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Philosophie et danse au rythme de Zab Maboungou

Entrevue avec madame Zab Maboungou, professeure de philosophie au Collège Montmorency et lauréate du prix Charles-Biddle 2013.


Le prix Charles-Biddle souligne l’apport exceptionnel d’une personne immigrante au développement culturel et artistique du Québec sur les scènes nationale et internationale. Ce prix récompense les efforts, l’apport et l’engagement d’une personne qui, par ses réalisations, devient un modèle de réussite non seulement dans son domaine, mais aussi pour l’ensemble de la société québécoise. Cette année, le prix a été décerné ex aequo à à monsieur Boucar Diouf et à madame Zab Maboungou. Celle-ci a accepté avec empressement de nous parler de sa carrière partagée entre l’enseignement de la philosophie dans un cégep et son engagement de danseuse, d’écrivaine, de chorégraphe et de fondatrice et directrice d’une compagnie de danse.

Pour Zab Maboungou, ce prix est une sorte de reconnaissance. Une reconnaissance qui a mis du temps au Québec, puisqu’il arrive, il faut le dire, après plusieurs prix obtenus dans d’autres pays.
Quand on lui demande ce qui a été déterminant dans sa carrière pour l’obtention de ce prix, elle estime que c’est l’ensemble de ses engagements des 25 dernières années qui est reconnu. « Je me suis engagée sur tous les fronts, soit les domaines de la culture, de la philosophie, de l’art. J’ai tenté d’articuler ces trois éléments ensemble parce que cela était vital en regard du propos que je cherchais à explorer, à savoir, celui de notre situation au monde. »

Comment conjuguer philosophie et danse?
Pour Zab Maboungou, il est difficile de séparer philosophie et danse. « Au plan du développement humain, j’aime à croire que j’ai dansé avant de pratiquer la philosophie. Mais je ne suis pas sûre : je me suis fait dire par mes parents que très tôt j’interrogeais tout, que je posais beaucoup de questions. Très jeune, j’avais l’esprit inquisiteur. La danse m’a marquée très tôt. Je suis née à Paris, mais j’ai grandi en Afrique, au Congo-Brazzaville qui était un pays en pleine ébullition post-indépendantiste et révolutionnaire de surcroît. C’est un des  pays qui ont connu une révolution qui se voulait de type marxiste-léniniste. Mon père faisait partie de ces gens qui pensaient transformer le monde. J’ai grandi dans cette atmosphère très bouillonnante de transformation des sociétés et des cultures. Pour moi, cela était également associé à la danse, d’autant que, en même temps, les manifestations culturelles reprenaient de l’importance dans ce contexte de renouveau. Il s’agissait en effet d’envisager une Afrique nouvelle. Ces préoccupations étaient quotidiennes au Congo. J’ai définitivement grandi dans les débats et l’effervescence culturelle. La danse m’a marquée parce que j’ai été mise en contact très tôt avec ce monde en pleine effervescence. C’est vite apparu pour moi quelque chose d’exceptionnel et de fondamental. Comme si j’avais identifié là un lieu primordial qui ne me quitterait jamais. »

Des études de philosophie en France
Suite à un coup d’État, sa famille se réfugie en France. Zab Maboungou entreprend alors des études de philosophie. Mais elle cherche en même temps la danse, plus particulièrement celle des Africains. « J’ai tenté alors de poursuivre cette sorte d’illumination que j’avais ressentie au son des tambours. En même temps, je menais une quête philosophique. Pour moi, cela était indissociable. Et même si cela peut paraître effarant pour certaines personnes, quand nous étudions la philosophie de Socrate à Nietzsche, nous constatons que ces philosophes accordent une place importante à la danse. Car la danse est une manière de poser des questions et d’y répondre. Ce schéma par questions-réponses est très important dans les danses et les musiques d’origine africaine, et plus particulièrement celles de l’Afrique subsaharienne.  On ne peut comprendre l’art africain si on ne comprend pas ce processus. C’est une manière d’entrer dans la vie de façon dialectique. Je parle ici de la vie  “vivante ” pas seulement la vie théorique. La dialectique impliquée dans cette vie  “vivante ”, c’est précisément ce qui fait la force de ces danses où la question est suivie d’une réponse qui elle-même réclame une autre question. Le jazz américain est né de cette forme de dialectique questions-réponses. La danse a été pour moi une façon de poursuivre l’art du questionnement propre à la philosophie, dans l’art. L’une et l’autre se sont superposées en moi de façon à ce que je puisse proprement conduire ma vie… et la vie. »

