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La Fédération des cégeps et la réussite: 10 enjeux et 14 pistes d'action
Par Thérèse Lafleur
Bernard Tremblay, président-directeur général, Fédération des cégeps
« L’objectif est de faire diplômer plus de jeunes ! » C’est sur ces mots que le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, a conclu l’entrevue sur les perspectives d’amélioration de la réussite. Dans un premier temps, il a rappelé la démarche entreprise en 2018 par la Fédération. Une réflexion collective dont résultent des constats troublants. Ces constats annoncent la suite des choses dans la foulée du Chantier sur la réussite que poursuit maintenant le ministère de l’Enseignement supérieur. Concrètement, la Fédération propose des pistes d’action associées aux grands enjeux cernés par les échanges et les travaux qu’elle mène depuis trois ans.
D’entrée de jeu, monsieur Tremblay explique que : « Ce n’est pas la première fois que nous réfléchissons à la réussite. Ce qui est porteur actuellement, c’est que le mouvement initié par la Fédération des cégeps ait rejoint l’ensemble des gestionnaires. Ce mouvement a été amorcé en 2018 par une réflexion soumise au Conseil des directions générales de la Fédération qui l’ont ensuite partagée avec les directions des études. À la Fédération, nous nous sommes assurés que toutes les commissions se penchent aussi sur la question. Ainsi, la réussite au collégial est vraiment devenue un chantier de la Fédération. »
< Un mouvement d’envergure dont nous pouvons être fiers >
« Il y a trois ans, quand nous avons abordé la question de la réussite avec les gestionnaires, quelques grincements de dents se sont fait entendre sous prétexte qu’on s’en occupait déjà ou qu’on ne voyait pas de problème. Mais, admettons-le, quand nous regardons les chiffres, il y a visiblement un problème. C’est ce que l’initiative de la Fédération a réussi à mettre à l’avant-scène. Aujourd’hui la Ministre de l’enseignement supérieur, Danielle McCann, en a même fait un objectif du plan stratégique de son Ministère. Il va y avoir un plan d’action pour la réussite à l’enseignement supérieur. Sincèrement, cette réflexion sur la réussite que la Fédération a initiée et menée, même avec de petits moyens, a engendré un mouvement d’envergure dont nous pouvons être fiers.
< L’adhésion des gens sur le terrain, au quotidien, est essentielle >
« Le prochain défi sera de faire rayonner cet engagement envers la réussite. Il faut faire en sorte que cela ne soit pas l’affaire de la Fédération, mais que l’ensemble de la communauté collégiale y adhère, l’amène plus loin et le mette en action. À quelques occasions, je me suis soucié de rencontrer les présidences de syndicats représentant le personnel enseignant pour leur dire que, bien que la réflexion sur la réussite ait d’abord été faite entre gestionnaires à la Fédération parce que ce sont eux nos membres, nous n’avons pas la prétention de tout réinventer et de tout régler en matière de réussite. Nous apportons notre contribution, mais ce sont les enseignants, les professionnels, qui vont déterminer si cela les inspire et suscite des actions de leur part. L’adhésion des gens sur le terrain, au quotidien, est essentielle.
< Des échanges déterminants avec le CSS Marguerite-Bourgeois ont servis d’élément déclencheur à la démarche >
« Ce sont des échanges déterminants avec le Centre de services scolaires Marguerite-Bourgeois qui ont servi d’élément déclencheur à la démarche entreprise par la Fédération autour de la réussite. Au Québec, on parle peu de Marguerite-Bourgeois. Pourtant, ce centre de services scolaire compte 70 000 élèves. Le Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeois,c’est l’ouest de l’île de Montréal, soit une population variée avec beaucoup de multiethnicité et des zones de défavorisation importantes. Marguerite-Bourgeois a quelques 300 classes d’accueil. Une fois par mois, ils reçoivent l’équivalent d’une école primaire de réfugiés qu’ils doivent accommoder et intégrer. Leurs défis sont colossaux. Pourtant, ces gens-là diplôment aujourd’hui 90 % de leurs élèves et ce n’est pas le fruit du hasard. C’est parce qu’ils ont fait une démarche qui nous a beaucoup inspirée et que nous tentons de transposer au collégial en parlant de pratiques à impact élevé (PIÉ).
« À Marguerite-Bourgeois, ils ont amené des enseignants volontaires à se pencher sur l’approche scientifique de la réussite pour ensuite les inviter à créer des communautés de pratique, à réfléchir sur ce que révèle la recherche et à expérimenter ce qui leur semble porteur. Au fil du temps ces enseignants volontaires ont constaté que leur travail était plus facile parce qu’il était basé sur des actions qui produisaient des résultats sur leurs élèves. Et, progressivement l’ensemble des enseignants ont suivi le mouvement et même les syndicats appuient cette démarche parce que leurs membres la trouvent porteuse. Maintenant ils ont des indicateurs de mesure qui leur permettent de prédire avec beaucoup de précision si un élève va décrocher ou pas. Ils ont des données pour suivre leur population étudiante avec des signaux pour l’enseignant ou pour la direction d’école quand un élève est à risque. C’est, entre autres,ainsi qu’ils interviennent de façon efficace.
