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Bioptere - Cégep de La Pocatière
Les champignons marins du Saint-Laurent, de potentiels médicaments
Alexis Riopel - Le Devoir
Quand la technicienne de laboratoire Marilee Thiffault s’est fait proposer de travailler sur les champignons marins, en 2020, un doute a fusé dans son esprit. Il y a des champignons dans l’eau, vraiment ? « Puis après, je me suis dit : évidemment ! » On trouve des champignons dans les glaces de l’Arctique comme dans les fosses hydrothermales à 2000 mètres de profondeur. « À la question “où y a-t-il des champignons ?”, la réponse est “partout” », résume la passionnée du royaume fongique.
Voilà donc : les travaux de Mme Thiffault et de ses collègues ont confirmé que les champignons marins abondent dans le Saint-Laurent. Et les expériences menées par cette équipe de Biopterre, un centre collégial de transfert de technologie affilié au cégep de La Pocatière, portent à croire que ces organismes microscopiques pourraient nous aider à soigner des infections chez l’humain, à protéger les cultures agricoles, à éliminer des polluants ou à décomposer des déchets.
Tout cela est encore très spéculatif. Toutefois, les scientifiques sont optimistes quant au potentiel des champignons marins. L’humanité n’a encore qu’effleuré la pointe de l’iceberg de ce monde microscopique immergé dans la mer. « Les champignons dans le fleuve Saint-Laurent étaient virtuellement inconnus : c’est pour ça qu’on a sauté sur l’occasion de les étudier », explique Félix-Antoine Bérubé-Simard, le codirecteur de Biopterre responsable des mycotechnologies.
Les champignons marins s’attachent partout : aux algues, aux morceaux de bois, aux fragments de plastique, aux sédiments au fond de l’eau, etc. Entre 2020 et 2022, Marilee Thiffault est montée à trois reprises sur des navires de recherche qui ont sillonné le fleuve, l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. La quasi-totalité des débris solides qu’elle a récoltés contenaient des champignons qu’elle a ensuite réussi à cultiver en laboratoire. Pour l’instant, 483 individus fongiques ont été isolés, dont 159 ont été identifiés.
Cultiver ces champignons n’est pas sorcier : il suffit de les déposer dans une gélose salée qui imite l’environnement marin. Plusieurs microorganismes peuvent se développer dans cette pouponnière, donc les différentes souches doivent être isolées. Les techniciens caractérisent ensuite les champignons, notamment afin de connaître les molécules qu’ils sécrètent. Si les souches sont bien conservées, elles pourront être reproduites indéfiniment.
Photo: Marilee Thiffault Biopterre Quelques-unes des souches de champignons marins prélevées par Biopterre dans le Saint-Laurent.
De la Chine au port de Québec
On trouve dans les eaux québécoises des champignons adaptés à un environnement bien différent des variétés utilisées par l’industrie pharmaceutique ou par les spécialistes de la décontamination. « On a choisi de regarder l’estuaire parce qu’on cherchait des enzymes [produites par des champignons] résistantes à une plus grande salinité, à une température basse et à des pH plus élevés », souligne Pierre Bouchard, un professionnel de recherche chez Biopterre. Pour sa maîtrise (2019-2021) à l’Université du Québec à Rimouski, ce dernier est parti à la recherche de champignons marins dans le Saint-Laurent.
À la suite de sa campagne de « bioprospection », une souche a retenu son attention : un endophyte du jasmin trouvé près du port de Québec. Auparavant, cette souche de champignon marin n’avait jamais été observée ni répertoriée ailleurs qu’en Chine. Il s’agit peut-être d’une espèce exotique introduite accidentellement par un navire ; il est aussi possible qu’elle vive naturellement de notre côté du monde, mais qu’elle n’avait simplement jamais été repérée.
De retour à La Pocatière, M. Bouchard a cultivé son endophyte du jasmin pour apprendre à mieux le connaître. Il espérait que son champignon sécrète certaines enzymes — des laccases ou des peroxydases — qui « attaquent » la lignine, la molécule qui donne au bois sa rigidité. Il n’a pas été déçu. Sa souche produisait des enzymes plus efficaces à basse température que celles en vente sur le marché. Son champignon filamenteux pourrait donc servir à décomposer du vieux bois de construction ou des résidus agricoles, même quand il fait plutôt frais.