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Baccalauréat pour les futures infirmières: les cégeps se braquent contre l'Ordre

Article publié par La Tribune - Jonathan Custeau


19 novembre 2021 - Les futures infirmières devront-elles toutes détenir un baccalauréat? Si le gouvernement de la CAQ a opté pour la modernisation du programme collégial en soins infirmiers, le monde collégial, lui, estime que l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) cherche par tous les moyens à faire de l'université la seule porte d'entrée dans la profession.

Un éditorial du président de l'Ordre, Luc Mathieu, a mis le feu aux poudres. « Il est inacceptable que des infirmières et infirmiers soient placés dans des domaines de soins pour lesquels ils n'ont pas reçu la formation en amont. C'est pourtant ce qui arrive quand on envoie bon nombre de titulaires d'un diplôme collégial en soins infirmiers dans les secteurs de l'urgence, des soins intensifs et des soins à domicile », écrit M. Mathieu dans son éditorial de l'automne.

« Pour l'Ordre, il n'est pas plus acceptable que l'examen professionnel en vue de l'obtention du droit d'exercice n'évalue pas les connaissances pour ce qui est des soins critiques, des soins à domicile, de l'approche familiale systémique, de la collaboration professionnelle et d'une bonne partie du contenu en santé mentale [...] », écrit-il encore.

Enseignante et coordonnatrice du programme des soins infirmiers au Cégep de Sherbrooke, Amélie Gauthier craint que l'Ordre change son examen avant que le contenu du cours ait été mis à jour. « Ça voudrait dire que les étudiants du cégep ne seraient pas en mesure de poursuivre leur cheminement, parce qu'il leur serait impossible de réussir l'examen. Je trouve qu'il y a de l'empressement dans le geste de l'Ordre. »

À l'heure actuelle, le programme qualifiant pour la profession d'infirmière est celui du cégep. Il est possible d'accéder au bac en sciences infirmières après un DEC en sciences de la nature ou par une passerelle DEC-bac après un diplôme en soins infirmiers.

Mme Gauthier estime que la moitié des étudiants en soins infirmiers s'inscrivent au baccalauréat après leur cheminement collégial. Selon elle, les bacheliers « couvrent amplement les besoins des secteurs spécialisés ».

« L'Ordre se base sur une perception erronée de ce qui se fait au cégep. Il n'y a pas d'étude démontrant qu'il y a des enjeux de sécurité avec notre pratique. »
— Amélie Gauthier, enseignante et coordonnatrice du programme des soins infirmiers au Cégep de Sherbrooke

Le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, craint aussi une forme d'empressement à changer une formule qui fonctionne très bien. Il plaide que le programme de soins infirmiers, offerts dans 46 des 48 cégeps, est le plus populeux à l'échelle provinciale. Il propose plutôt d'allonger la formation, si nécessaire. « Elle pourrait se donner en trois ans et demi ou quatre ans. Au Québec, on n'a jamais fait cette réflexion. Nous avons mené un sondage au printemps auprès de 3500 étudiants. Quarante-quatre pour cent n'auraient pas choisi le programme si le bac était obligatoire et 80 % étaient défavorables par principe de rendre le bac obligatoire. »
Dévitalisation des régions

Bernard Tremblay craint une dévitalisation des cégeps... et des régions qu'ils desservent. « Une infirmière formée à Montréal n'ira pas pratiquer en région. »

Amélie Gauthier ajoute que plusieurs étudiantes sont des femmes adultes, parfois mères de famille, qui effectuent un retour aux études. « La perspective d'un diplôme en trois ou en cinq ans peut avoir un impact sur leur décision de choisir les soins infirmiers. »

Le vice-président de la FNEEQ-CSN, Yves de Repentigny, s'est dit choqué par l'éditorial de l'Ordre. « Il ne se comporte pas comme un ordre, mais comme un lobby. Nous trouvons cette approche pernicieuse. Y a-t-il eu tant de bavures que ça dans les dernières années de la part des infirmières pour dire qu'on doit changer l'examen d'entrée du jour au lendemain? »

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) reste relativement neutre dans le débat. « En attendant [de revoir le programme collégial], ajouter des mesures de contingence ou introduire de nouvelles exigences actuellement pourrait avoir des effets néfastes sur l'offre de soins de santé », mentionne par courriel Isabelle Groulx, vice-présidente de la FIQ.

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