< Nous avons identifié ce qui est porteur >
« La Fédération a récemment participé aux journées d’échanges et à la consultation dans le cadre du Chantier sur la réussite en enseignement supérieur du Ministère. En fait, les voies d’action que nous recommandons sont issues de la démarche que nous avons déjà entreprise et des enjeux identifiés. Depuis deux ans, Carole Lavoie, ex-directrice générale du Cégep de Sainte-Foy, se penche sur la question de la réussite pour la Fédération appuyée par un comité formé de représentants du réseau collégial. Elle a recensé les caractéristiques favorisant la réussite pour ensuite valider les pratiques à impact élevé dans dix cégeps. Ces dix cégeps accueillent les étudiants ayant le plus grand écart entre leur moyenne générale au secondaire et leur taux de diplomation au collégial. L’exercice a révélé qu’effectivement il y a une marche à suivre. En nous appuyant sur la recherche, nous avons élaboré un cadre de référence qui met en lumière les caractéristiques de l’enseignement à impact élevé sur le plan des méthodes pédagogiques, de la relation prof-étudiant, de l’évaluation des apprentissages et de la structuration de l’enseignement. Nous savons maintenant qu’une communauté d’apprentissage qui travaille sur ces quatre dimensions adopte des pratiques qui ont des impacts élevés sur les résultats des étudiants.
< Si nous voulons générer un effet systémique, il faut agir ensemble de façon systématique ! >
« Dix enjeux et quatorze pistes d’action se dégagent des travaux de la Fédération. Nous nous préparons à communiquer ces orientations aux cégeps afin qu’ils puissent déployer leurs propres stratégies en se basant sur des pratiques dont l’impact a été démontré. Cependant, nous prévoyons aussi avoir un certain nombre d’actions concertées, la prémisse de notre effort étant que depuis 20 ans les cégeps travaillent séparément sur la réussite. Il y a des phénomènes qui sont systémiques.Si nous voulons générer un effet systémique, il faut agir ensemble de façon systématique !
< Ces travaux sur la réussite montrent d’autres enjeux >
« Bien sûr quand nous regardons ce qui ressort, il n’y a pas nécessairement de surprises. Des liens peuvent être faits avec ce que l’on constate au primaire et au secondaire. Certains sous-groupes doivent être ciblés parce qu’ils réussissent moins bien notamment les garçons et les étudiants dont la moyenne générale au secondaire est plus faible. Certaines catégories d’étudiants méritent une attention particulière.
« Toutefois, ces travaux sur la réussite montrent aussi d’autres enjeux. Par exemple, la maîtrise du français. Nous avons constaté que l’approche du français au collégial est très punitive. Elle nuit à la réussite parce qu’il est tenu pour acquis que l’étudiant doit déjà avoir réalisé ses apprentissages et qu’il est pénalisé dans tous les cours s’il n’a pas le niveau de français adéquat. Pourquoi, en 2021, ne peut-on pas reconnaître que l’apprentissage du français ne se termine pas en Secondaire 5 et que c’est l’œuvre d’une vie ! Par exemple, on reconnaît maintenant l’usage de la calculatrice, mais pas l’utilisation de logiciels d’aide à la correction (ex. : Antidote) comme outil permettant d’améliorer la qualité du français.
< La clé de la réussite demeure la pérennité du financement >
« Cependant la clé de la réussite demeure la pérennité du financement. Nous visons tous la persévérance en éducation, mais la persévérance vient avec une certaine persistance des actions et des moyens.
« Quand la Fédération a amorcé cette réflexion sur la réussite, la plus forte réticence provenait de la communauté collégiale. Quand nous abordions la stagnation des taux de diplomation, nos membres nous disaient ‘attention, notre nombre d’étudiants en situation de handicap a explosé alors que notre financement diminuait. Il faut donc comprendre que notre taux de réussite a augmenté parce que les conditions sont devenues tellement difficiles’. C’est compréhensible, mais convenons que, malgré tout, il faut augmenter le taux de diplomation au collégial.
« En fait, je fais souvent le parallèle avec les commissions scolaires qui ont une belle augmentation de leur taux de diplomation. Depuis 25 ans le gouvernement y investit des centaines de millions de dollars. Le réseau de l’enseignement supérieur n’a pas bénéficié de ce financement. C’est louable qu’on se préoccupe de dépistage précoce et de mesures de soutien tout au long du parcours primaire-secondaire. Ainsi davantage de jeunes obtiennent leur Diplôme d’études secondaires et sont admis au collégial. Cependant, ils y arrivent souvent plus faibles. Les cégeps ne sont pas en mesure de prendre le relai sans un investissement conséquent. »
Dix enjeux motivant l’action
Les enjeux identifiés par la Fédération pour intervenir sur la persévérance et la diplomation sont les suivants :
1. La stabilité des résultats mis en perspective avec l’évolution de la population étudiante ;
2. La réussite de groupes ciblés d’étudiants et le déploiement de pratiques à impact élevé (PIÉ) ;
3. Le défi de la maîtrise du français sur la réussite au collégial ;
4. La réussite différenciée des cours de français/anglais et de philosophie/humanities ;
5. L’évaluation des apprentissages et le lien avec la réussite des étudiants ;
6. Le défi persistant de l’évaluation de l’effet des mesures et des plans de réussite ;
7. Une inclusion pleine et entière de la formation continue aux plans et à la culture de réussite des cégeps ;
8. Le développement de l’expertise des acteurs : au cœur des plans de réussite et de leur enrichissement ;
9. Une démarche collective d’amélioration de la réussite soutenue par le Carrefour de la réussite et des partenaires du réseau ;
10. L’évolution de la culture de la réussite au sein d’une organisation apprenante.