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Étudiantes venues d’ailleurs : parcours et impressions

Les cégeps accueillent de plus en plus d’étudiantes et d’étudiants venus d’ailleurs. Nous avons voulu nous mettre à l’écoute de deux d’entre elles qui nous racontent leurs parcours fort différents, leurs impressions et appréciation de ce milieu de vie et d’études que leur offre le cégep. Emma Ramirez Berrigan, née au Québec, partie vivre en Espagne pendant quinze ans, étudie en Sciences humaines au Cégep Saint-Laurent à Montréal. Princesse Murhonyi Wani est venue de la République démocratique du Congo et a entrepris un DEC en Techniques de la logistique du transport au Cégep de Drummondville.

Nous vous présentons un portrait de ces deux jeunes femmes inspirantes qui nous racontent leur expérience d’études et de vie au cégep et au Québec.

EMMA RAMIREZ BERRIGAN : DE MONTRÉAL À MADRID À MONTRÉAL 

 

Née au Québec, partie à l‘âge de cinq ans vivre à Madrid avec sa mère, Emma a aussitôt été inscrite au lycée français, préférence de cette dernière qui avait aussi connu ce système scolaire. Après le lycée français, Emma est passée au système espagnol où elle a fait deux années d’études correspondant au niveau collégial. Elle est ensuite revenue à Montréal, auprès de son père ; elle complète actuellement sa troisième session d’études en Sciences humaines, profil individu, au Cégep Saint-Laurent.

Nous avons d’abord voulu savoir s’il est compliqué de s’inscrire dans un cégep quand on arrive d’ailleurs. Pour Emma, cela semble avoir été plutôt facile : «Le fait d’avoir étudié dans le système français a facilité les choses pour moi et, de plus, j’avais la nationalité canadienne étant née ici. On a reconnu ma scolarité française, mais pas mes deux années passées dans le système espagnol, bien que le niveau corresponde au cégep. Le fait qu’aucun de mes cours n’ait été reconnu me donne un peu l’impression d’une perte de temps dans certains cours comme sociologie ou psychologie, mais je dois reconnaître qu’ici la matière enseignée est plus pratique, plus concrète. »

À savoir ce qui a motivé son choix du cégep : «J’ai choisi le Cégep Saint-Laurent parce que c’est tout près de chez moi et on me disait que c’était un bon cégep, avec des bons professeurs. »

Invitée à comparer les trois systèmes éducatifs qu’elle a fréquentés, Emma a une appréciation très claire de chacun : « Le système français est le plus strict et le plus exigeant, mais ça nous aide beaucoup, on se sent préparés quand on termine nos études, même si on a passé des années à étudier vraiment beaucoup. On se sent prêts à s’inscrire dans toutes les disciplines, on a appris à analyser et à interpréter, on n’a pas fait qu’apprendre par cœur, et c’est bien. Le système espagnol est plus facile, on a l’impression qu’on peut apprendre par cœur sans avoir besoin de comprendre ! Les examens n’explorent pas notre compréhension de la matière. Il n’y a que deux examens par année et c’est tout ou rien, comparativement au cégep ou au lycée français où les suivis et contrôles sont plus fréquents ; il faut étudier et se prendre en charge tout le temps, pas juste à la veille des examens. Le système espagnol est beaucoup plus général que celui des cégeps, et ne comporte que quatre programmes; il n’y a par exemple qu’un seul profil en sciences humaines. »

Emma trouve plusieurs ressemblances entre le cégep et le système français : « Il y a beaucoup de ressemblances, pas en terme d’exigences, mais en considérant l’approche pédagogique. La compréhension et l’analyse sont au cœur de l’apprentissage : comprendre la matière et l’interpréter. Le cégep ne me semble pas aussi exigeant que ce qu’on nous demandait dans le système français. La matière vue en classe au cégep me semble cependant plus intelligente et intéressante. » Elle qui avait l’habitude des longs travaux et examens, expérience acquise au lycée français, elle a constaté que bien des étudiants québécois n’avaient jamais fait de dissertations ou de longues argumentations avant le cégep.

