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Printemps érable et abandon des études : doit-on craindre une catastrophe?

Par messieurs Sébastien Piché et Stéphane Chouinard, enseignants en histoire et chercheurs au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption.

Sébastien Piché Stéphane Chouinard

La session d’hiver 2012 aura donc vraisemblablement le triste record du plus grand nombre d’abandons dans l’histoire du réseau collégial québécois.

La grève étudiante est terminée dans les cégeps. Si les directions des collèges sont soulagées, elles demeurent inquiètes, en même temps que tous les intervenants du réseau collégial, concernant les répercussions que cette grève aura sur la persévérance scolaire. En effet, selon une compilation effectuée par La Presse (18 août 2012), 3 400 cégépiens auraient abandonné leur session suite à la grève étudiante. Ce nombre impressionnant ne tient même pas compte des étudiants avec lesquels les collèges ont perdu contact, ni de ceux qui ont abandonné une partie de leurs cours pour mieux faire face à l’automne surchargé qu’ils doivent présentement affronter. La session d’hiver 2012 aura donc vraisemblablement le triste record du plus grand nombre d’abandons dans l’histoire du réseau collégial québécois.
Nous ne savons présentement que très peu de choses sur les motivations de ces milliers de décrocheurs. Combien ont abandonné pour éviter des résultats plus faibles et ne pas prendre le risque de voir diminuées leurs chances d’admission dans certains programmes universitaires contingentés? Combien ont abandonné parce que, proches d’avoir 21 ans, ils ont jugé que les exigences des universités à l’égard des étudiants sans diplôme d’études collégiales leur convenaient mieux que de terminer leur parcours d’études collégiales? Combien ont saisi le moment pour abandonner des études qui ne les motivaient pas? Combien ont quitté pour des raisons essentiellement idéologiques? La plupart des collèges conservant des informations sur les motifs d’abandon de leurs étudiants, il sera important, le plus rapidement possible, d’étudier ces motifs et d’en tirer des leçons. Par contre, il sera très difficile de suivre les parcours de ces jeunes décrocheurs. Sommes-nous face à une catastrophe?

Il est tout de même possible d’entrevoir quelques possibilités à partir des résultats d’une recherche que nous menons sur les décrocheurs volontaires et les situations d’apprentissage informel et d’éducation non formelle. Cette recherche est menée au Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption depuis 2010, avec le soutien financier du Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage du MELS.  

51 626 personnes se sont inscrites à l’université à l’automne 2002 ; 21 411 n’avaient pas de diplôme d’études collégiales et, parmi celles-ci, 3 530 avaient poursuivi, puis abandonné des études collégiales.

Nous avons rencontré des étudiants universitaires qui étaient tous d’anciens décrocheurs du collégial. Ils appartiennent à une catégorie d’étudiants plus nombreuse qu’on ne l’imagine habituellement. Une étude du MELS démontre que sur les 51 626 personnes qui se sont inscrites à l’université à l’automne 2002, 21 411 n’avaient pas de diplôme d’études collégiales et que, parmi celles-ci, 3 530 avaient poursuivi, puis abandonné des études collégiales. Nos questions peuvent être grossièrement résumées ainsi : Que se passe-t-il durant la période post-décrochage? Comment les étudiants compensent-ils leur absence de diplôme pour réussir à l’université? Comment se déroule leur intégration aux études universitaires?

Nos répondants proviennent de quatre universités (11 programmes) et ont fréquenté 10 cégeps différents. Nous avons limité notre investigation aux décrocheurs du programme de Sciences humaines, ce qui limite la portée de nos conclusions. Tout de même, une démarche de théorisation ancrée à partir d’une approche qualitative de type biographique nous a fourni des réponses étonnantes.  

Tout d’abord, le décrochage n’a pas été vécu par nos répondants comme un échec. Ce n’est pas chez eux un comportement d’évitement, ni une question de mauvaise estime de soi. Ils ne vivent pas une « dépression scolaire », selon l’expression de Bernard Rivière. Pour eux, la période post-décrochage fut plutôt une période d’actualisation qui leur a permis de clarifier leur orientation. Pour les uns, ils finissent par accepter que leurs aspirations soient soumises à la contrainte de l’obtention d’un diplôme d’études supérieures; pour les autres, leurs expériences de travail leur permettent de découvrir leurs aspirations. Ils ont perçu leur décrochage – et leur période post-décrochage – comme un autre chemin, tout simplement. Pour eux, d’autres options leur sont apparues plus valables que le parcours d’études collégiales.

Ensuite, nous n’avons pas retrouvé l’habituelle association entre démotivation et abandon. Au contraire, nos répondants faisaient preuve d’une implication exceptionnelle dans les activités parascolaires et dans la vie de leur collège : action sociale, mouvement étudiant, radio étudiante, activités culturelles, etc. Ils étaient motivés et intégrés au collège, mais ne transposaient pas leur implication dans la vie académique. Leur sentiment d’accomplissement dans les activités extérieures aux cours était plus grand que celui qu’ils pouvaient ressentir dans les activités scolaires.