Zab Maboungou va poursuivre ses études philosophiques à l’UQAM et continuer de s’intéresser à la danse. « Où que j’aille dans le monde, je me demande qui danse et où. Convaincue que la danse est partout, je cherche toujours les lieux de la danse. J’ai été engagée au Collège Montmorency et là a commencé tout ce parcours de l’enseignement de la philosophie, mais en même temps, j’ai développé cet art de la danse que l’on nommait “art de la danse africaine”. Il m’a fallu démontrer qu’il y avait art et en plus art contemporain. Pour les gens d’ici, l’Afrique en était encore à des représentations très simplistes et réductionnistes, et de contrer cela fut le travail de toute vie ici jusqu’au prix Charles-Biddle. »

Le centre Création Danse Nyata Nyata
C’est ainsi qu’est né son centre de création et de formation dédié à la danse contemporaine : Zab Maboungou/Compagnie Danse Nyata Nyata. « C’est vingt ans de combats et de demandes répétées auprès de Patrimoine Canada pour mettre sur pied un programme de formation dédié à ce type de danse, sachant que celle-ci s’appuyait sur une forme culturelle autre. S’est imposée l’idée de mettre de l’avant le sens de la culture, le sens de la tradition. Il fallait articuler de manière nouvelle tradition et modernité. La science des rythmes est un domaine plutôt inconnu en Occident et difficile à aborder. Il n’y aurait pas de culture moderne en Occident sans ces rythmes africains. » Zab Maboungou  a d’ailleurs développé une technique qui lui est propre : une technique qui permet de transférer le savoir-faire rythmique du mouvement issu de ces danses d’Afrique. L’enjeu : présenter ces formes, de sources ancestrales, comme un art universel et transférable. Elle a développé une méthode qui s’appelle RYthmes, Posture et Alignement pour la DAnse (RYPADA) et une technique appelée« loketo », terme congolais qui veut dire « le bassin ». Une technique qui démontre que toute posture est avant tout une posture rythmique.

Comment conjuguer les deux vies?
S’investir autant dans cette vie artistique tout en continuant l’enseignement au cégep n’était pas évident. « Je n’ai pas pu continuer d’enseigner à temps plein. Le travail est énorme. J’ai travaillé sur tous les comités imaginables au Canada. J’ai été impliquée dans la remise en question des programmes et de l’arrimage de ces programmes aux nouvelles situations artistiques, à la diversité culturelle. J’ai travaillé à lancer les Journées de la culture au Québec. J’ai constamment fait des conférences à l’étranger. J’ai été invitée l’an dernier à Harvard. Je donne régulièrement des conférences en danse à l’UQAM et à Concordia. J’ai dû réduire mon temps de travail au cégep. En travaillant à 50 %, j’ai pu développer le centre de formation et de création. Au départ, je n’étais pas subventionnée. J’ai dû assumer personnellement tous ces développements. D’où l’importance de la reconnaissance acquise par le prix Charles-Biddle. On ose espérer qu’à partir de là certaines choses seront plus faciles. Lors d’un évènement reconnaissance au Cégep, j’étais très fière qu’on me présente et me reconnaisse comme professeure de philosophie, mais aussi comme artiste. Je suis d’ailleurs fort reconnaissante au Collège Montmorency d’honorer à sa manière mon engagement envers l’art, la culture et la philosophie. »

Des projets pour l’avenir
Encouragée par ce prix, Zab Maboungou entend poursuivre sur sa lancée. Son centre est installé, en location, sur le boulevard Saint-Laurent. Elle espère pouvoir acquérir ces espaces. Dans un contexte où l’obtention des subventions devient de plus en plus difficile, elle aimerait éviter la débâcle financière en diminuant ses frais de location. Être propriétaire de ses propres installations lui donnerait un espoir de pérennité pour le centre. « Je me suis efforcée au fil des ans de faire de ce centre un milieu ouvert au milieu de la danse. Actuellement, nous sommes un centre où nous accueillons toutes les formes.C’est un lieu de rencontre, de diversité culturelle. J’aimerais pouvoir continuer à promouvoir cela. »

Une personnalité marquante pour la galerie du Portail
Pour son apport exceptionnel au développement culturel et artistique du Québec, pour sa détermination, son rayonnement et sa polyvalence, le Portail est heureux d’ajouter le nom de madame Zab Maboungouà sa galerie de personnalités marquantes du réseau collégial.

Entrevue réalisée par Alain Lallier, édimestre, Portail du réseau collégial, le 14 octobre 2013


 






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