de conservation.

Un réseau en devenir

Qu’ils soient professionnels, analystes ou techniciens, les spécialistes de la gestion documentaire sont appelés à travailler avec toutes les composantes de leur établissement. Incontournables alliés des services des technologies de l’information (TI), ils relèvent habituellement du Secrétariat général ou des Communications. Sans structure formelle d’interactions, les responsables de la gestion des documents des collèges ont récemment profité d’une session de formation pour jeter les bases d’une plateforme d’échange via un groupe fermé sur Facebook.

Marie-Claude Légaré estime que : « l’avenir de la gestion documentaire, et particulièrement de l’archivage de documents électroniques, représente un réel défi. Il faudra revoir les différents concepts et la réalité de l’archivage et “déconstruire” certaines idées préconçues, impliquer davantage l’utilisateur dans le cycle de gestion documentaire. Dans ce contexte “moderne”, la collaboration avec les utilisateurs et les services informatiques devient extrêmement importante. Chaque personne doit prendre conscience des impacts de sa méthode de travail sur la création de documents, et donc, par le fait même, des impacts sur la conservation de ceux-ci. »

Nathalie Olivier conclut avec humour : « qu’un cégep qui s’active à structurer sa gestion documentaire fait parfois le saut du 19e au 21e siècle quand s’entremêlent les archives d’un ancien séminaire à celles d’un nouveau collège. Il y a eu et il y aura toujours des scribes, mais disons que le métier a beaucoup évolué. »