De façon générale, nos répondants ont été déçus par leur expérience étudiante au cégep. Leurs attentes étaient élevées à leur arrivée et ils s’attendaient à une plus grande différence de ce qu’ils avaient connu au secondaire. Au contraire, ils idéalisent presque leur expérience étudiante à l’université. Ils accordent une grande crédibilité à l’université comme institution, ce qui a un impact sur la crédibilité du professeur, qu’il soit perçu comme bon ou mauvais. À l’université, ils font confiance aux professeurs et acceptent d’emblée la tâche d’étudiant. Au cégep, ce n’est pas le cas. Les étudiants, déçus de leur transition, n’accordent pas la même crédibilité au cégep. Dès lors, le professeur doit gagner sa crédibilité s’il veut obtenir leur attention et leur adhésion.

Au départ de notre enquête, nous nous attendions à ce que les situations d’apprentissage informel et l’éducation non formelle jouent un rôle prépondérant dans la réussite universitaire.  Nous pensions que les réseaux sociaux, le travail, l’engagement personnel, les loisirs, la lecture, les formations en emploi ou non créditées, les formations en lien avec des projets humanitaires ou culturels, etc., forment un parcours alternatif de formation. Or, tel n’est pas le cas. Il y a bien des situations d’éducation non formelle qui ont été significatives dans la réussite à l’université, mais ce ne fut le cas que pour une petite minorité de nos répondants. Ces répondants ont vécu une plus longue période de décrochage que nos autres répondants et leur choix d’études universitaires est directement en lien avec leur situation de travail. Cela correspond aux conclusions de plusieurs études sur les parcours scolaires. Nous avons toutefois constaté que, même si elles ne sont pas équivalentes à un parcours de formation, l’acquisition de compétences génériques (l’esprit d’initiative, la confiance en soi, les aptitudes sociales, la ténacité, la créativité, le sens de l’organisation, l’esprit critique, etc.) à travers des situations d’apprentissage informel a une certaine importance dans la réussite scolaire. Cependant, ce phénomène n’est pas nécessairement associé à la période post-décrochage en particulier. Nos répondants avaient un profil de compétences génériques très fort avant leur décrochage et ont d’ailleurs pu le mettre en pratique durant leurs études collégiales, mais dans les activités parascolaires. Leur décrochage a été, en quelque sorte, une occasion de mettre en pratique leurs compétences génériques de façon intensive. 

Ces résultats de recherche nous amènent à remettre en question une certaine vision « catastrophe » que plusieurs intervenants apposent à la situation actuelle. L’image négative associée au décrochage ne s’applique pas à tous les décrocheurs. D’une certaine façon, le décrochage correspond, chez certains étudiants, à ce que les anglo-saxons appellent la « Gap Year ». La « Gap Year » est un rituel normal et souhaitable pour certains étudiants, reconnu d’ailleurs comme un atout par certaines universités au moment de l’admission. Évidemment, la « Gap Year » n’est pas une bonne chose pour tout le monde : l’étudiant qui fuit ses difficultés scolaires n’y trouvera aucun remède à ses problèmes. Encore que le contraire soit toujours possible, dépendamment des raisons réelles qui expliquent ses insuccès académiques.

D’un autre côté, nous ne croyons pas qu’il soit raisonnable de s’en tenir au statu quo et d’attendre tranquillement de constater ce qu’il adviendra des milliers de décrocheurs du printemps érable. Le drame est que nous n’avons pas développé d’outils pour suivre le parcours de nos décrocheurs durant leur période post-décrochage. Nous ne sommes donc pas en mesure de savoir s’ils se placent dans des situations malgré tout favorables à l’accomplissement de leurs aspirations ou si, au contraire, ils se placent dans une situation où un tel accomplissement serait limité. Certes, notre étude démontre que plusieurs décrocheurs réussissent malgré tout à accomplir leur projet d’études. Elle démontre également que leur intégration aux études collégiales a été un échec. Cependant, il y a fort à parier que ces étudiants correspondent à un type particulier d’étudiants et que leur profil n’est pas généralisable. Ainsi, bien que nous croyions qu’il n’y a pas lieu de voir le nombre élevé de décrocheurs comme une catastrophe, nous croyons qu’il est impératif de trouver des moyens de rejoindre et d’accompagner toutes ces personnes de telle sorte qu’elles puissent être conseillées, autant sous l’angle de leur orientation que sous celui de la reconnaissance des compétences génériques qu’elles peuvent acquérir et qui jouent un rôle clé dans la réussite d’études supérieures. 






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