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De l’importance du facteur humain dans l’économie de demain

Par Élise Prioleau

Dans les prochaines décennies, les besoins de main-d’œuvre, le virage numérique et l’économie verte pourraient bien accélérer le basculement vers un paradigme nouveau, dans lequel l'humain et la nature auront une place plus importante. C’est le pari que fait Mme Mia Homsy, PDG de l’Institut du Québec.

Mme Mia Homsy, PDG de l’Institut du Québec.

L’économie québécoise postpandémique pourrait connaître des transformations profondes. Trois grands changements majeurs sont en cours dans le monde occidental : le choc démographique, la transition vers le numérique et l’émergence d’une attention portée aux enjeux sociaux et environnementaux.

Est-ce que la pandémie sera l’accélérateur de changements majeurs dans les domaines politique, économique et social ? Pour le moment, explique Mme Mia Homsy, c’est une tendance qui se précise et qui évolue très rapidement. « Il faut se demander comment on va réagir si ça se concrétise. Il faut se demander si nous avons bel et bien affaire à un changement de paradigme [sociétal] », prévenait l’experte en politiques publiques, lors d’une conférence prononcée lors du congrès de la Fédération des cégeps le 11 novembre dernier.

L’Institut du Québec (IDQ) est un organisme sans but lucratif autonome associé à HEC Montréal. Sa mission est d’identifier des politiques qui améliorent la société québécoise en se basant sur la recherche et les données probantes.

Le choc démographique
C’était prévisible. Voilà que le Québec traverse une pénurie de main-d’œuvre qui devrait durer encore une décennie. « La plupart des économies avancées, comme le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni, font face à une baisse démographique majeure. Les économies avancées vont entrer dans une dynamique de compétitivité et de productivité afin d’attirer les travailleurs étrangers. Ça va être de plus en plus important d’attirer des talents mondiaux, de reconnaître les compétences des travailleurs immigrants, et surtout d’avoir une formation de qualité accessible », projette Mia Homsy.

Les chiffres sont parlants. Selon Mme Homsy, la demande de main-d’œuvre non satisfaite est en hausse depuis 5 ans. « Pour 100 personnes de 55 à 64 ans qui quittent le marché du travail, il y a 80 personnes de 20 à 29 ans qui entrent sur le marché du travail. Pendant la période 2020-2030, on prévoit une diminution des 20 à 64 ans et une explosion des 65 ans et plus. En 2030, on va retrouver l’équilibre entre les entrants et les sortants du marché du travail. »

Il apparaît donc, soutient Mme Homsy, que ce sont les travailleurs de demain qui représentent la solution aux enjeux qui nous attendent. D'où l'importance de tenir compte de leurs besoins, de leurs aspirations, de leurs rêves et de leur bien-être. « La plupart de nos outils fiscaux sont basés sur une stimulation de l’investissement en machinerie et en matériel. Peut-être qu’on devrait travailler davantage sur l’autre déterminant de la productivité : les travailleurs. Je pense qu’on devrait se demander comme société de voir si ce n’est pas plus les travailleurs qui seraient le meilleur levier de productivité et d’innovation. »

crédit photo: Portail du réseau collégial - capture d'écran durant la conférence

Des changements sociaux et environnementaux
Si la tendance se maintient, on peut s’attendre à des changements sociaux et environnementaux profonds. Le creusement des inégalités sociales au Québec et l’urgence climatique inquiètent une part de plus en plus importante de la population. Ces enjeux qui préoccupent vont influencer les choix futurs des gouvernements, prévoit Mme Homsy.

« On aurait pu penser que la pandémie changerait les priorités et que la santé aurait pris toute la place dans les préoccupations. En fait, ce qui s’est passé, c’est que la pandémie a donné encore plus d’impact aux discours qui dénoncent le manque de considération pour les enjeux environnementaux et sociaux dans les choix des entreprises. » Par conséquent, les actionnaires ne peuvent plus représenter le seul facteur déterminant. Aujourd’hui, il faut se préoccuper des citoyens, des travailleurs, des consommateurs ; bref, des humains.  

L’environnement représente également un facteur de plus en plus déterminant, même dans le milieu des affaires. Selon Mme Homsy, les investisseurs sont de plus en en plus convaincus que le rendement des entreprises dépend de comportements éthiques face à l’environnement et aux populations. « L’engagement de limiter la hausse du climat à 1,5 degré d’ici 2030 et de viser la carboneutralité d’ici 2050, ça va avoir des changements énormes au niveau de nos sociétés. On va voir des changements au niveau de nos politiques énergétiques, de nos comportements et de notre économie qui va être remodelée. Ça va impacter les citoyens de façon très importante. »

L’importance d’une formation générale solide
Le monde de demain sera sans aucun doute plus vert et plus humain, car il en va de l’adaptation de notre société aux enjeux qui nous guettent. Les cégeps seront des acteurs clé de la transition sociale et économique du XXIe siècle, selon Mme Homsy.

D’un côté, les besoins pressants du marché du travail vont nécessiter des formations plus courtes. De l’autre, le Québec aura besoin de travailleurs polyvalents et hautement qualifiés. « On va avoir besoin de travailleurs compétents, on va avoir besoin de citoyens qui vont être impliqués et qui vont prendre des décisions importantes en lien avec les grandes transitions écologique et sociale qui s’en viennent », projette Mme Homsy.

L'experte en politiques publiques prévoit que les travailleurs auront davantage besoin de formation dans les prochaines décennies, à la fois pour se perfectionner et pour se réorienter. « Quand l’économie va bien et que le marché du travail est serré, on observe que les changements de carrières sont plus fréquents », observe-t-elle.

Quoi qu’il en soit, Mia Homsy insiste sur l’importance d’une formation générale de qualité au cégep. Compromettre la formation de base au nom d’une pénurie de travailleurs serait une grande erreur, soutien Mme Homsy. « On veut des citoyens et des travailleurs qui ont une pensée critique, qui sont empathiques et capables de travailler en équipe. Je pense qu’il faut trouver un équilibre entre une formation de base solide et une forme de flexibilité pour s’adapter au marché du travail. La formation, ça prend du temps. Si on compromet la formation de base, c’est la société tout entière qui va en payer les frais. »






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