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Un plaidoyer pour la philosophie
Par Élise Prioleau
Pourquoi la philosophie ? En quoi est-elle indispensable dans notre monde actuel ? Ce sont les questions qui forment le fil conducteur de l’essai La philosophie aujourd’hui de Marco Jean, enseignant au Cégep de Saint-Laurent. Un plaidoyer qui rappelle la nécessité de l’enseignement de la philosophie au cégep.
Marco Jean, enseignant au Cégep de Saint-Laurent
Qu’est-ce que la philosophie ? Nous pensons tous savoir ce que c’est, mais lorsqu’on tente de lui donner une définition, les idées s’envolent. « Quand vient le temps de la définir plus précisément, les choses se compliquent », admettait Marco Jean, lors d’une récente discussion avec la rédactrice de cette critique.
Il convenait donc de rappeler la philosophie à l’ordre du jour, de la définir et de démontrer toute son importance. C’est la mission que s’est donné le professeur de philosophie. Une mission accomplie avec brio, à travers un essai accessible, qui rappelle les principes incontournables que sont la liberté, la démocratie, l’éthique et le bonheur. Autant de thèmes qui appartiennent au champ de la philosophie.
La philosophie, pour distinguer les discours
L’essai débute par une clarification de ce qu’est la réflexion philosophique. On y apprend que l’une des particularités essentielles de la philosophie est d’offrir une posture de recul sur les discours. Un recul plus de jamais nécessaire, à l’heure où les réseaux sociaux nous donnent accès à une panoplie de théories hétéroclites, et plus ou moins scientifiques.
« Il y a quelque chose qui est unique à la philosophie : c’est le discours auquel échoit la mission de distinguer les différents discours. C’est là également l’un des principaux objectifs du cours de philosophie au collégial : distinguer les trois grands discours, religieux, scientifique et philosophique », rappelle Marco Jean.
Ces trois grands discours se distinguent entre autres par leur manière d’expliquer le réel, c’est-à-dire leur méthode. Le discours religieux, d’abord, bien qu’il ait l’avantage de permettre de donner du sens à l’existence et expérimenter la dimension intime de l’être, est un discours qui postule l’existence de vérités universelles et incontestables. C’est l’une des caractéristiques qui distingue la religion des sciences et de la philosophie, dont les discours sont par nature contestables et évolutifs. Une « éthique de la discussion » préside à leur discours, incessamment remis en question à travers l’argumentation. La philosophie, comme la science, est une recherche infinie, basée sur un argumentaire structuré.
La philosophie, par ailleurs, se distingue de la science, car elle a la particularité unique d’englober tous les discours sur le monde. Elle s’englobe elle-même, se réfléchit elle-même. « La philosophie se révèle plus générale et réflexive que la science parce qu’elle réfléchit à la nature, aux fondements et à la portée de la science», écrit Marco Jean.
« Il ne s’agit pas de valoriser ou de dévaloriser des discours, il s’agit tout simplement de bien les distinguer et de cibler ce en quoi ils peuvent être pertinents chacun à leur manière 1», explique Marco Jean.
La philosophie, pour prendre des décisions plus justes
Dans le monde en bouleversement qui est le nôtre, la philosophie s’avère une alliée indispensable, comme le rappelle l’essai de Marco Jean. La réflexion philosophique nous aide à « prendre un pas de recul », dira l’auteur, pour mieux comprendre, mais aussi pour mieux agir dans le monde. Au cœur de son essai, le philosophe explique comment la philosophie est essentielle pour résoudre les défis d’aujourd’hui.
Le défi de la conciliation des pluralismes culturels et religieux, le développement accéléré des technosciences, le monde du travail en mutation et la politique sont autant de domaines abordés par l’auteur au fil de l’essai. Ce sont autant de questions fondamentales qu’il faudra résoudre dans les prochaines décennies. Il est d’autant plus nécessaire de prendre un temps d’arrêt pour mieux comprendre ce qui est en train de se jouer dans le monde, pour mieux agir.
« C’est là que la philosophie a un rôle clair à jouer. Plus que jamais, l’humanité est confrontée à des problèmes inédits, comme le risque d’autodestruction lié aux énergies nucléaires, le réchauffement climatique, les technologies qui ont rendu possible de transformer notre propre nature humaine, l’intelligence artificielle, etc. Ce sont autant de questions nouvelles dans l’histoire de l’humanité qui nous obligent à nous poser des questions et à prendre des décisions. Pour y faire face, pour comprendre ce qui se passe et essayer de trouver des solutions valables et justes, il faut réfléchir, il faut discuter et argumenter ensemble », soutient Marco Jean.
