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Hébergement intergénérationnel
La réponse proactive du Cégep Drummond à la pénurie de logements
Trouver un logement relève du défi pour les étudiants.es du Cégep Drummond. Cohabiter avec des personnes aînées se présente donc comme une alternative porteuse. Le coût est moindre. La formule permet de briser l’isolement tout en créant des ponts entre les générations. Et le Cégep Drummond demeure maître d’œuvre de cette cohabitation intergénérationnelle.
Par Thérèse Lafleur, rédactrice

« C’est un modèle gagnant-gagnant ! » affirme Genevière Despars, directrice adjointe aux Affaires étudiantes.
Sensible aux problématiques actuelles d’isolement et de logement, la Fédération de l’Âge d’Or du Québec, la FADOQ— Centre-du-Québec, appuie le projet. Le modèle bénéficie aussi des ressources du Centre collégial d’expertise en gérontologie (CCEG-CCTT) du Cégep. Un Centre de recherche interdisciplinaire qui est reconnu au Québec, au Canada et à l’international.
Un créneau d’hébergement porteur
Bonifier l’expérience étudiante au collégial est dans l’ADN de madame Despars depuis plus de vingt ans. « Quand je suis arrivée en 2023, le Cégep était en effervescence. On annonçait un agrandissement. La population étudiante était en croissance. L’objectif de compter au moins 10 % d’étudiants.es internationaux est maintenant atteint. Mais la crise du logement n’épargne pas Drummondville. Nos deux résidences étudiantes ne suffisent plus. Notre plateforme en ligne n’arrive pas à suivre la vitesse à laquelle les logements trouvent preneurs. De plus, le coût des loyers croît sans cesse. Des étudiants.es se retrouvent en situation de vulnérabilité et de précarité financière. »

Devant ces constats, le Cégep se devait d’agir rapidement pour la rentrée 2024. Avec l’équipe de l’Aide financière aux études, madame Despars a initié la formule d’hébergement étudiant chez des personnes aînées. Le modèle La cohabitation intergénérationnelle en résidence pour personnes aînées : un projet qui allie sécurité résidentielle et expérience humaine enrichissante[i]du Centre collégial d’expertise en gérontologie (CCEG-CCTT) a servi de levier.
Faire d’une pierre deux coups
« Force d’admettre que la formule d’hébergement en RPA est intéressante. Après réflexion, notre équipe a conclu qu’il y a aussi de la place dans les maisons. Alors, pourquoi ne pas créer une formule avantageuse tant pour les personnes aînées que pour les étudiants.es ? » explique madame Despars.
« Nous aidons les personnes qui ne se lanceraient pas toutes seules dans un tel projet. Celles et ceux qui se disent “j’ai une chambre vide dans ma maison”. Les étudiants.es qui pensent “je ne vais pas aller chez un couple de personnes aînées que je ne connais pas.” »
C’est ainsi que le Cégep Drummond pilote cette cohabitation intergénérationnelle. Et comme c’est très humain d’habiter en relation, une ressource spécialisée en travail social veille au maillage harmonieux aînés.es-étudiants.es tout au long du processus.
Une formule qui permet aux personnes aînées de profiter d’un revenu supplémentaire. De plus, elles offrent un soutien précieux à des étudiants.es en quête d’un loyer à moindre coût et d’un environnement familial. De leur côté, les étudiants.es bénéficient d’un logement abordable et sécuritaire. Un suivi personnalisé est aussi effectué auprès de ces étudiants.es.
Baliser le fonctionnement
L’expertise de la ressource en travail social est cruciale pour que cette cohabitation intergénérationnelle soit optimale. L’objectif est de s’assurer qu’il y ait une bonne affinité entre les personnes. C’est elle qui reçoit les offres et les demandes. Elle les analyse et fait des propositions de jumelage. Après une première rencontre, c’est à elle que les personnes donnent leurs réponses. Et, à partir de là, que l’aventure peut commencer ou non !
Quant à la manière de procéder, l’équipe a consulté le CCEG. Dès le départ, des règles claires sont établies pour assurer un fonctionnement sain et sécuritaire. Par exemple, la personne aînée doit offrir une chambre dédiée à l’étudiant.e. Le coût du loyer ne doit pas excéder 500 $ par mois. La nourriture peut être offerte en précisant son coût. En contrepartie, l’étudiant.e peut avoir des tâches à accomplir.
Si des irritants se présentent en cours de route, c’est vers la ressource du Cégep que la personne aînée ou l’étudiant.e doit se tourner. Des ajustements peuvent se faire pour éviter un glissement dans l'entente de cohabitation.
Par ailleurs, l’initiative Mobilisation Intergénérations du CCEG, permet au projet de bénéficier d’un financement de 25 000 $, en 2025, pour explorer la cohabitation intergénérationnelle à domicile comme piste de solution. La chercheure Julie Castonguay étudie la cohabitation à domicile étudiants.es-aînés.es pour répondre aux besoins de logement étudiant.
Une expérience révélatrice
À l’été 2024, Dominique Chevalier venait de perdre son conjoint et n’avait pas trop envie d’habiter seule dans sa grande maison. C’est ce qui l’a motivé à adhérer au projet. De son côté, Fabienne Bidossessi Azonhaï arrivait du Bénin pour étudier en Soins infirmiers. Consciente qu’elle aurait beaucoup à apprendre pour s’adapter, elle voulait vivre avec une personne plus âgée qui la guiderait.
Dès la première rencontre organisée par le Cégep, elles ont vite compris qu’elles pourraient bien s’entendre. Elles cohabitent depuis août 2024. En échangeant avec elles, force est de constater que leur complicité est tangible et leur relation basée sur le respect.