Parmi les différences notables entre les systèmes éducatifs qu’elle a connus, Emma est catégorique : « Les relations avec les enseignants ! Dans le système français, il y a une grande distance entre élèves et enseignants, il faut les voir comme des dieux, la relation est froide et distante. Le système espagnol est moins basé sur cette distance, les enseignants nous aident mais en échange de quelque chose, apporter de l’aide à d’autres étudiants par exemple. Au cégep, j’ai été surprise, on a un numéro de téléphone et une adresse courriel pour contacter les profs et prendre rendez-vous, leur demander de l’aide. On sent que la réussite est au cœur de la relation avec eux. On voit que les professeurs veulent que les élèves comprennent, ils sont là pour nous aider, pas pour nous couler. C’est important pour eux, ils veulent qu’on réussisse ! »

À savoir quelles ont été les difficultés rencontrées à son arrivée : « La langue, le français n’est pas ma langue maternelle. Il y avait cette barrière. Au début c’était difficile, j’avais du mal à tout comprendre. Le mode d’organisation des classes aussi, les groupes qui changent tout le temps. Au cégep, on peut se retrouver avec des élèves différents à chaque cours. J’avais l’habitude d’un groupe stable dans une même classe. Je trouve qu’en étant toujours en mouvement, ça crée des relations beaucoup plus superficielles, on peut croiser une personne qu’une seule fois par semaine, on noue moins facilement des amitiés. »

Les activités parascolaires : un moyen d’intégration ? « J’aime le cégep pour les cours, mais pas pour le reste ! Je m’éloigne du cégep pour mes activités de loisirs. Je suis arrivée au Québec en juin 2013 et j’ai eu aussitôt un emploi comme monitrice dans un camp d’été au Collège Vanier, où j’ai aussi travaillé à l’été 2014, mes amitiés se sont nouées là et se poursuivent. »

Le tutorat par les pairs, une agréable découverte : « Comme j’ai bien réussi ma première session, on m’a ensuite proposé de faire du tutorat par les pairs en Sciences humaines, ce que je fais auprès d’un groupe de quatre étudiants. Mon professeur de français m’a aussi proposé de faire du tutorat en français à ma deuxième session, ce qui demandait une formation de trois semaines, j’ai commencé la formation, mais ne l’ai pas complétée, je trouvais ça trop exigeant en plus de mes études. »

Différence majeure pour Emma entre le Québec et l’Espagne: le travail des jeunes : « En Espagne, les étudiants ne travaillent pas, ou très peu le font, pendant leurs études. Ici, tout le monde travaille, et ça semble très important. Quand je suis revenue au Québec, à 18 ans, je n’avais jamais eu de travail rémunéré. Les étudiants au cégep me semblent très concentrés sur le travail, les études et le sport, plutôt que sur les activités de notre âge : études, concerts, fêtes, amis, famille. En Espagne il n’est pas rare qu’un étudiant termine l’université sans jamais avoir travaillé, bien qu’avec la crise, ça risque de changer. »

Le Cégep Saint-Laurent accueille des étudiants de diverses origines, elle constate cependant que le mélange de tout ce beau monde n’est pas toujours évident ; la mixité des groupes n’est pas toujours au rendez-vous et ceux venus d’ailleurs se retrouvent souvent entre eux.

Pour conclure, Emma ajoute : « Je me sens privilégiée d’être au Cégep Saint-Laurent. Je m’y trouve bien encadrée et valorisée. Si on a de bons résultats scolaires, les professeurs nous proposent du travail, je n’avais pas connu cela en Espagne, où on a l’impression qu’on ne fait jamais assez bien. Ça nous motive, cette attitude positive des profs, et j’apprécie beaucoup. »

Elle continuera ses études universitaires au Québec et retournera peut-être en Espagne après ; elle avait d’abord envisagé la neuropsychologie, mais n’a pas encore arrêté son choix tout en sachant que ce sera dans un domaine d’aide à la personne, soins infirmiers, médecine. On sent que toutes les possibilités s’ouvrent devant elle !

