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Départ à la retraite du PDG de la Fédération des cégeps

Ce qui a été accompli, ce qu’il reste à faire

À la veille de son départ à la retraite, le président-directeur général de la Fédération des cégeps depuis 2015, Bernard Tremblay, propose une rétrospective de son passage à l’organisation. Il dresse un bilan des acquis de la dernière décennie tout en rappelant les défis qu’il reste encore à relever.

Par Ann-Marie Gélinas, rédactrice, Portail du réseau collégial

Une décoration en guise de remerciement

À l’occasion du centième anniversaire de naissance de Guy Rocher, monument de l’histoire récente du Québec et ardent défenseur de l’éducation, un nouveau prix a été créé par l’Université du Québec : la Médaille Guy-Rocher. Cette reconnaissance souligne l’ensemble des réalisations professionnelles d’une personne qui a su contribuer, par ses efforts et son engagement, à faire rayonner l’enseignement supérieur. Lorsqu’il a reçu l’honneur d’en être le premier récipiendaire, le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, a d’abord été envahi d’un sentiment d’étonnement.

« J’ai été extrêmement surpris, et aussi touché, évidemment. Quand on arrive à la fin de sa carrière, on dresse un bilan. On se demande ce qu’on laisse derrière nous. Et ce qui nous vient à l’esprit paraît insignifiant, de notre point de vue. On n’est pas bon juge de notre parcours. Heureusement, les autres y voient quelque chose de significatif », relate avec modestie celui qui a récemment annoncé sa retraite.

L’éducation : un acquis à sans cesse revisiter

Il poursuit en expliquant qu’il a toujours voué une grande admiration à Guy Rocher et qu’il a même voulu, bien humblement, s’inscrire dans la poursuite de sa vision qui demeure, selon lui, très actuelle. « Si on reprend le rapport Parent aujourd’hui, on constate qu’il n’a pas vieilli. C’est l’élan à la base de cette vision qui s’est un peu essoufflé. Le Québec a connu une lancée, une poussée dans les années 60 et 70. On a accompli de grandes choses, on a complètement repensé le système d’éducation. Mais aujourd’hui, on s’assoit sur ces acquis alors qu’il reste encore beaucoup à faire », affirme le gestionnaire infatigable.

Selon Bernard Tremblay, le Québec souffrirait d’un complexe d’infériorité, d’où l’emploi fréquent du mot fierté dans le discours ambiant. On se rabattrait sur nos réalisations collectives pour se distraire des véritables défis et écueils. « Elle est où, cette étincelle qui a fait naître un mouvement collectif dans les années 60 ? On entretient notre fierté, mais on n’ose pas faire les constats difficiles : il y a 800 000 analphabètes au Québec, on échappe nos garçons à l’école et 30 % des jeunes ne poursuivent pas leurs études après le secondaire », se permet-il de nommer.

Pour lui, l’éducation est la clé. Il cite Malala Yousafzai, militante pakistanaise et plus jeune lauréate du prix Nobel de la paix à ce jour : « L’éducation est la seule solution ». Il y croit plus que jamais. Car si la province compte près de 10 % d’analphabètes alors que l’école est obligatoire, c’est que les gens ont perdu leurs compétences au fil des ans ou n’ont pas eu l’occasion de les parfaire par la formation continue. « C’est dramatique pour notre société. Depuis quelque temps, on parle beaucoup de l’aspect économique, soit la productivité. Mais la productivité est intimement liée à la qualification de la main-d’œuvre. J’ai donc souvent cherché à m’inscrire dans ce discours, en insistant pour mentionner le lien fondamental qui existe entre l’éducation et l’économie », raconte-t-il.

Un défenseur des cégeps tout en finesse (et en éloquence)

Habile communicateur, Bernard Tremblay a su parler le même langage que ses homologues du gouvernement pour faire reconnaître les cégeps comme une institution clé dans l’avancement socioéconomique du Québec. Il s’agit pour lui de l’un de ses plus importants legs. Il a fait valoir qu’il ne s’agissait pas seulement d’établissements d’enseignement, mais également de centres de recherche importants qui attirent des experts de partout dans le monde. De Matane à Rouyn-Noranda, en passant par Saguenay, les cégeps jouent un rôle central dans le développement des régions, car ils rassemblent à la fois des ressources et des expertises de premier plan.

Autre réalisation marquante : l’actuel PDG a contribué à faire reconnaître les besoins financiers criants du réseau collégial, qui se trouvait il y a quelques années au bord de la faillite technique. Il s’est battu pour que le gouvernement reconnaisse la triste position dans laquelle se trouvait l’enfant pauvre de l’enseignement supérieur et qu’il répartisse mieux les fonds de manière à rééquilibrer les choses.

C’est aussi grâce à son tact, à ses qualités d’orateur et de rassembleur ainsi qu’à son écoute qu’il a contribué à faire de la Fédération des cégeps un lieu de participation constructive. « J’aime dire à la blague et de façon provocatrice que la Fédération a une structure lourde, mais que c’est sa grande force, puisque ce sont ces lieux de concertation des gestionnaires du réseau qui lui permettent de bien représenter les cégeps. » C’est dans cette optique qu’il a toujours cherché à faire cheminer les préoccupations de tous les joueurs, à porter leur voix auprès du gouvernement et, inversement, à traduire auprès de son réseau les besoins et les attentes de l’État.

Puisqu’il a toujours cultivé une attitude positive et collaboratrice, il a pu se permettre de formuler à l’occasion des critiques envers certains partis politiques. « Je n’ai jamais cherché à adopter une posture politique, mais je tiens à témoigner de la réalité du milieu. Et parfois, pour faire valoir son point de vue, il faut accepter d’avoir des opinions dissonantes. C’est aussi ça, une société démocratique », illustre Bernard Tremblay.

En quoi ses opinions sont-elles dissonantes ? « On a besoin d’un grand coup de barre, au Québec. La société ne valorise pas assez la formation technique, mais surtout, notre système n’est pas assez fluide entre la formation professionnelle et la formation technique. Plus de 30 % des jeunes techniciens poursuivent à l’université et la filière DEC-bac est florissante. Par contre, la formation professionnelle ne conduit toujours pas à la formation technique. Il faut repenser le cheminement interordre, en s’inspirant notamment du modèle de l’Allemagne. Il faut aussi offrir des filières de formation à temps partiel, faciliter le retour aux études des adultes, qui est trop difficile et pour lequel il n’existe pas d’incitatifs réels. Il faut discuter avec tous les ministères concernés. Et ça tombe bien : le cégep est bien placé pour le faire, c’est la clé de voûte du système d’éducation », mentionne-t-il, plein d’optimisme.

Une après-vie professionnelle à la fois douce et animée

À l’aube de sa retraite, Bernard Tremblay semble encore animé d’un grand amour pour sa profession et son milieu. Lorsqu’on lui demande ce qui lui manquera le plus de sa vie professionnelle, il répond dans un souffle : « Les gens. J’ai travaillé toute ma vie dans le domaine de l’éducation. Je sais qu’on ne travaille pas dans ce milieu si on n’est pas habité par cette importante mission. Toutes les personnes que j’ai côtoyées souhaitent la même chose : placer l’éducation en premier. Ce sont des gens passionnés, engagés. »

Et ses plans pour la suite ? « Du repos. Des voyages. De la lecture pour continuer à enrichir ma culture et à assouvir ma curiosité. » On lui souhaite tout ça. Mais il faudra beaucoup, beaucoup de livres pour rassasier cet appétit intellectuel insatiable.