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La place de l’attitude pour l’évaluation du savoir-être

 

 

Un texte de Marie Beauchamp, doctorante et enseignante au programme Techniques de travail social au Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu

 

Note : Ce texte est un résumé de la présentation faite dans le cadre du colloque de l’AQPC 2018.


L’évaluation des attitudes a fait l’objet de plusieurs recherches à l’ordre d’enseignement collégial et le sujet a été traité spécifiquement dans certains ouvrages pédagogiques, par exemple Grisé et Trottier (2002), Lussier et Gosselin (2015) et Morissette et Gingras (1989) pour ne nommer que ceux-ci. Dans une approche par compétences, des pratiques évaluatives innovantes ont été mises en place, mais des problèmes récurrents génèrent une recherche continuelle d’amélioration et d’adaptation à un marché du travail mouvant et toujours plus exigeant. En ce qui concerne l’évaluation des attitudes et du savoir-être, les questionnements foisonnent et confrontent les équipes enseignantes à de multiples difficultés, ceci à chaque étape du processus d’évaluation des apprentissages (Leroux et Bélair, 2015) tel que présenté dans le tableau 1.

Tableau 1

Processus de l’évaluation en quatre étapes

Difficultés liées à l’évaluation des attitudes et du savoir-être

Intention

  • Difficulté à identifier les attitudes et à déterminer les critères de performance
  • Multiple interprétation des concepts et des termes liés au domaine affectif et usage variable par les acteurs sur le terrain

Mesure

  • Difficultés liées aux pratiques évaluatives des enseignantes et des enseignants
  • Rareté et imprécision des outils pour évaluer les attitudes

Jugement

  • Biais liés à l’observation
  • Morcellement de la compétence

Décision

  • Confusion entre la gestion de classe et l’évaluation des attitudes

Source : Beauchamp, M. (2016). Rapport final. Manuscrit non publié, Université de Sherbrooke, Faculté d’éducation, Sherbrooke, Québec.


 

En concordance avec l’approche par compétences en fonction de laquelle les programmes d’études sont élaborés, le savoir-être est une des composantes de la compétence, mais le terme attitude est généralement utilisé dans le réseau collégial. Est-ce possible de les considérer comme des synonymes? Quelle est donc la place de l’attitude dans la compétence?

Attitude et savoir-être : des synonymes?
À la lumière de nos lectures sur le sujet, force est de constater que l’attitude est plus souvent intégrée dans le savoir-être, ce qui nous amène à formuler certaines réserves quant à l’évaluation d’une attitude, qui se définit comme une prédisposition (Rosenberg et Hovland, 1966) qui ne peut se mesurer sur la base d’une observation (Michelik, 2008; Ouellet, 1978; Rosenberg et Hovland, 1966). Si nous retenons, comme le propose Bellier (2004), qu’il existe un décalage entre une attitude et un comportement, l’attente d’un résultat unique (ou en fonction d’une liste) pour juger de l’atteinte d’une compétence pourrait être considérée comme une pratique périlleuse et difficilement justifiable en cas de contestation. Le savoir-être, pour sa part, fait référence entre autres au caractère, aux goûts et aux intérêts, aux qualités morales, ce qui en fait une dimension complexe ne pouvant, comme une attitude, s’évaluer en observant des comportements.

Comme le savoir-être est la manière d’être avec l’autre (Jutras, 2018) et qu’il est la manifestation de la personnalité (Bellier, 2004), nous comprenons que les caractéristiques individuelles des étudiants doivent être considérées, mais qu’elles peuvent difficilement être listées. Ainsi, dans un contexte d’apprentissage, comme la personnalité est relativement stable, il y aurait lieu de la considérer, mais non de l’évaluer, comme le proposent Bellier (2004) et Le Boterf (2015), ou du moins de façon sommative. Le savoir-être sera alors vu comme central à l’action dans certaines professions où la relation avec l’autre est essentielle et comme une plus-value lorsqu’il n’y a pas de lien direct avec l’action (Jutras, 2018). Dans une perspective relationnelle, comme le savoir-être s’observe par le niveau d’adéquation entre la conduite personnelle qu’un individu adopte et les attentes et qualités que requiert la situation (Verzat, 2010), il y a ici une avenue intéressante pour amener les équipes enseignantes à réfléchir aux conditions que requiert le contexte professionnel et non pas viser uniquement la manifestation d’un « bon comportement ».

Dans un contexte d’apprentissage, les étudiants s’engagent dans une démarche avec des caractéristiques personnelles constituant leur personnalité, et les enseignants les accompagnent au regard de leurs propres caractéristiques et de leur personnalité. Comme dans tout autre contexte de vie, ces caractéristiques peuvent donc être similaires, ou différentes et se confronter. Pourrions-nous y voir une source de biais dans l’évaluation de la performance d’un étudiant? À cet égard, il pourrait être envisagé que le rôle de l’enseignant se traduise par une démarche d’accompagnement (en faisant appel à l’évaluation formative) permettant à l’étudiant de prendre conscience de sa façon d’interagir au regard d’une situation professionnelle et non dans une perspective d’évaluer (de façon sommative) le savoir-être.

Un projet d’intervention avec une équipe enseignante
Dans le cadre du doctorat professionnel en éducation, un projet d’intervention1, s’appuyant sur une méthodologie de recherche-action-formation (Nizet et Leroux, 2015) s’est amorcé en 2017 avec une équipe enseignante d’un programme technique au collégial lié au secteur de la santé. Ayant constaté que la liste de comportements (identifiés comme des attitudes) ne permet pas de porter un jugement éclairé, des difficultés persistantes ont amené les membres de cette équipe à revoir leurs façons de faire. Afin de faire un état de la situation vécue par cette équipe, une analyse des besoins de formation (Roussel, 2011) permettant de connaître leur situation actuelle, de prendre acte des changements souhaités et d’évaluer les possibilités de formation a été effectuée.