PRINCESSE MURHONYI WANI : DE BUKAVU À DRUMMONDVILLE

 

Princesse Murhonyi Wani a connu un tout autre parcours. Elle a entendu parler du Québec et des cégeps par un compatriote, Ndugumbo Vita, qui a fait ses études doctorales en Administration et évaluation de l’éducation à l’Université Laval à Québec. Dans le cadre de ses recherches sur La reconstruction de l’éducation après-guerre en République démocratique du Congo, monsieur Vita a organisé une table ronde sur l’éducation au Sud-Kivu, à Bukavu, en août 2009, dont le but  principal était de repenser le système d’enseignement. Les discussions portaient principalement sur la pertinence du curriculum d’enseignement secondaire technique et professionnel au Sud-Kivu, province déchirée par des conflits et guerres interminables.

Princesse vivait à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, où elle participa aux groupes de discussions lors de la collecte des données de recherche de Ndugumbo Vita auprès des élèves de sixième année secondaire. Elle prenait des notes de synthèse pendant les discussions et organisait de petites rencontres après les discussions. Les élèves parlaient de leurs projets de vie et des rêves qu’ils souhaitaient réaliser après l’école secondaire, si leur pays retrouvait la paix. Ce sera l’élément déclencheur de son périple vers le Québec.

Princesse vient tout juste de compléter ses études secondaires et attend son diplôme. Le système scolaire de son pays est calqué sur le système de la Belgique, l’ancien pays colonisateur. Elle souhaite alors poursuivre des études en Informatique possiblement en Ouganda. Avec deux de ses copines, elle reste en contact avec Ndugumbo Vita revenu au Québec ; il les informe six mois plus tard des possibilités de poursuivre des études dans un cégep québécois et, qui plus est, d’éventuellement se qualifier pour obtenir une bourse d’excellence. Ces bourses sont financées par le ministère de l’Éducation du Québec et gérées par Cégep international. L’aventure va véritablement commencer, on est en 2010!

« À Bukavu, on n’a pas d’ordinateur ni d’internet à portée de main. Pour faire toutes les démarches, remplir les formulaires requis pour obtenir le permis d’études, ça demande des efforts qu’on ne soupçonne pas ici. Pour faire les photocopies ou accéder à internet, on avait la chance de pouvoir se rendre à l’Assemblée provinciale, siège du gouvernement de la province. Je devrai aller au Rwanda pour prendre contact avec le consulat canadien et y faire les démarches requises pour mon visa d’étudiante ; il sera finalement trop tard pour venir au Québec en 2010. Il faudra attendre la prochaine année. Je passe alors six mois à Nairobi, au Kenya, je refais les démarches à partir de là et cette fois, ça marche ! »

À partir de la question « quel est ton rêve après les études secondaires ? », posée aux jeunes lors des ateliers précédemment évoqués, Princesse a arrêté son choix sur un programme en Techniques de la logistique du transport : « Il y a tellement de problèmes dans ce domaine dans mon pays ! Les bateaux qui doivent relier une ville à l’autre qui ne marchent pas ; la pluie dans les avions, etc. » Elle sera acceptée au Cégep de Drummondville où l’appui constant d’Annie Martin, responsable de l’accueil des étudiants étrangers, lui sera des plus précieux.