Dominique Chevalier et Fabienne Bidossessi Azonhaï
« Partager ma culture me fait beaucoup de bien. On se taquine, tout se passe merveilleusement bien. J’ai compris beaucoup de choses d’ici grâce à elle. C’est sûr qu’il faut faire des compromis pour s’entendre. Je souhaite personnellement que cela se poursuive parce que nous, étrangers, nous avons l’habitude de vivre en famille. Nous n’avons pas appris à être seuls. Mais quand tu habites avec quelqu’un, ça te permet d’échanger. Pour les personnes âgées, elles savent aussi qu’elles ne sont pas seules chez elles. On s’entraide et ça va bien. » témoigne Fabienne Bidossessi Azonhaï.
Et Dominique Champagne abonde dans le même sens. « J’apprends beaucoup sur l’Afrique, même de nouvelles recettes. On essaie de se rendre la vie facile. Cela m’apporte beaucoup par rapport à l’échec à la solitude. Aider quelqu’un rend toujours fier et donne du sens. Je pense qu’il faut témoigner de cette expérience pour que davantage de personnes soient motivées à y participer. Tant des étudiants.es que des personnes aînées. »
Une synergie intergénérationnelle significative
Les problématiques de logement et aussi d’isolement sont d’actualité. Plusieurs voies d’action se dégagent pour conjuguer avec ces enjeux sociétaux. La cohabitation intergénérationnelle telle que proposée par le Cégep Drummond est une initiative porteuse. L’équipe des Affaires étudiantes vise le développement d'un modèle transférable. Reste à convaincre les personnes aînées et étudiantes que c’est une option à considérer.

La directrice de la FADOQ - Centre-d-Québec, Annie Belcourt, est convaincue que : « Ce projet de cohabitation intergénérationnelle permet d’offrir une entraide mutuelle, une ouverture à l’autre, de valoriser la richesse et la différence de chacune des générations afin que chacun s’enrichisse du vécu et de l’expérience de la personne avec qui il cohabite. »
Dans un dossier[ii] publié dans la revue de l’AREQ — CSQ, Gabrielle Coulombe rappelle que : « L’heure est à l’union et à la solidarité pour braver les défis contemporains. (…) Et cette nécessaire révolution dans notre façon d’habiter les espaces demandera un grand sarclage de notre terreau relationnel pour qu’il soit enrichi et qu’un compagnonnage entre les âges soit possible. La cohabitation intergénérationnelle est un choix pour l’avenir. »
« Cette nouvelle forme de cohabitation intergénérationnelle invite à la rencontre de l’autre. En se rapprochant des personnes aînées de sa région, via la FADOQ ou à travers ses propres activités, le Cégep Drummond se positionne comme un citoyen exemplaire et innovant. » conclut madame Despars.
[i]Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (2024). « La cohabitation intergénérationnelle en résidence pour personnes aînées : un projet qui allie sécurité résidentielle et expérience humaine enrichissante. »
[ii] COULOMBE, Gabrielle, chargée de projets, Intergénérations Québec. « La cohabitation intergénérationnelle : la solution de l’avenir ? », QUOI DE NEUF, AREQ Mouvement des personnes retraitées – CSQ, 19 mars 2024.