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L’entretien ménager du réseau
Confidences d’un soir
À l’extérieur du réseau, on les imagine comme dans des films, bardés de 200 clés à la ceinture. À notre époque, quelques clés passe-partout et cartes magnétiques suffisent. C’est un travail indispensable dont on parle peu, même en temps d’écologisation : l’entretien ménager du réseau collégial. Témoignage de Renelle Michaud, du cégep de Matane.
Daniel Samson-Legault, Portail du réseau collégial
Il ne faut pas se surprendre, au Cégep de Matane, de voir un jeune faire du ménage aux côtés de Renelle Michaud. Il n’est pas en pénitence. Il n’est pas aux travaux forcés. Étudiants internationaux ou de Montréal ou Québec à Matane temporairement, plusieurs viennent jaser avec Renelle. Comme elle ne peut pas s’arrêter de travailler longtemps, l’étudiant-e l’aide à faire du ménage histoire de conter leur problème ou casser leur ennui. Renelle Michaud est manœuvre à l’entretien ménager.
Elle connait bien les étudiants-es. « Je suis un peu leur maman ! Souvent, les jeunes vont venir me voir quand ils ont des problèmes. » Au besoin, elle les réfère à la travailleuse sociale ou à l’hôpital. Il y a des ressources, dont une travailleuse de corridor. Mais très souvent, elle répond à des jeunes qui lui disent qu’il ne sert à rien de les référer, qu’ils n’iront pas.
Peines d’amour, soupçons de grossesse. Et souvent, simplement, l’ennui de l’exilé-e.
« Parfois, ils vont m’aider un peu, parce que moi je peux pas arrêter. “Y faut que tu m’suives”. Ils me suivent, je fais mon ménage et ils me content leur affaire. Il y en a qui s’ennuient : beaucoup viennent de La Réunion, de la France… Y’en a qui ont des p’tits problèmes, qui veulent pas aller voir la travailleuse sociale, y viennent me voir. » Peines d’amour, soupçons de grossesse. Et souvent, simplement, l’ennui de l’exilé-e.
Contraintes physiques, contraintes écologiques
Avant 2010, elle était déjà employée du collège, cuisinière à la cafétéria. Pour le nouveau poste, d’autres cégeps exigeraient une formation en secourisme. Au Cégep de Matane, le soir, outre quelques membres de l’équipe, le gardien de sécurité en possède une. On demandait par contre une bonne forme physique, pour pouvoir au besoin déplacer des objets lourds, typiquement bases de lit et commodes des résidences étudiantes pour les grands ménages. « Et il faut s’organiser, parce que nous autres, on est seuls le soir. Système D : très pratique ! »
Les cinq personnes de l’équipe font le même travail mais se partagent des secteurs du campus à nettoyer, dont le Centre d’activité physique (CAP). « On commence par les classes, les bureaux, les tableaux. Après on lave les planchers, les salles de bain. »
L’équipe travaille le soir, toujours. Sauf l’été et aux Fêtes, surtout pour le grand ménage des résidences. Car pendant l’année scolaire, impossible de faire cet entretien ménager de jour. « Il y a du monde partout ». Chaque jour, Renelle Michaud commence ses journées à 16h30. Une 6e personne travaille pendant le jour, pour des commissions et pour répondre aux urgences.
C’est sans être plus nombreuse que l’équipe s’est acquittée de son travail pendant la pandémie de COVID-19. La routine était à peu près la même, mais pas la fréquence. « On s’est mis sur le turbo ! », dit Renelle. L’agent de sécurité a été mis à contribution. « On a frotté ! »
« Il faut s’organiser, parce que nous autres, on est seuls le soir. Système D : très pratique ! »
Le Cégep de Matane est un « Cégep vert du Québec » certifié par Environnement JEUnesse (ENJEU), qui a son propre comité d’action et de concertation en environnement. Il n’a pas attendu le Plan d’écologisation des cégeps pour adopter des mesures exemplaires sur son campus. L’entretien ménager ne se fait depuis longtemps qu’avec des produits biodégradables. Même le décapant pour les planchers est bio. Ce qui restreint les questions de qualité de l’air intérieur et d’évacuation des résidus. Le fournisseur est une entreprise locale, Distributions Jacques-Cartier. Les composés sont variés, mais une légère odeur de vinaigre s’en dégage toujours.
De son passage à la cafétéria, Mme Michaud a importé l’usage d’une « steameuse », un nettoyeur vapeur à haute pression, de la taille d’un aspirateur portable, qui n’utilise que de l’eau très chaude. « Quand je suis tombée sur l’entretien, j’ai dit à mon boss “Ce serait pas pire qu’on ait ça pour les douches, dans les cuisines”. Ça, ça dégraisse ! »
« Nous, on n’est pas dans l’sous-sol, on est en d’sous de la “slab” de béton ! »
Reconnaissance
Ces gens qui font le travail ménager dans les collèges sont classés dans la grande catégorie du personnel de soutien. La plupart sont syndiqués avec la Fédération des employées et employés de services publics de la CSN ou à la Fédération du personnel de soutien de l’enseignement supérieur de la CSQ.
Le travail du personnel de soutien, de l’entretien ménager en particulier, les médias en parlent très peu. Ce sont des travailleurs-ses de l’ombre. Renelle en est consciente. Commentaire spontané : « Nous, on n’est pas dans l’sous-sol, on est en d’sous de la “slab” de béton ! ».