Elles étaient trois amies à avoir obtenu des bourses, les deux autres étaient déjà parties, l’une à Laval et l’autre à Québec. Princesse sera la seule à Drummondville, elle arrive à Québec à l’été 2011, y passe quelques semaines avant d’aller découvrir sa nouvelle ville d’accueil. Annie Martin, sa guide et sa mentor, l’attend et a déjà prévu une résidence où elle pourra s’installer. « Au début, je ne comprenais rien ! C’est compliqué l’accent québécois au début ! J’allais voir les profs après chaque cours, je ne pouvais pas leur demander de tout répéter pendant les cours, j’allais ralentir tout le groupe ! Ils étaient tous très compréhensifs et m’ont beaucoup aidée. » Elle est la seule étudiante africaine dans son groupe où il y a aussi un étudiant français. Elle a alors 23 ans, ne se sent-elle pas perdue parmi des étudiants plus jeunes qu’elle ? « Non, en logistique il y a beaucoup d’adultes, des personnes qui ont 30 ans et plus, des “vieux” ! »

L’intégration par la vie communautaire
« Je me suis impliquée beaucoup au cégep, comme je me sentais seule, je ne voulais pas m’isoler. » Elle a trouvé son mode d’intégration dans les activités communautaires : sport, comité environnement, responsable de la friperie. « Je passais tout mon temps au cégep ! J’y avais un petit bureau où j’avais accès à internet, le cégep était mon univers. Je rentrais chez moi pour dormir. Et je travaillais très fort pour réussir. Je voulais aller jusqu’au bout, je fonçais, je n’ai pas eu d’échec à aucun de mes cours, même si certaines matières me semblaient plus difficiles. J’ai même obtenu 100 % à un examen en droit, j’avais besoin de cela pour réussir le cours et j’y suis arrivée. Je n’allais pas me décourager ! Tout le monde m’appelait sa Princesse en classe, ça faisait rire les gens, mon prénom, chacun voulait que je sois sa princesse ! »

Elle a aussi eu pu s’intégrer au milieu grâce au travail hors campus. « Quand j’ai eu mon permis de travail, j’ai eu un emploi comme vendeuse et ensuite assistante gérante dans des entreprises de Drummondville, dont une usine alimentaire. Je n’ai pas senti de discrimination, je sentais simplement que je devais prendre ma place et encore, foncer ! »

En 2014, Princesse a été choisie Étudiante de l’année au Cégep de Drummondville, titre assorti d’une bourse de 1500 $. Tout un honneur pour cette jeune femme venue de Bukavu ! Elle a aussi, au fil de son parcours, été honorée pour son français écrit, pour sa persévérance, et pour son engagement en environnement, récompense décernée par le Forum jeunesse Centre-du-Québec, reconnaissances assorties de bourses de 400 $ ou 500 $.

Princesse a obtenu son diplôme à l’automne 2014 : « Quand j’ai eu mon diplôme, j‘étais heureuse, mais j’avais de la peine de quitter le cégep, de perdre ces attaches qui ont été si importantes pour moi. »

Pour le moment, Princesse fait des démarches en vue de l’immigration ; elle est temporairement installée à Trois-Rivières. « Dans mon pays, la situation est toujours difficile, mes parents me disent qu’il y a peu d’avenir pour moi si je rentre maintenant. J’aimerais poursuivre des études universitaires, mais c’est trop cher, je ne peux envisager cela pour le moment. » Elle pourra espérer un travail dans son domaine de formation quand son statut sera clarifié, pour le moment elle occupe un poste dans la vente. Ce qui l’intéresse, c’est la logistique du transport international, domaine qu’elle a expérimenté pendant ses stages en cours d’études.

Pour cette jeune femme, l’expérience du cégep a été déterminante. « J’ai découvert qui j’étais quand je suis arrivée ici. Je remercie tout le monde : Cégep international qui m’a accordé une bourse d’excellence, tous mes professeurs au cégep, Annie Martin qui m’a conseillée et accueillie. Arrivée ici, on a une vie, l’avenir s’ouvre, ça t’ouvre les yeux, tu n’es plus la même personne. Je m’estime chanceuse, j’ai été bien accueillie au Québec et je sentais que tout le monde m’appréciait ! J’étais vraiment une reine ! » À tout le moins une… Princesse.

Texte et entrevue réalisés par Mme Evelyne Foy, consultante.