Il s’agit aujourd’hui non plus seulement de décrire les phénomènes sociaux, mais de les saisir « en fonction de leur sens et de leur portée morale », écrit l’essayiste. « En faisant cela, les spécialistes de la philosophie éclairent les gens et les aident à mieux se comprendre de même qu’à faire des choix plus réfléchis et moralement acceptables 2», écrit-il.
La philosophie, au cœur de l’existence humaine
Marco Jean plaide en faveur des cours de philosophie au cégep. « Il y a parfois un préjugé défavorable à l’endroit de la philosophie. C’est dans l’air du temps d’être productifs, d’accéder le plus rapidement possible au marché du travail. On sent qu’il y a une pression pour que les études se terminent le plus rapidement possible. Dans ce contexte, on remet trop facilement en question la présence de la philosophie au cégep, qui est parfois considéré comme une discipline qui ralentit la diplomation ».
La pertinence de la philosophie ne peut être réduite à son « utilité » économique, comme l’affirme Marco Jean. La capacité réflexive que stimule la philosophie apporte des clés essentielles pour se repérer dans le monde et y poser les actions les plus favorables. « Comme être humain, dans ma vie personnelle, et comme citoyen, dans ma vie sociale et politique, j’ai à comprendre des choses, à prendre des décisions. Idéalement, on essaye de défendre avec de bons arguments les décisions qu’on prend, et qui peuvent être très importantes. »
La philosophie est pratiquée quotidiennement par tout être humain, qu’il en soit conscient ou non. Nous avons tous à relever des défis existentiels et à prendre des décisions. Ceci impose une réflexion. La philosophie est donc universelle. « L’humain étant un être de questions et toute question reposant ou débouchant ultimement sur un questionnement philosophique, tout être humain philosophe à un moment ou un autre. Et quand il ne philosophe pas, il pense ou agit en présupposant des réponses à ses questions philosophiques 3», écrit Marco Jean.
Digression sur le relativisme
L’essayiste termine son ouvrage sur une réflexion sur le relativisme. L’idée selon laquelle toutes les opinions se valent interpelle l’auteur, qui s’inquiète de cet état d’esprit répandu. Le relativisme pourrait bien être le symptôme d’un monde où tout va vite, propose Marco Jean.
Il dénonce ouvertement cette posture : « Le relativisme est en réalité un déni de l’intelligence. Si tout est vrai (ou que rien ne l’est) et que tout dépend simplement de sa perspective et de ses préférences, alors à quoi sert-il de penser, de réfléchir et de chercher, que ce soit seul ou en commun ? 4»
Pour Marco Jean, le relativisme est une posture intenable, car elle se contredit elle-même. Par exemple, le relativisme moral considère qu’il n’y a pas de principes moraux meilleurs que d’autres. « Qui voudrait effectivement, se retrouver dans une société où tous, même les plus désaxés, pourraient faire ce qu’ils jugent bon ou permis ? 5» , écrit Marco Jean. Selon lui, le relativisme est une posture dangereuse, qui fait fi des principes éthiques et moraux qui fondent la vie en société. Si toutes les actions et toutes les opinions se valent, il n’y a donc plus de principes jugés idéaux en vertu desquels il est possible de jauger les idées, opinions et actions posées.
Enfin, dit Marco Jean, le relativisme est une posture impossible à défendre. Car elle se fonde sur des idéaux d’authenticité et de libre-choix, qui sont eux-mêmes des principes idéaux en vertu desquels on se positionne. Il y a donc, dans tous les cas, un fait incontestable: il existe des principes meilleurs que d’autres.
Ce sont autant de débats auxquels nous invite toutes et tous la philosophie, pour y voir plus clair dans le monde. Une société réellement démocratique repose, dira enfin Marco Jean, sur la participation du plus grand nombre à la réflexion générale. « D’où l’importance cruciale d’outiller le plus de gens possible pour la discussion morale et politique, ce que font les cours de philosophie au collégial » 6, écrit avec justesse Marco Jean.
1Jean, M. (2021) La philosophie aujourd’hui, Nota Bene, p. 38
2Jean, M. (2021), p. 159
3Jean, M. (2021), p. 91-92
4Jean, M. (2021), p. 152
5 Jean, M. (2021), p. 154
6 Jean, M. (2021), p. 121