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Le Prix littéraire des collégiens, une rencontre littéraire humanisante


Par Élise Prioleau

Pour la première édition du Prix Guy-Rocher, la Fédération des cégeps a souligné la contribution sociale et culturelle des co-fondateurs du Prix littéraire des collégiens. Bruno Lemieux, professeur de littérature et de communication au Cégep de Sherbrooke et Claude Bourgie-Bovet, directrice de la Fondation Marc Bourgie, sont lauréats du Prix Guy-Rocher en 2020. Retour sur les retombées d’une rencontre littéraire culturellement et humainement enrichissante.

Le Prix littéraire des collégiens a 17 ans! C’est l’histoire de deux passionnés de littérature qui ont voulu croire au potentiel immense des jeunes. Ils se sont inspirés du Prix Goncourt des lycéens français et ont mis leurs ressources en commun pour en créer l’édition québécoise.

Bruno Lemieux, professeur de littérature et de communication au Cégep de Sherbrooke

« L’objectif est de nourrir le plaisir de lire et de faire connaître la littérature québécoise contemporaine. Le Prix est un prétexte fort et stimulant pour partager l’amour de la lecture entre lecteurs qui ont lu les mêmes livres. Il amène les étudiants à partager leur passion, leur goût esthétique et leurs émotions », explique Bruno Lemieux.

Le Prix littéraire des collégiens, c’est un processus qui s’échelonne sur plusieurs mois. En décembre, les 800 étudiants participants recevront une copie des cinq romans choisis par le comité organisateur. Par la suite, les étudiants se rencontreront en cercles littéraires dans leurs collèges respectifs pour débattre de la qualité des romans, de leur valeur esthétique, de leur construction narrative et notamment de la place qu’ils occupent dans le paysage littéraire sur les plans historique et politique. À la suite des délibérations locales, au mois de mai, un représentant de chaque cercle littéraire sera nommé pour représenter son cégep à la délibération nationale. Au terme de l’événement, qui a généralement lieu au Salon du livre de Québec, un auteur gagnant sera nommé lauréat.

« Ces discussions très approfondies permettent aux jeunes de développer leur esprit critique, mais aussi leur confiance en soi. En débattant, ils apprennent à argumenter, à écouter le point de vue de l’autre et à collaborer à un processus démocratique. Après avoir vécu cette expérience, les étudiants nous disent qu’ils se sentent plus à l’aise dans différentes facettes de leur vie. Ça nourrit leur aptitude à s’exprimer », relate Bruno Lemieux.

« Les œuvres élues par les étudiants indiquent bien ce qui les anime sur le plan esthétique et des valeurs. »
- Bruno Lemieux, professeur de littérature et de communication au Cégep de Sherbrooke et co-fondateur du Prix littéraire des collégiens

Nicolas Gendron, comédien, adjoint artistique au Théâtre Denise-Pelletier

Partager le bonheur intime de la lecture
Nicolas Gendron, comédien et adjoint artistique au Théâtre Denise-Pelletier, a participé au Prix littéraire des collégiens pendant cinq ans, entre 2004 et 2009, alors qu’il était étudiant au Cégep de Trois-Rivières, puis au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.
Le comédien reconnaît que le Prix littéraire l’a poussé à développer son propre regard analytique sur les œuvres. C’est toutefois son amour des livres et le plaisir de partager la joie littéraire qui a été le plus renforcé chez lui au fil des années. « C’est un projet porté par le partage du plaisir de lire. D’une expérience intime qu’est la littérature, en faire une expérience collective, c’est une richesse exceptionnelle du Prix », affirme Nicolas Gendron.