Résultats découlant du projet
L’objectif du projet doctoral vise à mettre en œuvre un processus d’évaluation des apprentissages qui prend en compte le savoir-être et qui s’appuie sur le jugement professionnel de l’enseignant. Cette première étape du projet, qui s’est effectuée par la passation d’un questionnaire et la tenue d’un entretien de groupe, a permis de déterminer les besoins de formation suivants : 
1. Adopter un langage commun en lien avec l’évaluation des apprentissages et la notion de savoir-être;
2. Diminuer les effets de la subjectivité du jugement professionnel;
3. Formuler une rétroaction efficace;
4. Rechercher un consensus au regard des attentes de l’équipe enseignante et des superviseurs de stage;
5. Concevoir des instruments d’évaluation;
6. Atteindre un niveau de cohérence entre les pratiques évaluatives et les attentes institutionnelles.

Les suites envisagées
La seconde étape du projet s’inscrivant dans notre démarche au doctorat professionnel tient en compte que le changement de pratiques espéré par cette équipe enseignante est moins probable à travers des formations ponctuelles (Fontaine, Savoie-Zajc et Cadieux, 2013). Comme la motivation à poursuivre une démarche de développement professionnel est manifeste, il est envisagé de mettre en place une communauté d’apprentissage afin de soutenir cette équipe dans l’ajustement de ses pratiques en évaluation des apprentissages et notamment du savoir-être. Le partage de nos réflexions avec cette équipe au regard de la notion de savoir-être influence considérablement les orientations proposées. Les réflexions collectives déboucheront sûrement sur d’autres pratiques innovatrices qui mettront en évidence l’importance du contexte lors de l’évaluation d’une compétence et qui insisteront sur le savoir-être pour des compétences concernant la relation avec l’autre. Ce projet de développement professionnel permettra aux membres de cette équipe enseignante dynamique de se questionner, d’expérimenter et d’ajuster leurs pratiques, ceci dans le but de mieux accompagner leurs étudiants.

1. L’équipe de direction pour ce premier projet est composée des professeures Julie Lyne Leroux (Université de Sherbrooke) et Raymonde Gosselin (conseillère pédagogique au Cégep Édouard-Montpetit).


Références bibliographiques
Bellier, S. (2004). Le savoir-être en entreprise. (2e éd) Paris : Institut Vital Roux. Vuibert (1re éd. 1998).
Fontaine, S., Savoie-Zajc, L., et Cadieux, A. (2013). L’impact des CAP sur le développement de la compétence des enseignants en évaluation des apprentissages. Éducation et francophonie, 41 (2), 10-34.
Grisé, S. et Trottier, D. (2002). L’évaluation des attitudes. Guide de formation pour les programmes développés selon l’approche par compétences, Regroupement de collèges Performa.
Jutras, F. (2018). L’éthique professionnelle : un cadre pour l’autorégulation de l’agir professionnel en situation d’intervention sur ou auprès d’autrui. In. J. Mukamurera, J.F. Desbiens et T. Perez-Roux. Se développer comme professionnel dans les professions adressées à autrui. Conditions, modalités et perspectives. (p. 66-86). Montréal : JFD Éditions.
Le Boterf, G. (2015). Construire les compétences individuelles et collectives (7e éd.). Paris : Eyrolles (1re éd. 2000).
Leroux, J. L. et Bélair, L. (2015). Exercer son jugement professionnel en enseignement supérieur. In J. L. Leroux (dir.), Évaluer les compétences au collégial et à l’université : guide pratique à l’intention des enseignants (p. 65-104). Montréal : AQPC/Collection PERFORMA.
Lussier, S. et Gosselin, R. (2015). Une démarche pour l’évaluation des attitudes. In J. L. Leroux (dir.), Évaluer les compétences au collégial et à l’université : guide pratique à l’intention des enseignants (p. 627-648). Montréal : AQPC/Collection PERFORMA.
Michelik, F. (2008). La relation attitude-comportement : un état des lieux. Éthique et économie/Ethics and Economics, 6 (1), 1-11.
Morissette, D. et Gingras, M. (1989). Enseigner des attitudes. Planifier Intervenir Évaluer. Québec : Les Presses de l’Université Laval.
Nizet I. et Leroux, J. L. (2015). La construction de savoirs conceptuels en évaluation : enjeux pour un développement professionnel en contexte de formation continue. Évaluer. Journal international de Recherche en Éducation et Formation, 1 (2), 15-29
Ouellet, A. (1978). Analyse du concept attitude : du concept théorique au concept opératoire. Revue des sciences de l’éducation, 4 (3), 365-374.
Rosenberg, M., Hovland, C., McGuire, W. J., Abelson, R. P. et Brehm, J. W. (1966). Attitude Organisation and change. An analysis of consistency among attitude components (3e éd.). New Haven, Connecticut : Yale University Press Inc. (1re éd. 1960).
Scallon, G. (2004). L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. St-Laurent : Éditions du Renouveau Pédagogique.
Verzat, C. (2010). Pourquoi parler d’accompagnement des étudiants aujourd’hui. In. B. Raucent, C. Verzat et L. Villeneuve. Accompagner des étudiants. Quels rôles pour l’enseignant? Quels dispositifs? Quelle mise en œuvre? (27-50). Bruxelles : De Boeck.






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