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Chronique de Véronique Grenier
Une révolution tranquille-tranquille
PHOTO GETTY IMAGES
« Sourire à un inconnu, laisser passer une personne devant soi dans la queue à l’épicerie, téléphoner à un membre de sa famille, donner du sang ou du plasma, payer un café “au suivant”, cuisiner un pain aux bananes pour une voisine, offrir sa place dans les transports en commun, la liste des petits gestes qui font du bien est longue », écrit l’autrice.
Véronique Grenier Collaboration spéciale - La Presse
Véronique Grenier enseigne la philosophie au Cégep de Sherbrooke
On est souvent confrontés à ce qui ne va pas. Dès qu’on ouvre un journal, consulte un média, regarde un peu plus loin que le pas de sa porte, il y a la maladie, la guerre, la faim, la violence, la crise climatique, des mises à pied, des ouragans, des enfants qui meurent, des gens qui souffrent.
À force de voir tout cela défiler jour après jour, à force de savoir que « tout cela » se produit, que « tout cela » nous dépasse aussi parce que c’est trop gros, trop loin, je comprends qu’on en vienne à se sentir un peu détaché, un peu pas concerné. C’est probablement la résultante d’une certitude, celle de notre impuissance, d’un très pulsant « mais qu’est-ce tu veux que j’fasse ? ».
Ce n’est pas faux de croire qu’on n’a pas, individuellement, les moyens de régler ces enjeux et de douter, même, qu’on y arrive collectivement. Certains peuvent aussi se dire que ce n’est pas de leurs affaires, de toute manière. On peut facilement alors se garder les yeux à demi fermés entre le moment du lever, les gorgées de café, la route vers le travail, celle du retour et la chaleur de ses couvertures au coucher. On peut passer sa vie à ne pas voir celle des autres et tous les fils qui nous relient de près ou de loin à ce qu’ils vivent, à ce qui les atteint. Un fossé se creuse, on en vient à croire que « les gens n’ont plus d’humanité » sans remarquer la pelle bien serrée entre nos mains, avec laquelle on contribue, nous aussi, à creuser le trou de la déshumanité.
Pour que la misère devienne un concept, il a bien fallu que les millions de fragments qui la composent et la représentent existent. Plusieurs en portent un éclat dans l’une des poches de leur peau. D’autres ont ceux des peines d’amour, du deuil, de l’abandon, de la négligence… L’inventaire est long et certaines peaux peinent à tenir sur les corps qu’elles recouvrent. Qu’on le remarque, le sache ou non.