« Pour moi, la culture est une porte d’accès aussi bien au monde qu’à soi. Elle permet de faire dialoguer l’intime et le collectif. C’est un des legs du Prix littéraire, de permettre aux étudiants de prendre conscience que l’expérience intime de la lecture peut être partagée. »
- Nicolas Gendron, comédien, adjoint artistique au Théâtre Denise-Pelletier et ex-participant au Prix littéraire des collégiens

« Le goût du partage, qui est derrière les mots. C’est un état d’esprit qu’apporte le Prix, et qui amène à penser que les œuvres n’ont pas d’âge. Il y a des œuvres très exigeantes qui ont résonné de manière très forte chez des jeunes de 17-18 ans. » Le Prix littéraire des collégiens fait preuve en ce sens d’une marque de confiance envers la jeunesse, qui est porteuse d’une plus grande maturité qu’on voudrait le croire, selon le comédien. 


Julie Gagné, professeure de littérature au Cégep régional de Lanaudière

« Ça a changé mon rôle de pédagogue! »
Le Prix littéraire des collégiens ne saurait jouir d’un tel rayonnement sans l’engagement indéfectible des quelque 50 enseignants en littérature qui accompagnent la démarche d’analyse des étudiants. « Dans mon cégep, c’était d’abord une activité parascolaire », se remémore Julie Gagné, professeure de littérature au Cégep régional de Lanaudière et membre du comité organisateur. « La première année, j’avais une trentaine d’étudiants qui voulaient participer. Au fil du temps, un cours de littérature y a été consacré. Ça fait 15 ans que je l’enseigne. »

Le Prix littéraire des collégiens permet aux enseignants qui y participent d’expérimenter une relation pédagogique différente avec leurs étudiants. « Mon rôle est de leur présenter ce qu’est la critique littéraire; comment on aborde une œuvre en critique littéraire, qu’est-ce qu’une grande œuvre, qu’est-ce qui fait la grandeur d’une œuvre », explique Julie Gagné.

Une fois les étudiants outillés, insiste l’enseignante, ils vont développer leur propre vision des romans. « Ils vont dégager eux-mêmes ce qui les interpelle et ce qu’ils considèrent comme les critères d’une grande œuvre. Mon rôle est de m’assurer que les étudiants abordent les différents aspects de l’analyse littéraire. Je propose des pistes, mais sans imposer mon point de vue. »

Le mot d’ordre du Prix est de laisser les étudiants formuler et étayer leur propre critique des œuvres sans intervenir dans leur cheminement intellectuel. « Ça a changé mon rôle de pédagogue! », affirme Julie Gagné.

« J’ai appris à me taire et à écouter. J’ai appris à tracer des chemins et à laisser les étudiants marcher à travers ceux-ci, et non pas à les prendre par la main et les amener moi-même jusqu’au bout. »
- Julie Gagné, professeure de littérature au Cégep régional de Lanaudière et membre du comité organisateur du Prix littéraire des collégiens

« En tant qu’enseignant, on a l’habitude de prendre la parole et de diriger le déroulement du cours. Dans le cadre du Prix littéraire des collégiens, on ne sait pas où les discussions vont aller. Il s’agit de faire confiance aux étudiants. Ça a changé ma façon d’enseigner et de percevoir les étudiants. Je leur fais beaucoup plus confiance depuis que j’anime le Prix dans mon cégep. Je le sais qu’ils sont capables. On a souvent tendance à vouloir les diriger et leur dire quoi penser. Je pense qu’on pourrait écouter davantage le point de vue des étudiants. »

Des étudiants qui, à travers cette expérience d’apprentissage actif dans laquelle leur point de vue est écouté et valorisé, en ressortent parfois transformés. « Pour les étudiants, l’effet est spectaculaire! Ils apprennent à se faire confiance et à dire ce qu’ils pensent individuellement, même si leur point de vue est différent de celui des autres. Ils apprennent les règles d’or du débat démocratique », relate Julie Gagné. « Je dis toujours : « Quand je vais à Québec pour les délibérations nationales, j’emmène un jeune, et au retour, j’en ramène un autre. C’est une expérience transformatrice pour eux. »